Fin septembre 2021, Delphine Manceau inaugurait le nouveau campus parisien de Neoma BS. Un nouveau grand moment pour celle qui dirige Neoma BS depuis 2017. Mais comment se forge un destin ? Parfois en frappant tout simplement à la porte de son proviseur. Nous sommes en octobre 1986. Une toute nouvelle préparationnaire scientifique du lycée Louis-Le-Grand à Paris sent que cette prépa ne lui convient pas. « J’étais déjà élève au lycée Louis-Le-Grand avant le bac et j’avais choisi la prépa scientifique comme une évidence. Mais je ne me sentais pas de faire des mathématiques et de la physique à haute dose. La culture générale, l’histoire-géo me manquaient. »
- Portrait publié pour la première fois en septembre 2021.
Delphine Manceau a 16 ans. Élève précoce, elle a obtenu son bac à 15 ans. Son destin va changer « Cela s’est fait tout simplement, le proviseur m’a immédiatement inscrite en classe préparatoire économique et commerciale. J’ai juste dû chercher mes affaires et changer de classe au milieu de la matinée. » Suivront l’ESCP, un doctorat à HEC, un post doctorat à Wharton, un poste de professeur à l’ESCP, la direction de son PGE et de ses différents programmes, la création de l’Institut pour l’innovation et la compétitivité, la direction de l’EBS et celle enfin de NEOMA. Mais que ce serait-il passé si Delphine Manceau n’avait pas ce jour-là monté l’étage qui conduit au bureau du Proviseur de Louis-Le-Grand ? « Difficile à dire mais en tout cas je me suis tout de suite sentie à l’aise en classe préparatoire EC. A l’ESCP, j’ai particulièrement apprécié les cours de management public qui m’ont bien préparée à la gestion d’une école et aux relations avec les collectivités locales. A la direction de NEOMA, je réponds à une mission de service public. »
De ESCP à Wharton
Rien ne prédisposait la jeune préparationnaire à cette carrière. « Ma mère était traductrice de romans et professeure d’anglais. Mon père dirigeait un cinéma Art et Essai et était spécialiste du cinéma d’Europe de l’Est. » Personne ne savait donc vraiment ce qu’était une école de commerce dans sa famille, mais personne n’était contre non plus et le passage en prépa EC se déroule bien.
Reçue à l’ESCP à 17 ans, voilà Delphine Manceau diplômée à 20 ans. « Et comme j’avais l’air d’en avoir quinze – au point que certaines entreprises ne m’ont pas prise en stage car j’avais vraiment l’air trop jeune – je me suis dit que j’aurai tout avantage à poursuivre en doctorat. » Son sujet de thèse : « les pré-annonces de nouveaux produits ». Comprenez les annonces par des entreprises du lancement futur de tel ou tel modèle ou jeu vidéo. « Une pratique étrange puisqu’elle informe les concurrents des projets d’innovation de l’entreprise. Mais il peut s’agir de mettre sur orbite un modèle ou d’imposer une norme technologique, voire de dissuader un concurrent de se lancer, quitte même à ne jamais lancer le produit. »
L’occasion de goûter de près à son futur métier puisque, pendant ses années de thèse à HEC, Delphine Manceau est également assistante pédagogique et de recherche et commence à enseigner. Et elle poursuit dans cette voie. A 26 ans, elle décide de franchir l’Atlantique. Et pas pour n’importe quelle business school. Pour l’une des toutes meilleures : Wharton à Philadelphie. « Deux des trois grands spécialistes de mon sujet de thèse s’y trouvaient à ce moment-là. Une formidable expérience de travail avec eux tout autant qu’avec les autres doctorants en marketing mais aussi l’ensemble des doctorants internationaux. » Et pendant un an, la vie au centre d’une ville historique où elle se fait quantités d’amis futurs professeurs.
Ses 18 années passées à l’ESCP
Pour autant, l’idée ne lui vient pas de rester aux États-Unis. A 27 ans Delphine Manceau revient en France pour devenir professeure de marketing à l’ESCP. Puis la voilà responsable de la majeure marketing. Et là nouvel appel du destin : on lui propose de prendre en charge la version française d’un livre majeur que tout étudiant en gestion se doit d’avoir lu, Marketing Management, la « bible du marketing » de Philip Kotler, qu’elle publie toujours aujourd’hui.
En tout, Delphine Manceau restera 18 ans à l’ESCP. En 2005, la voilà directrice académique chargée du pilotage de l’ensemble des programmes diplômants sur les 5 campus. « C’était le moment de la mise en application du processus de Bologne et du LMD au niveau européen, et travailler dans une Ecole avec 5 campus en Europe m’a donné un regard privilégié sur cette évolution majeure de l’enseignement supérieur ». Cinq ans plus tard, elle fonde l’Institut pour l’innovation et la compétitivité. « Je voulais évoluer et l’occasion s’en est trouvée quand Christine Lagarde, alors ministre de l’Economie, a demandé à Pascal Morand, à l’époque directeur général de l’ESCP, un rapport sur l’innovation puis a été la marraine de l’Institut. Nous avons alors promu une vision large de l’innovation, pas seulement liée à la R&D mais aussi aux usages, au design, aux modèles économiques. De même nous avons voulu montrer que des industries peuvent être innovantes au-delà des brevets. » L’institut est un Think Tank à la rencontre entre le monde académique, les entreprises et les pouvoirs publics. Delphine Manceau rentre ainsi dans le groupe d’experts auprès du Commissaire européen à la recherche et à l’innovation.
A la suite des relations privilégiées liées avec les entreprises, tout au long de nombreuses auditions et présentations de ses contributions sur l’innovation, elle prend enfin son dernier poste au sein de l’ESCP : celui de directrice de la division corporate Europe en charge des partenariats entreprises, de l’Executive Education et notamment de l’Executive MBA. C’est aussi alors que la nécessité de changer d’école lui semble de plus en plus évidente. « Non pas que je me sentais mal à l’ESCP mais je sentais que c’était maintenant ou jamais qu’il fallait quitter le nid. » Elle avait en effet déjà renoncé à un poste prestigieux. « Aurais-je dû accepter la direction des programmes d’executive education de Judge Business School, à Cambridge ? » Alors en poste à l’ESCP, elle ne franchit pas le pas « parce que c’était trop compliqué au plan familial ». Elle avait pourtant réussi les étapes et rencontré des personnalités scientifiques mais aussi les membres de la haute société britannique qui composent le conseil d’administration de l’école. « C’était fascinant. A la fois comme lieu intellectuel et comme potentiel d’innovation ce qui reste ma passion. »
Un choix judicieux
Nous voilà en 2016. Delphine Manceau se voit proposer un nouveau challenge : prendre la direction d’une petite école de commerce, privée, membre d’un grand groupe américain, Laureate : l’EBS European Business School. « C’était aller dans le « vrai privé » et dans une école dont j’appréciais le caractère innovant et entrepreneurial. » Mais les choses se compliquent quand le président de Laureate France informe Delphine Manceau que son groupe sera bientôt racheté. « J’avais tellement muri ma décision que j’ai décidé d’y aller, sans savoir qui serait le nouvel acquéreur. » Nous sommes en mars 2016, le groupe Inseec rachètera le groupe Laureate France en juillet. « J’ai mis en œuvre tout un travail sur le positionnement de l’EBS, sa restructuration et l’obtention des accréditations. Ce fut court, 18 mois à peine, mais intense.».
Son travail y est tellement salué qu’il attire le regard des recruteurs de l’enseignement supérieur, à la recherche de la perle rare capable de relancer NEOMA après la période de fusion. « En juillet 2017 on m’a proposé le poste et dès septembre j’y étais. » Pendant ses trois premiers mois la toute nouvelle directrice va commencer par écouter ses équipes. « En résumé la fusion était réussie, la réorganisation faite, le modèle économique robuste, mais il fallait donner une identité à l’école qui dépasse la simple fusion entre Reims et Rouen. Il fallait donner du sens ! »
En se fondant notamment sur son expertise en marketing, Delphine Manceau s’est employée depuis quatre ans à créer ce projet commun. Aujourd’hui, s’appuyant notamment sur la remontée dans les classements – qui a « recréé de la fierté » -, sur le sentiment d’appartenance et les traits distinctifs de l’école, elle poursuit son développement avec notamment cette année son installation dans un nouveau bâtiment à Paris. Mais depuis plus d’un an elle a surtout dû gérer la crise du Covid. « En cette rentrée nous avons le bonheur de voir nos étudiants revenir sur nos campus. C’est une rentrée très chargée en émotion. Notamment pour les étudiants de deuxième année qui accueillent les premières années comme eux n’ont pas pu l’être. »
La crise, NEOMA l’a affrontée avec l’atout d’une transformation digitale bien avancée avec plusieurs réalisations telles que son campus virtuel ou les cas en réalité virtuelle. « De même, nous avions créé il y a trois ans un service wellness qui a pu soutenir nos étudiants, et particulièrement nos étudiants internationaux. » Et maintenant ? « Nous travaillons sur le projet pédagogique de demain avec tout ce que nous avons testé et appris autour de l’enseignement à distance. »