La directrice générale de l’Institut Mines-Télécom (IMT), Odile Gauthier, a présenté fin 2022, la stratégie d’ensemble 2023-2027 de son groupe. Elle revient avec nous ce qui caractérise le modèle de son institut après un peu plus de dix années d’existence.
Olivier Rollot : Comment définiriez-vous aujourd’hui le modèle de l’Institut Mines Télécom (IMT) après un peu plus de dix ans d’existence ?
Odile Gauthier : L’IMT est toujours en construction avec un modèle d’écoles réparties sur tout le territoire et insérées dans un groupe qui leur apporte ses ressources, partage les compétences et les mutualise le cas échéant. Ses écoles évoluent en continue, structurées autour de départements qui font à la fois, et de l’enseignement et de la recherche.
Nos écoles sont profondément ancrées dans leur environnement local et partagent leurs connaissances au profit d’une recherche d’excellence notamment dans le cadre des unités mixtes de recherche (UMR) avec les universités et de laboratoires communs industriels. IMT Mines Albi est, par exemple, partenaire de l’université de Toulouse.
Notre modèle reposant sur la force du collectif et sur l’ancrage local des écoles nous permet de répondre aux enjeux des grandes filières industrielles à différentes échelles : locale, nationale et européenne. Nous avons la capacité de mobiliser les compétences et expertises de différentes écoles pour répondre aux demandes que nous posent les entreprises. Par exemple, une école qui se verra soumettre un projet autour de la logistique pourra avoir besoin d’intégrer les compétences en matière de cybersécurité d’une autre école.
Après, il faut aussi trouver le meilleur périmètre de collaboration. Avec l’expérience nous sommes arrivés au constat que les écoles travaillent mieux à trois ou quatre qu’à sept ou huit où la coopération est plus lourde. Selon les domaines, nous pouvons créer des communautés d’enseignants-chercheurs qui vont déposer des projets ensemble.
Nous avons adopté ce modèle souple par exemple pour postuler aux appels à projet Compétences et métiers d’avenir (CMA), avec succès d’ailleurs puisque trois projets portés par l’Institut Mines-Télécom ont été retenus. Le projet Train-Cyber-Expert (TCE), directement lié aux questions de souveraineté numérique et de cybersécurité, Formation en Numérique pour la Santé et la Médecine 5P par l’innovation ainsi qu’un projet lié au futur des réseaux. Nous allons ainsi pouvoir accélérer le montage ou l’adaptation de formations existantes aux besoins de compétences des nouvelles filières et des métiers d’avenir et former plus.
En résumé, les écoles de l’Institut Mines Télécom gardent leur autonomie tout en bénéficiant de l’effet de groupe pour monter en puissance et mener ensemble des projets d’envergure. Elles acquièrent également potentiellement plus de lisibilité à l’international en formant ensemble une masse critique. Nous avons ainsi pu déposer un projet d’université européenne Eulist avec neuf autres universités de technologies européennes. Une école ne pouvait se positionner seule pour intégrer un consortium.
O. R : Qu’est-ce que cela change d’être sous tutelle du ministère de l’Economie plutôt que de l’enseignement supérieur ?
O. G : Notre ministère de tutelle attend aujourd’hui principalement de nous que nous répondions aux besoins des entreprises en augmentant le volume d’élèves formés tout en maintenant bien sûr la qualité et la réponse aux besoins sur le fond. Notre orientation vers les entreprises est réelle avec pas moins de 7 000 partenariats.
Dans la recherche, nous efforçons de nous focaliser sur des filières stratégiques (par ex en lien avec les PEPR) tout en restant agiles. Nous devons aussi nous concentrer sur certains sujets comme les Deep tech – dont font partie les Low Tech – pour contribuer au développement de nouvelles entreprises. Nous accompagnons également les entreprises dans leur recherche avec par exemple au campus Région du numérique, la plateforme industrielle DIWII de Mines Saint-Etienne à Charbonnières. Elle accueille par exemple, un projet d’optimisation des flux avec Orange Business Service.
Pour le reste, notre fonctionnement n’est pas très différent des autres établissements d’enseignement supérieur. Notre Contrat d’objectif et de performance (COP) possède le même type indicateur avec évidemment une focalisation plus importante sur le soutien à l’innovation et l’accompagnement des PME et ETI que dans une université.
O. R : Etre un institut national cela ne complique pas quand même les choses quand le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche (MESR) favorise les politiques de site ?
O. G : Effectivement nous ne pouvons pas répondre à certains appels à projet parce que nous ne sommes pas un site. Nous sommes complémentaires sur chaque site avec une dimension nationale.
O. R : L’IMT c’est huit écoles membres, deux écoles filiales mais aussi six écoles partenaires. Comment se nouent les relations avec ces écoles du deuxième cercle ?
O. G : Ce sont des écoles d’ingénieurs qui nous ressemblent et qui ont des compétences de même nature ou complémentaires de nos écoles. Nous sommes, par exemple, partenaire de Télécom Physique Strasbourg au sein du l’Institut Carnot Télécom & Société numérique. Tutelle de l’école, l’université de Strasbourg la laisse lier des partenariats et entrer ainsi dans un réseau. A Clermont-Ferrand, Sigma a déposé avec nous un projet sur l’industrie du futur, « Parcours » dans le domaine de la formation tout au long de la vie. Dans les deux cas, il s’agit de territoires sur lesquels l’IMT n’a pas d’école. Je pourrais également citer Télécom Saint-Etienne qui apprécie de pouvoir travailler avec Mines Saint-Etienne et plus largement l’IMT. Et à Paris nous consolidons nos partenariats avec Mines Paris même si nous nous séparons d’Armines.
O. R : Pour se maintenir à un bon niveau technologique les écoles d’ingénieurs ont de gros besoins financiers. Avez-vous les moyens de vos ambitions ? Vos frais de scolarité sont-ils assez élevés par exemple ?
O. G : Il nous faut effectivement posséder des équipements de pointe pour former nos étudiants à l’état de l’art. Aujourd’hui, nous trouvons des moyens dans les collectivités, auprès du Secrétariat général pour l’investissement (SGPI), avec les appels à projet comme les CMA que je citais, et dans les entreprises. Celles-ci participent de façon déjà importante dans le cadre de mécénat, de chaires d’entreprise et de contrats de recherche.
Quant à nos droits de scolarité, ils ont augmenté de 10% cette année afin de rattraper l’inflation pour atteindre les 2650€ pour les étudiants européens dans nos écoles d’ingénieurs (et 7750€ à Institut Mines Télécom Business School). Cela reste des montants raisonnables d’autant que les boursiers sont exemptés.
Nous discutons dans le cadre de notre Contrat d’objectif et de performance, de l’idée de proposer dans les années à venir trois ou quatre catégories de droits de scolarité selon les moyens des familles. Les montants de la catégorie la plus forte seraient beaucoup plus importants qu’aujourd’hui mais avec une moyenne générale autour des 3 000/3 500€. Cela ne sera sans doute pas décidé avant 2024.
Si nous devions avoir des montants de droits de scolarité comparables à ceux des écoles privées alors la subvention de l’Etat serait presque intégralement consacrée à la recherche.
O. R : Où en est le développement de l’apprentissage dans vos écoles ? Et du nombre de boursiers ?
O. G : Le nombre de nos élèves qui suivent leur cursus en apprentissage a augmenté de 45% ces cinq dernières années. Ils représentent aujourd’hui entre 30 et 35% de nos promotions. Au vu de la dynamique nous pourrions atteindre les 40 à 50% sans en faire pour autant un objectif précis à ce stade. Sans doute en lien avec le développement de l’apprentissage, le pourcentage de boursiers est quant à lui en légère baisse et est passé sous les 30%.
O. R : Le pourcentage de femmes progresse-t-il dans vos écoles d’ingénieurs ?
O. G : Il est de 28% mais ne progresse plus avec la réforme du bac, qui a vu beaucoup de jeunes filles se détourner des mathématiques. Pour compléter les actions d’ores et déjà mises en œuvre par les écoles, nous avons lancé cette année dans les collèges et lycées le programme « Ambassadrices » pour présenter de façon plus structurées aux jeunes filles ce que sont les études d’ingénieurs et les débouchés qu’elles permettent notamment dans le numérique ou l’industrie qui a encore un déficit d’image.
O. R : Comment se positionne Institut Mines Télécom Business School au sein de la communauté des écoles de management ? On a constaté en 2022 qu’elle ne faisait pas le plein d’élèves issus de classes préparatoires.
O. G : Les écoles de management ont toutes de plus en plus de mal à recruter, le volume d’élèves issus de classes préparatoires étant en baisse. Nous avons pourtant tenu à maintenir le même niveau de sélectivité et de barres sans penser à remplir forcément l’école. Nous acceptons cette la baisse de volume de notre programme Grande école.
Le classement d’Institut Mines Télécom Business School ne reflète pas sa plus-value et la valeur de ses étudiantes et étudiants. Elle ne figure pas dans le top 10 des écoles alors que ses diplômés en sortent avec des très beaux salaires de par sa spécificité dans le management des technologies. Nous délivrons des compétences spécifiques sur le numérique – 5G, data, régulation des plateformes, souveraineté numérique, etc. – mais aussi sur la responsabilité sociale et environnementale (RSE) – économie circulaire, transformations environnementale des entreprises, etc. – qui sont pleinement intégrées dans nos communautés scientifiques. Nous tenons à conserver ces spécificités.
Par ailleurs, nous souhaitons développer l’Executive Education et les partenariats internes à l’IMT dans ce domaine pour créer des formations hybrides. Les conditions d’accréditation des business schools ont nui à ce modèle hybride dans lequel nous avions une longueur d’avance que nous voulons remettre au goût du jour. Par exemple les masters internationaux conjoints à l’Institut Mines Télécom Business School et à IMT Nord Europe (co-accrédités avec l’Université de Lille) développent des cursus qui font se succéder deux semestres à IMT Nord Europe, un semestre à Institut Mines Télécom Business School et un semestre de stage. Ce type de diplôme pourrait se développer à l’avenir.
O. R : Sa stratégie d’ensemble en atteste. L’Institut Mines Télécom est aujourd’hui pleinement mobilisé par les transitions environnementales et énergétiques. Vous êtes vous même très impliquée dans les questions de transition écologique pour avoir dirigé auparavant le Conservatoire du littoral après avoir été directrice de l’eau et de la biodiversité au sein du ministère de l’Environnement. Comment cet engagement se traduit-il ?
O. G : Des modules de base obligatoires ont été créés dans chacune des écoles pour l’intégration de cette réflexion systémique dans tous nos parcours. A l’été 2022une école d’été a regroupé de nombreux enseignants pour qu’il travaille à l’intégration de ces problématiques dans leurs enseignements. Mais cette intégration compète prendra du temps. Le plan stratégique d’IMT Mines Alès prévoit par exemple que 50% des enseignements aient cette dimension dans les cinq ans à venir. Nous allons publier prochainement un guide sur l’usage des controverses dans la formation qui mettra principalement l’accent sur les questions de transition écologique.