ECOLES DE MANAGEMENT, POLITIQUE DE L'ENSEIGNEMENT SUPERIEUR

Nouvelles pédagogies : « We teach but do they learn? »

« Nous enseignons mais apprennent-ils ? » (« We teach but do they learn? »), cette question essentielle c’est celle que pose l’organisme d’accréditation américain AACSB aux business schools qu’il audite.  Prenant conscience de la masse de technologies et de méthodes nouvelles d’enseignement qu’il va falloir apprendre aux enseignants, l’ESSCA, l’une des toutes meilleures écoles de commerce postbac, a décidé de créer un Institut de pédagogie et de soutien à l’enseignement (IPSE) ouvert à tous ceux qui veulent améliorer leur pratique. Entretien avec son responsable, Stéphane Justeau.

Olivier Rollot : Il faut vraiment former les enseignants à la pédagogie ?

Stéphane Justeau : En France il est implicitement admis que détenir un doctorat suffit à faire de vous un enseignant alors qu’au Royaume-Uni, par exemple, il faut très souvent passer par un centre de pédagogie avant de pouvoir enseigner à l’université. Cette contrainte est souvent imposée par le fait que les institutions d’enseignement supérieur doivent pouvoir répondre positivement à la question que posent les organismes internationaux d’accréditation : « You teach but do they learn ? ». Oui nous leur enseignons mais cela suffit-il à en faire des apprenants ?

O. R : Les enseignants français n’ont pas conscience de cela ?

S. J : Ils ont été formés sur un modèle magistral et croient trop souvent avoir en face d’eux des clones d’eux-mêmes, des futurs docteurs. A l’université, mais a fortiori dans la plupart des grandes écoles de gestion, cela n’est vrai que dans environ 5% des cas. A l’Essca, nous proposons à ceux qui le souhaitent de venir vers nous pour améliorer leur pédagogie, pour développer leurs stratégies d’enseignement. Qu’il s’agisse de structurer des contenus, d’apprendre à mieux travailler en groupe, de gérer sa voix ou encore de mieux comprendre les modes d’apprentissage des étudiants. C’est cette expérience menée maintenant depuis deux ans en interne que nous venons d’ouvrir à tous. Et je peux vous dire que durant nos ateliers, les enseignants que nous formons sont ravis de parler de pédagogie.

O. R : Vous travaillez beaucoup sur la question de l’attention des étudiants.

S. J : C’est essentiel de réfléchir à cette question pour un enseignant. C’est même vital. Pendant un cours l’attention est croissante durant neuf à dix minutes puis décroit. Au bout de vingt minutes elle est réduite à la moitié de son maximum. Il faut donc un changement dans le cours : un changement de rythme, d’activité, de stratégie pédagogique. Nous proposons par exemple à nos enseignants d’utiliser des « télévoteurs », des boîtiers interactifs qui permettent de poser des questions aux étudiants. De savoir s’ils ont compris ou pas un élément du cours. Cela permet de faire repartir la courbe de l’attention et de redémarrer un nouveau cycle. D’autres techniques très simples permettent de maintenir l’attention des étudiants : faire des exercices ou des applications simples, évoquer l’actualité quand cela s’y prête, etc ?

O. R : Vous mettez également l’accent sur le travail de groupe.

S. J : Tout le monde dit qu’il faut faire travailler les étudiants en groupe… mais personne ne leur  apprend comment travailler en groupe, et encore moins aux enseignants comment les faire travailler en groupe. Or par exemple un sujet individuel ne fera pas forcément un bon sujet collectif s’il est trop facile à diviser en tâches individuelles, incitant ainsi les étudiants à travailler chacun de leur côté. Par nature, un sujet collectif doit être construit de telle sorte que les étudiants ne puissent faire autrement que d’effectuer les tâches ensemble.

O. R : Les étudiants sont-ils toujours demandeurs de travaux en groupe ?

S. J : Pas forcément. Il faut leur expliquer pourquoi on le fait, leur expliquer qu’on ne veut pas se débarrasser d’eux mais les travailler autrement. L’enseignant doit non seulement prendre du temps pour donner les consignes mais aussi pour expliquer aux étudiants l’intérêt de traiter le sujet en groupe et pas individuellement. Il est vrai que s’il est mal expliqué, un travail de groupe pendant une séance est susceptible d’être mal interprété par les étudiants qui peuvent facilement imaginer que l’enseignant est juste en train de chercher une stratégie pour ne pas avoir à enseigner.

O. R : En France, on a parfois l’impression que parents et étudiants veulent surtout accumuler des heures de cours. Est-ce le cas partout dans le monde ?

S. J : Aux États-Unis, au Royaume-Uni mais aussi dans le Nord de l’Europe ou en Asie, les cours ne dépassent pas les 10 ou 15 heures par semaine mais les étudiants travaillent énormément le reste du temps. Le cours a d’abord pour objet de permettre les échanges entre l’enseignant et des étudiants qui doivent avoir beaucoup travaillé le sujet qui va être abordé. En France, lors des trois premières années de l’enseignement supérieur notamment, nous sommes encore trop focalisés le nombre d’heure de face-à-face et pas assez sur le travail que les étudiants sont susceptibles de faire hors de la salle de cours.

O. R : Vous demandez également à vos étudiants de s’évaluer les uns les autres. Savent-ils le faire ?

S. J : Nous avons effectivement mis en place des grilles d’évaluations pour que les étudiants se notent entre eux lors des travaux de groupe. On constate qu’ils se donnent des notes souvent très justes. Un groupe peut vite exploser si certains sentent que d’autres en font moins. Savoir qu’ils pourront à un moment dire qui a été le plus actif permet de désamorcer les tensions. Par ailleurs, les compétences que nous cherchons à développer avec les travaux de groupes sont souvent inobservables par l’enseignant lui-même : ponctualité, capacité à animer une réunion, à organiser le travail de l’équipe, etc. Seul le groupe est en mesure d’avoir un regard sur cela et il est donc important de laisser à ses membres une occasion d’évaluer ces points.

O. R : La disposition de la salle joue également un rôle important dans les apprentissages.

S. J : Dans une classe classique (disposée avec des tables en rangs), il y schématiquement trois styles d’étudiants. Ceux qui se mettent dans les premiers rangs et qui veulent vraiment participer, ceux du milieu qui veulent juste écouter et ceux derrière qui se sentent moins concernés. Dans une disposition par exemple en marguerite comme celle de nos salles PECT (Pédagogie en Environnement Collaboratif et Technologique), avec des tables rondes entourées d’élèves, tout le monde est logé à la même enseigne.

O. R : Autre question énormément posée aujourd’hui : doit-on laisser les étudiants avec leur PC ouvert en cours ? Quitte à ce qu’ils contestent le cours en prenant appui sur tel ou tel enseignant, Prix Nobel, dont ils voient qu’il ne dit pas exactement la même chose que leur professeur.

S. J : Lorsque l’on enseigne aujourd’hui, il faut savoir admettre qu’on n’a pas la réponse à tout. Il ne faut pas se formaliser si un étudiant vous le fait remarquer. De plus en plus d’étudiants prennent des notes directement sur leur PC. S’ils s’en servent bien pour travailler, pourquoi les leur interdire ? Bien entendu, l’enseignant doit expliciter clairement les règles d’utilisation des ordinateurs dès la première séance et ne pas hésiter à les répéter.

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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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