Le débat entre Frédérique Vidal (ex-ministre de l’ESRI), Thierry Coulhon (HCERES), Estelle Iacona (Paris-Saclay), Julien Jacqmin (Neoma), et Jean Winand (ancien vice-recteur de l’université de Liège) animé par Sarah Piovezan pour l’AEF et Olivier Rollot pour HEADway Advisory.
On les aime quand on est au pinacle. On les déteste le reste du temps. Depuis plus de 30 ans classeurs et classés s’écharpent dès qu’un classement est publié. Le 7 décembre dernier la conférence-hommage à Patrick Fauconnier, fondateur du magazine Challenges et grand créateur de classements s’il en fut, a justement été consacrée à l’influence des classements dans l’enseignement supérieur. Nous y revenons dans un autre article avec des éléments de réflexion tirés de la recherche académique par la chercheuse et consultante de HEADway Advisory, Juliette Berardi. Mais déjà trois point à retenir .
Définir des méthodologies. Il ne faut jamais l’oublier : les classements sont des enfants plus ou moins adultérins des accréditations. Quand, au début des années 2000, l’Etudiant commence à réfléchir à une nouvelle méthodologie pour son classement des écoles de commerce, la Cefdg (Commission d’évaluation des formations et diplômes de gestion) vient de voir le jour et son rédacteur en chef de l’époque, Philippe Mandry, saura s’en inspirer. Pour autant d’autres critères que ceux des accréditeurs sont pris en compte et… peuvent évoluer. Avec des effets de bord parfois déroutants. C’est ce qu’a fait cette année l’Etudiant pour son classement des écoles de management en faisant ainsi rétrograder une école du top 10.
En 2023 c’est un leader mondial qui s’apprête à faire de même. Il y a maintenant 18 ans que le Times Higher Education publie des classements des universités. Depuis son lancement, la méthodologie a été modifiée à plusieurs reprises, mais considérablement modifiée une seule fois, en 2011. Une nouvelle adaptation va maintenant avoir lieu. Comme l’explique le THE « le monde a beaucoup changé depuis lors, et il est maintenant temps de passer au Classement mondial des universités 3.0, avec une autre mise à jour importante de la méthodologie ». La nouvelle méthodologie sera « plus perspicace et robuste, mais avec des exigences minimales de collecte de données supplémentaires pour les universités ».
Les classements c’est aussi un business. On le sait, les classements sont d’abord pour les médias qui les réalisent un immense réservoir d’audience et de publicité. Mais pas seulement. Certains organisent également des sessions de préparation. Témoin ce message du Times Higher Education qui, en abscisse de son message sur son changement de méthodologie, précise que « pour vous guider à travers les changements, nous organisons une série de webinaires de masterclass la semaine prochaine, deux le lundi et deux le jeudi. Inscrivez-vous et voyez ce qui change ». Enfin d’autres instituts, pas des médias ceux-là, demandent une participation financière aux établissements qui souhaitent être classés.
Ces classements sont devenus une véritable industrie. Pour preuve ci-dessous le calendrier de sortie des classements opérés par le Times Higher Education en 2023 :
25 janvier – World’s most international universities
15 février – Best staff-to-student ratio
6 mars – Women-led universities
23 mars – Japan University Rankings
29 mars – China Subject Ratings
3 mai – Highest proportion of international students
30 mai – Impact Rankings
22 juin – Asia University Rankings
Early juillet – Latin America University Rankings
9 août – Best small universities
26 septembre – World University Rankings
Le début de la fin ? Certaines facultés de droit des universités américaines ont décidé de ne plus répondre aux questions de US News. Les universités chinoises sont sommées par leur gouvernement de ne plus répondre aux classeurs anglo-saxons, au prétexte que leurs critères favoriseraient trop les universités des pays dont ils sont originaires. Dans une tribune publiée par University World News et (Pressure on rankings may lead to a more meaningful exercise), la coéditrice du « Research Handbook on University Rankings: Theory,methodology, influence and impact », Ellen Hazelkorn, s’interroge : « Est-ce le début de la fin ? Au cours des dernières années, les reportages et les blogs ont été remplis d’histoires et d’articles de commentaires sur les classements des universités et leur avenir. Certains demandent si cela pourrait être la pente glissante vers leur disparition tandis que d’autres sont plus sceptiques ». Beaucoup s’en réjouiraient.
Mais que serait un monde sans classement ? Il y a quelques années l’ENS Ulm avait décidé de ne plus répondre aux questions des magazines qui classaient les classes préparatoires au motif que cela favorisait notamment certaines en « reproduisant toujours le même modèle ». Oui mais sans information accessible par tous ce sont les seuls initiés qui ont les informations. D’ailleurs le boycott n’avait pas eu beaucoup d’effets dans la mesure où les classes préparatoires elles-mêmes finirent rapidement par communiquer leurs résultats qu’il était facile de corroborer par les médias. Et que serait la réputation des business schools françaises sans les classements du Financial Times qui les portent aux nues ? Que serait la réputation de Paris-Saclay sans le Classement de Shanghai…