C’est là qu’on s’attendait le plus à des incidents et c’est là qu’ils surviennent. Ce mercredi 29 novembre ils étaient une cinquantaine d’étudiants, pro palestiniens d’un côté et de l’Union des étudiants juifs de France (UEJF) de l’autre, à se retrouver devant Sciences Po pour s’invectiver, heureusement sans incident. Si en France les débats liés au conflit entre Israël et le Hamas sont loin d’atteindre la virulence qu’on observe aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni, ils n’en sont pas moins réels et peuvent atteindre toutes les institutions. Les établissements se demandent comment les gérer en balançant entre un silence total permettant d’éviter tout conflit et leur mission d’explication et de débat. Mais comment débattre de façon apaisée quand les tensions atteignent un tel niveau ?
Des universités impactées. Aujourd’hui deux universités sont particulièrement impactées par le conflit : Paris-Nanterre et Sciences Po. A Nanterre les activistes pro-palestiniens, composé de membres du NPA et de la branche locale de l’Unef, sont particulièrement actifs au point d’inquiéter les étudiants juifs. La ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, Sylvie Retailleau, est même venue le 21 novembre y rencontrer des personnels qui agissent au quotidien contre l’antisémitisme, qu’elle a qualifié de « fléau », avec des actes « intolérables ». Deux plaintes « articles 40 », concernant un tract et une vidéo antisémites, ont été déposés à l’université de Nanterre et sont en cours d’investigation. De plus des tags antisémites ont été constatés mais ont été effacés.
Sciences Po est doublement affecté : à Paris et sur son campus de Menton, où l’IEP dispense sa mineure « Méditerranée-Moyen-Orient ». A Paris le 27 octobre plusieurs dizaines d’étudiants, les bouches barrées de Scotch noir et affiches à la main, avaient défilé pour réclamer la fin des « massacres à Gaza » (lire dans L’Obs). Un mois après c’est devant les portes de l’institut qu’ils étaient venus manifester et se sont retrouvés face à aux étudiants de l’UEJF. «Nous avons eu vent qu’un rassemblement allait s’organiser ce midi devant Sciences Po. Alors, ce matin, nous avons vite organisé le nôtre. On s’est dit qu’on allait prendre deux ou trois pancartes et tracts et venir pour avoir enfin une confrontation de terrain», explique au Figaro Samuel Lejoyeux, président de l’UEJF.
A Menton c’est semble-t-il la volonté de la direction de dissuader des étudiants de soutenir ceux qu’ils désignent comme « résistants palestiniens de la bande de Gaza » qui a conduit certains de ces étudiants à rendre inaccessible le campus le 11 novembre pour faire valoir leur « liberté d’expression » (lire Le Figaro). Ils reprochent également à l’administration de l’école de faire passer sa réputation avant tout, quitte à se soumettre «aux pressions inacceptables des élus locaux qui menacent de réduire les financements de notre campus mentonnais ». De plus plusieurs étudiants, qui avaient partagé des stories de soutien à la Palestine, « ont reçu des mails de l’administration les « alertant » du potentiel caractère illégal de leurs posts », soutiennent les protestataires. Dans l’ensemble des autres Sciences Po, établissements éminemment « éruptifs » on le sait, les esprits semblent plus apaisés.
Autre exemple de tension : un étudiant chinois de l’École nationale supérieure d’art de Bourges (ENSA) est quant à lui proche d’être expulsé de France pour avoir tracé un graffiti mettant sur le même plan une croix gammée et une étoile de David. Comment l’explique l’article du Monde, Xilong C., 26 ans, a reçu un soutien massif des étudiants et des enseignants pour qui il ne s’est rendu coupable que de « maladresse », en utilisant des symboles dont il ne mesurait pas la portée. Le 13 novembre, la préfecture a notifié à Xilong C. le retrait de son titre de séjour, une obligation de quitter le territoire français (OQTF), assortie d’une interdiction d’y revenir pendant trois ans. Plus largement un article de Mediapart « dénonce un climat de « chasse aux sorcières » entretenu par le gouvernement pour toute parole jugée propalestinienne ».
Une polémique à HEC. Depuis plusieurs jours HEC est le théâtre d’une polémique après la publication d’un message jugé de soutien au Hamas par le Professeur Alberto Alemanno : « Horrifié par les attaques contre Israël, mais profondément mal à l’aise face au soutien unilatéral de l’Union européenne à Israël face aux attaques du Hamas. C’est aussi un soulèvement des colonisés. » Un terme de « colonisé » qu’il effacera ensuite mais qui n’a pas empêché des alumni de l’école de protester. Dans leur tribune, ils indiquent de plus qu’Alberto Alemanno aurait utilisé en public les termes de « génocide » et d’« apartheid » pour qualifier Israël.
Dans un poste sur X (ex Twitter) HEC répond : « Le Professeur Alberto Alemanno a récemment tenu sur ses réseaux sociaux personnels des propos qui ont suscité une vive émotion et pour lesquels il a depuis officiellement exprimé ses regrets. Ces propos expriment des opinions personnelles et n’engagent en aucun cas HEC Paris. ». Dans un autre message HEC établit que « Dans le contexte tragique actuel, le rôle d’HEC en tant qu’institution académique reste plus que jamais de faire avancer le dialogue et la connaissance tout en respectant la dignité et les sensibilités de chaque individu, ainsi que la liberté académique de ses professeurs ».
Aux Etats-Unis les polémiques continuent. Alors que les manifestations pro Hamas et pro Israël continuent sur les campus américains certains veulent aujourd’hui empêcher les manifestations mêmes. Le 6 novembre, l’université privée Brandeis du Massachusetts a annoncé qu’elle interdisait le groupe « Students for Justice in Palestine » de venir sur son campus, devenant ainsi la première institution privée à mettre en place une telle politique établit The Chronicle of Higher Education. Cette décision fait suite à l’ordre du gouverneur de Floride, Ron DeSantis, demandant aux collèges publics de son État de faire de même. Des donateurs d’universités américaines d’élite ont également réagi aux manifestants étudiants qui semblaient cautionner les actions du Hamas en exigeant que les institutions condamnent les personnes impliquées, menaçant de ne plus les financer si elles ne le font pas. Un certain nombre étudiants ont également subi des conséquences sur leur réputation et leur carrière en raison de leur participation à des activités pro-Palestine. Des questions que le gouvernement américain prend à bras le corps comme l’explique le site HigherEdDive : How the federal government is responding to campus antisemitism and Islamophobia.
Car l’impact dépasse le conflit pour venir affecter même les questions de liberté d’expression qui ont tant affecté les campus américain ces dernières années. Comme le remarque The Chronicle dans son article : « De nombreux progressistes qui rejetaient récemment les appels à la liberté d’expression font maintenant appel à leurs droits du Premier Amendement, tandis que beaucoup de ceux qui plaidaient pour un débat libre et ouvert demandent désormais des limites à la liberté d’expression, du moins en ce qui concerne la justification du terrorisme et la remise en question du droit d’Israël à exister ». La violence tétanise ainsi débat et réflexion en mettant en cause la mission même des universités comme l’exprime le Times Higher Education dans son article Speaking out on the Israel-Hamas conflict doesn’t mean taking sides où il rappelle que « les universités adoptent depuis longtemps des positions diverses sur des questions d’actualité difficiles, fières de leur capacité à intervenir de manière réfléchie et respectueuse ».