En réunissant les forces de l’Université Paris-Est Marne-la-Vallée (UPEM), d’un institut de recherche spécialisé, l’IFSTTAR, d’une école d’architecture et des trois écoles d’ingénieurs l’université Gustave-Eiffel concentre un quart de la recherche française sur la « ville durable ». Une identité que sa marque même vient souligner. « Mais ce n’est pas notre seule identité, nous sommes et restons une université au service de son territoire et de la réussite de ses étudiants », explique son président Gilles Roussel, également président du comité éthique et scientifique de la plateforme Parcoursup.
Olivier Rollot : Comment se déroule cette rentrée ? On ne voit pas d’images d’étudiants en surnombre dans des amphis. Mais bien d’autres problèmes semblent se profiler à l’horizon…
Gilles Roussel : Cela n’a jamais été le cas dans notre université. Jusqu’ici tout va bien sachant que nous affrontons une problématique globale d’accroissement de la facture énergétique. Même si nous nous engageons dans des plans de sobriété énergétique, l’Etat pourra-t-il vraiment en compenser la totalité comme la ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche l’annonce ? Je ne doute pas de son honnêteté mais les montants s’annoncent vertigineux. Pour l’université Gustave Eiffel l’augmentation de la facture énergétique pourrait atteindre les 240% ! Nous passerions ainsi de 2 à 7 millions d’euros entre 2022 et 2023 sur un budget total de l’université de 240 millions d’euros.
S’y ajoute la couverture totale de la croissance de la masse salariale pour 2022 avec l’augmentation du point d’indice des fonctionnaires qui n’est couverte que pour 2023.
O. R : Comment pouvez-vous gérer cette crise énergétique qui parait de plus en plus inéluctable ?
G. R : La sobriété énergétique peut nous permettre de réduire de 10% notre consommation mais c’est loin de compenser la hausse. Plein de fausses bonnes idées sont sur la table. Le télétravail ou l’enseignement à distance par exemple n’empêchent pas totalement de chauffer les bâtiments et transfert le problème chez les personnels et les étudiants. C’est d’autant moins efficace pour nous qu’en région parisienne on se déplace essentiellement en transports en commun.
On nous dit de chauffer à 19°. C’est une bonne idée mais comment calcule-t-on une moyenne sur un bâtiment où, à chauffage égal, il fait de 15° à 24° selon les étages ? Il faudrait que nous nous outillions pour cela.
O. R : Les problèmes sont encore plus prégnants quand on parle de la recherche ?
G. R : Les équipement scientifiques posent des problèmes spécifiques. Un exemple : l’un de nos écoles d’ingénieurs, Esiee Paris, possède une salle blanche qui concentre à elle seule plus ou moins la moitié des dépenses énergétiques de l’école. Mais si on l’arrête on prend six mois pour la redémarrer en dépensant plus que ce que nous aurait fait économiser son arrêt.
Même chose dans d’autres universités pour les souches dans des étuves en température dont l’arrêt signifierait la perte de plusieurs années de recherche.
Aujourd’hui on se pose beaucoup de questions et cela nous permettra d’évoluer alors que la dépense énergétique n’était pas jusqu’ici un sujet majeur dans les laboratoires. Là nous devons réfléchir vite alors qu’on parle même de coupures électriques. Mais si le temps des coupures dépasse celui des batteries des onduleurs comment les maintenir ?
O. R : Vous avez pu parler de ces coupures possibles d’électricité avec les préfets qui sont en charge du problème ?
G. R : Pas encore. Nous allons le faire pour qu’ils prennent en compte nos spécificités. Nous allons aussi estimer ce qui peut être reporté ou pas.
O. R : Vous le disiez : il faut parer à l’urgence. Mais que faites-vous pour une transition énergétique de toute façon programmée ?
G. R : Avec le Plan de relance, nous avons déjà effectué ou commencé à effectuer des rénovations de nos bâtiments qui ne sont de toute façon pas en mauvais état mais doivent évoluer sur le plan de la transition énergétique. Nous avons également réalisé un PPP (partenariat public privé) énergétique dans le cadre du Plan campus pour diviser par trois la consommation de notre plus grand bâtiment sur le campus de Marne-la-Vallée. Par ailleurs, sur ce même campus nous raccordons nos bâtiments au réseau de géothermie de la communauté d’agglomération. Ce qui a été finalisé cet été. C’est plus compliqué dans nos campus de régions dont les bâtiments sont plus vieillissants, mais nous avons aussi des projets en cours.
O. R : Toutes ces thématiques prennent un relief particulier dans votre université qui se consacre assez largement à l’étude des villes et des processus d’urbanisation.
G. R : Nous sommes effectivement très présents sur ces problématiques. De ce point de vue le positionnement de notre université expérimentale était assez visionnaire. Il va maintenant s’appuyer sur une fondation qui verra le jour le 1er janvier 2023.
Aujourd’hui nous copilotons deux programmes prioritaires de recherche dont un autour des villes de demain et des bâtiments innovants. Avec le CNRS nous co-pilotons ce programme qui bénéficie d’un financement de 40 millions d’euros géré par l’Agence nationale de la recherche (ANR). Symétriquement nous co-pilotons avec IFP Énergies nouvelles un programme sur les questions de transports.
Mais ce n’est pas notre seule identité, nous sommes et restons une université au service de son territoire et de la réussite de ses étudiantes et étudiants, dont l’insertion professionnelle est très bonne.
O. R : La question du financement des universités repose beaucoup aujourd’hui sur des appels à projet. Auxquels postulez-vous particulièrement aujourd’hui ?
G. R : Aujourd’hui, au niveau de l’établissement nous déposons des projets en cohérence avec notre label I-site sur les villes de demain, qui entre dans sa deuxième phase après sa confirmation en 2021.
Nous avons déposé un dossier pour l’appel à projet Compétences et métier d’avenir pour développer les questions environnementales et énergétiques dans nos formations initiales dans la suite du Rapport Jouzel.
Nous avons également postulé à un autre appel à projet pour renforcer notre formation continue.
Nous sommes également lauréats de l’appel à projet ExcellenceS pour notre « fabrique de la ville durable » que nous allons développer en 2023 en rapprochant les démarches des collectivités territoriales de nos projets de recherche.
Dans le cadre de la stratégie d’accélération France 2030 nous avons déposé sur les questions de maturation et de prématuration avec plusieurs universités en France et les SATT (sociétés d’accélération du transfert de technologies) pour renforcer les questions d’innovation et de start up issues de nos laboratoires, sur les questions de villes et de transports.
A l’international nous avons des projets de doubles diplômes et de laboratoire internationaux associés comme celui monté au Canada avec l’universités de Sherbrooke. Nous avons également monté un projet d’université européenne, toujours dans le domaine de la ville de demain, qui n’a pas été retenu dans un premier tour et que nous allons retravailler.
O. R : Que pensez-vous de la création d’un socle de compétences en matière de transitions. N’est-ce pas antinomique avec la liberté pédagogique des enseignants ?
G. R : Pas pour un socle de compétences qui est transversal aux disciplines. L’idée n’est pas d’imposer un socle mais d’avoir une approche compétences en génie civil comme en sciences humaines et sociales ou en économie. Ce sont les chercheurs qui apporteront les compétences nécessaires en travaillant ensemble sur des sujets interdisciplinaires.
O. R : L’une des grandes spécificité de l’université Gustave-Eiffel est d’être l’université qui compte le plus important pourcentage d’apprentis. Où en êtes-vous alors que les niveaux de prise en charge des contrats d’apprentissage par France Compétences évoluent ?
G. R : Nous comptons effectivement 24% d’apprentis parmi nos 17 000 étudiants. Nos niveaux de prise en charge évoluent un peu, à la hausse comme à la baisse, mais sans alerte majeure pour l’instant et même si nous restons très vigilants. Nos contrats d’apprentissage restent bien financés sachant que les entreprises ne nous accompagnent pas dans d’éventuels « reste à charge ».
O. R : C’est une question qui vous concerne à double titre en tant qu’université possédant à la fois des école d’ingénieurs et des instituts universitaire de technologie (IUT). A quel niveau pourra-t-on dans l’avenir intégrer des Grandes écoles ? Autrement dit faudra-t-il absolument obtenir son BUT ou sera-t-il possible de postuler après deux années de BUT ?
G. R : Les école d’ingénieurs se sont prononcées dans le sens d’une création de passerelles après un BUT2. Il leur faut maintenant définir comment la transition aura lieu quitte à créer une partie spécifique de formation pour ces étudiants. D’autant que des étudiants ont intégré un BUT dans cette logique.
Inversement nous faisons également face à la problématique de savoir quels flux d’étudiants vont entrer en troisième année de BUT. Tous les IUT n’ont d’ailleurs pas la même facilité à intégrer tous les BUT2 en troisième année selon qu’ils délivraient ou pas des licences professionnelles jusqu’ici avec les moyens afférents.
2023 est une année charnière pour le BUT, car nous n’avons pas de recul sur la formation et les choix que feront les étudiants en cours de cursus.
O. R : Le ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche va lancer en 2023 un « Parcoursup des masters ». En quoi cela va-t-il améliorer la sélection à l’entrée en master ?
G. R : A Gustave Eiffel nous avons toujours moins de places que de candidats mais sans baisse très forte entre la licence et le master comme en droit ou en psychologie. Au global sur tout le territoire on constate des difficultés d’adéquation. Une régulation nationale apporterait beaucoup car nous ne sommes surs qu’au dernier moment des étudiants qui vont finalement intégrer nos masters. Avec la nouvelle plateforme nous pourrons beaucoup mieux gérer les flux.
Par ailleurs l’université Gustave Eiffel a créé un Observatoire national des discriminations et de l’égalité dans le supérieur (ONDES) que nous mettons à disposition de l’ensemble des établissements pour objectiver leurs recrutements.
O. R : Et sur Parcoursup, dont vous présidez le Comité éthique et scientifique, que reste-t-il à améliorer ?
G. R : Parcoursup fonctionne bien, voire très bien. Il faut sans doute encore améliorer sa transparence pour le rendre plus compréhensible. Mais on ne pourra jamais permettre à tout le monde d’aller dans n’importe quelle formation.