ECOLES DE MANAGEMENT, POLITIQUE DE L'ENSEIGNEMENT SUPERIEUR

Nouvelles pédagogies : « L’étudiant doit être la personne la plus importante dans une école »

Directeur du New Learning Hub en charge du développement des nouvelles pédagogies au sein de France Business School (FBS), Fabrice Mauléon revient avec nous sur la grande révolution des cours en ligne accessibles à tous, les massively open online courses (MOOC), et plus largement sur les débats en cours autour de l’émergence des nouvelles pédagogies d’apprentissage.

Fabrice Mauléon

Olivier Rollot : Depuis que les grandes universités américaines ont développé leur offre de cours en ligne accessibles à tous, on commence à beaucoup parler de nouvelles pédagogies. Où en est-on vraiment ?
Fabrice Mauléon : L’enseignement est un des rares domaines qui n’ait pas suivi de grandes mutations ces dernières années. Il n’y a pas beaucoup de différences entre la façon dont on suit des cours aujourd’hui avec La Sorbonne du Moyen-âge ! Un constat qui n’est pas propre à la France alors qu’une véritable économie du savoir s’organise peu à peu avec l’arrivée de nouveaux entrants à vocation commerciale.

O. R : Qu’est ce qui nous empêche aujourd’hui, et notamment en France, d’avancer sur la voie des nouvelles pédagogies ?
F. M : D’abord un sous-investissement technologique. Dans tous les secteurs on parle de productivité et les technologies en sont un élément primordial. Au nom de quoi l’éducation ne serait pas concernée ? La question n’est pas de supprimer les enseignants ou de créer un modèle low cost mais d’apprendre à coproduire le savoir sur plusieurs campus, dans des pays différents, de formuler des réponses nouvelles aux problèmes de notre siècle. Comment peut-on faire cours aujourd’hui sans considérer Wikipedia, ou toute autre source de savoir en ligne? Les nouvelles technologies peuvent nous permettre un gain de productivité et de savoir en individualiserant les enseignements à un coût abordable.

Coursera offre aujourd’hui le plus grand nombre de cours en ligne ouverts à tous

O. R : Beaucoup opposent le « présentiel », l’enseignant devant ses étudiants, et les MOOC. Ne sont-ils pas plutôt complémentaires ?
F. M : Plus on s’y intéresse, plus on voit le potentiel d’innovations pédagogiques des technologies. Longtemps on a dit qu’un libraire était incontournable pour le choix d’un livre mais Amazon offre aujourd’hui un conseil encore plus pertinent grâce à des algorithmes qui font remonter les avis de ceux qui me ressemblent. Que feront les grands établissements d’enseignement supérieur demain quand Google recommandera des cours en ligne eux-mêmes approuvés par les grandes entreprises comme correspondant à leurs exigences ? Il faudra bien s’adapter et faire mieux et plus. Les MOOC ne tuent pas l’enseignement présentiel. Quand Stanford a ouvert en 2011 son premier cours en ligne sur l’intelligence artificielle, elle a attiré 140 000 étudiants. Et même si seulement 10% ont suivi ensuite effectivement ce cours jusqu’à son terme c’était déjà un doublement de la population étudiante de Stanford et de leur impact en termes de transmission du savoir !

O. R : Mais pourquoi mettre gratuitement en ligne des cours ? A quelle économie cela correspond-il ?
F. M : Pour les universités qui ont franchi le pas il s’agit d’abord de répondre à la demande croissante de formation venue des pays émergents. Ainsi, elles peuvent détecter les talents et pourront ensuite, si le besoin s’en fait sentir, développer des hubs locaux. Le secteur de l’éducation se professionnalise et nous allons peu à peu vers un vrai fonctionnement d’entreprise sur un marché concurrentiel. Cette professionnalisation a eu le mérite de faire bouger les lignes traditionnelles de l’enseignement. Nous pensons, à France Business School, que c’est au moment d’une crise d’un modèle qu’on peut faire émerger de vraies innovations.

O. R : La nécessité de développer de nouvelles méthodes d’apprentissage correspond également à la demande d’une nouvelle population étudiante, plus connectée, moins passive.
F. M : L’étudiant doit être la personne la plus importante dans une école. Mais si vous lui proposez un modèle d’enseignement trop participatif il sera le premier à demander des cours structurés. Très « Y » dans sa vie personnelle, il reste très « X » dans sa vie professionnelle et Il faut lui expliquer ce qu’apportent les nouveaux modes d’apprentissage, notamment en mode projet. Ensuite, il faut garder en tête que l’innovation naît de frustrations et en particulier de frustrations du professeur ; jamais de la demande. Comme le disait Henry Ford, « si je n’avais écouté que les clients, j’aurais inventé un cheval plus rapide ».

O. R : Vous rappelez parfois que, de toute façon, il ne sert de toute façon à rien d’essayer de faire preuve d’autorité pour faire renaître un «bon vieux modèle d’enseignement».
F. M : Ce n’est pas vrai de dire que c’était mieux avant. Prenez l’exemple de la lecture et bien on les jeunes n’ont jamais autant lu qu’aujourd’hui, peut-être dix heures par jour, mais sur Internet, pas dans des livres, en cherchant ce qui leur est utile. Il faut vivre avec cela sans aucune nostalgie car celle-ci est l’ennemie de l’innovation. Un enseignant ne peut plus arriver en cours et dire qu’il est interdit de sortir son ordinateur. Je peux, au contraire, favoriser la prise de note collaborative en direct sur Google docs. Ainsi non seulement les étudiants prennent mieux leurs notes de cours mais peuvent ajouter des documents, des vidéos. Et ensuite l’enseignant peut compléter le tout de chez lui après le cours. Nous considérons, à France Business School, qu’il faut favoriser l’émergence d’une génération de « learning makers ».

O. R : L’un des principaux freins au développement des nouvelles pédagogies est souvent le refus, plus ou moins affirmé, des enseignants de s’y engager. Comment les motiver ?
F. M : Là encore la contrainte ne fonctionne pas. Il faut montrer aux enseignants tout ce qu’ils peuvent faire de plus, publier plus, être encore plus des experts de leur domaine. En tant qu’enseignant, j’ai longtemps protégé mes cours avant de comprendre, qu’au contraire,plus ils circulaient plus j’avais des chances qu’on me demande de venir les animer. Au sein de France Business School, nous capitalisons sur ce nouveau modèle pédagogique car on a perçu que ce système est une opportunité, pour les étudiants comme pour les enseignants, et non une contrainte.

O. R : Les technologies permettent de résoudre tous les problèmes ?
F. M : Non bien sûr et il faut prendre garde à ne pas tomber dans le piège de la « gadgétisation » d’une salle de cours classique. Les MOOC cela reste un enseignant qui met son cours en ligne sur une plateforme et des étudiants qui les téléchargent ; alors que les vrais enjeux sont dans les interactions. Ce que nous voulons à France Business School c’est préparer nos étudiants à acquérir les compétences que demandent les entreprises pour le monde du travail d’aujourd’hui et de demain. Leur donner une dimension éducative qui leur permettra de construire toute leur vie de nouveaux savoirs et d’évoluer.

O. R : Justement, qu’est-ce que demandent les entreprises aujourd’hui en priorité aux jeunes diplômés ?
F. M : Comment ils se tiennent au courant, par quels réseaux ils sont connectés, quelle est leur capacité à travailler en groupe, en distantiel avec des équipes qui seront présentes et distantes. Le campus du futur c’est Google+ pas les amphis d’hier de La Sorbonne ou d’Harvard. De la même manière, l’une des questions majeures à laquelle nous devons répondre est celle de la plus ou moins grande spécialisation de nos étudiants. Et la réponse est qu’il faudra à l’avenir être de plus en plus multi spécialisé. Pas forcément pour changer d’entreprise dix fois dans sa vie mais pour effectuer plusieurs tâches différentes dans la même. Il faut apprendre à comprendre et arrêter d’opposer formation et éducation.

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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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