Après avoir dirigé l’École normale supérieure (ENS), Monique Canto-Sperber est devenue en 2012 présidente de l’université de recherche Paris Sciences et Lettres (PSL) qui réunit aussi bien l’ENS que le Collège de France, l’université Paris Dauphine ou encore les Beaux-Arts de Paris. Un ensemble d’excellence de niveau mondial qui provoque parfois bien des jalousies mais n’en trouve pas moins peu à peu sa place dans un enseignement supérieur en mutation perpétuelle. Entretien.
Olivier Rollot : A l’exception de Paris-Dauphine vos écoles membres sont ouvertes après la licence. Vous avez donc eu l’idée de créer le « cycle pluridisciplinaire d’études supérieures » avec le lycée Henri-IV. Comment s’est déroulé le recrutement de la première promotion ?
Monique Canto-Sperber : Nous avons reçu 58 élèves, tous titulaires de mentions Bien et Très bien au bac. 75% sont des boursiers, parfois de milieux extrêmement défavorisés, beaucoup viennent de province et nous les logeons ensemble à la Cité universitaire pour que se crée un esprit de corps et qu’ils se soutiennent les uns les autres.
O. R : On parle de plus en plus aujourd’hui de licences pluridisciplinaires. Comment avez-vous construit votre cursus ?
M. C-S : Nos élèves, qu’ils soient scientifiques ou littéraires, ou en sciences sociales, commencent leurs cursus par un tronc commun qui comprend une formation aux techniques d’expression écrite et orale, de l’anglais et un cycle de conférences et de recherche. Mais ils ont aussi des enseignements spécifiques à la filière qu’ils ont choisie : sciences, humanités ou sciences économiques et sociales. Ils se spécialisent vraiment en deuxième année, qu’ils suivent à l’EPSCI ParisTech pour les sciences, les Mines pour les sciences économiques et en partie à Louis-Le-Grand pour les humanités.
O. R : Le succès semble être là. Vous comptez faire augmenter vos effectifs ?
M. C-S : Pas en première année mais plutôt en deuxième avec un objectif de 40 élèves par section qui seront reçus directement.
O. R : Si vous ne les aviez pas sélectionnés pour entrer dans ce cursus, ces étudiants ne seraient pas allés en classes prépas ?
M. C-S : Non parce que la prépa est un autre univers dans lequel ils ne se sentent pas prêts à entrer. Notre premier cycle – nous ne pouvons pas l’appeler licence car il est sélectif – cherche à réunir les avantages de la prépa et de la recherche pour former des esprits du XXIème siècle. Nos enseignants-chercheurs sont très investis dans un programme qu’ils ont écrit.
O. R : Les élèves de classes prépas ne suffisent pas pour remplir les bancs de vos écoles ?
M. C-S : Dans la mesure où ne savons pas comment les prépas vont évoluer pourquoi ne pas former nous-mêmes selon nos pratiques des jeunes qui pourraient ensuite admis dans nos cursus ? Et pourquoi se cantonner à un seul modèle de formation ? D’excellents élèves ne vont pas aujourd’hui en prépas. Et pas seulement pour des problèmes d’origine sociale. Des divorces, des crises d’adolescence ou tout simplement une maturation différente conduisent d’excellents profils vers d’autres voies. Ce que nous cherchons pour nos écoles, à tous les niveaux, ce sont des jeunes solides qui ont envie de beaucoup travailler. Mais sans modèle unique.
O. R : Ce premier cycle estampillé « PSL » va-t-il être suivi d’autres formations ?
M. C-S : L’école doctorale PSL est en voie de construction et nous sommes en train de construire des cursus réunissant les compétences de plusieurs écoles : l’EnsAd et Chimie ParisTech travaillent par exemple sur un cursus d’ingénieur-designer, l’ESPSCI ParisTech et Paris-Dauphine sur un cursus de journalisme scientifique. Au-delà nous voulons fédérer les étudiants et nous avons réuni tous les BDE (bureaux des élèves) qui ont créé une équipe sportive PSL et un orchestre. A l’exception de Dauphine et des écoles d’art, l’ensemble des autres écoles de PSL se retrouve finalement sur un périmètre assez resserré au cœur de Paris, ce qui nous permet de créer un esprit de campus.
O. R : Des écoles parisiennes de ParisTech (l’ESPCI, les Mines et Chimie), font partie de PSL. Comment parviennent à conjuguer ces deux rattachements ?
M. C-S : ParisTech est aujourd’hui essentiellement un label sans commune mesure avec Paris Sciences et Lettres, qui est un vrai projet commun et fédérateur de grandes écoles et d’institutions qui fondent leur réflexion sur la recherche.
O. R : L’ENS, Paris Dauphine mais aussi le Conservatoire national supérieur d’art dramatique ou la Fondation Rothschild, comment faites-vous pour faire travailler ensemble des institutions apparemment si différentes ?
M. C-S : Elles ont toutes un modèle commun de sélectivité de leurs élèves et, pour les membres fondateurs (*), de haut niveau de recherche. Ensuite nous travaillons ensemble sur un modèle proche de celui de l’université Oxford avec un cadre de référence qui n’intervient pas dans le pilotage des institutions.
O. R : PSL est aujourd’hui un PRES (pôle de recherche et d’enseignement supérieur), demain ce sera une « communauté scientifique », selon la nouvelle terminologie qui semble devoir être adaptée avec la loi à venir sur l’enseignement supérieur et la recherche, comment imaginez-vous ce passage d’un statut à l’autre ?
M. C-S : Sereinement même si nous avons encore des doutes quant à la gouvernance de ces nouveaux ensembles, notamment sur la représentation dans le conseil d’administration de tous les directeurs des établissements, qui nous semble absolument indispensable. Sur les autres points, nous avions déjà un conseil académique et approuvons l’entrée de personnalités qualifiées. Mais était-il vraiment si urgent de changer des statuts que nous venons à peine d’adopter ?
(*) Collège de France, Chimie ParisTech, Ecole normale supérieure, ESPCI ParisTech, Institut Curie, Observatoire de Paris et Université Paris-Dauphine. Mines ParisTech est en train de rejoindre un ensemble qui compte également cinq écoles d’art (Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris, Ecole nationale supérieure des Beaux-Arts, Conservatoire national supérieur d’art dramatique, Ecole nationale supérieure des arts décoratifs, Fémis) et le Lycée Henri-IV.