ECOLE D’INGÉNIEURS

« Le secteur du BTP fait face à une véritable pénurie d’ingénieurs spécialisés » : Jérôme Lebrun (ESITC Caen)

Ecole privée associative spécialisée dans les métiers du bâtiment et des travaux publics, l’ESITC Caen forme de plus en plus d’étudiants pour répondre aux besoins d’une profession qui recrute aujourd’hui de nombreux ingénieurs. Son tout nouveau directeur, Jérôme Lebrun, nous présente une école qu’il veut « ancrée dans le réel » pour rendre ses étudiants « rapidement opérationnels ».

Jérôme Lebrun
  • Créée en 1993, l’Ecole supérieure d’ingénieurs des travaux de la construction (ESITC) de Caen est reconnue par l’État et membre de la Conférence des Grandes Ecoles (CGE). Elle délivre essentiellement un diplôme d’ingénieur accessible aussi bien après le bac qu’en admissions sur titre. Les frais de scolarité sont de 4200€ par an 1ère et 2ème année puis de 6000€ les trois années suivantes.

Olivier Rollot : Vous allez considérablement augmenter la taille de vos promotions en 2016 en passant de 100 à 160 étudiants. Les besoins du secteur sont vraiment si importants ?

Jérôme Lebrun : Le secteur du BTP fait face à une véritable pénurie d’ingénieurs spécialisés. Avec le départ à la retraite des « baby-boomers » ce sont 134 000 personnes qui ont quitté le secteur en 2014 sur 1,2 million d’actifs. L’encadrement est particulièrement touché et des leaders mondiaux comme Vinci, Bouygues ou Eiffage risquent manquer de ressources qualifiées pour continuer à se développer à l’international. Même si en France le marché de la construction est quelque peu déprimé, les perspectives d’embauche restent excellentes au niveau ingénieur et 100% de nos 1000 diplômés ont aujourd’hui un emploi. Notamment parce que que ne travaillons main dans la main avec les fédérations professionnelles pour répondre à leurs besoins.

O. R : Qu’est-ce qui pousse un étudiant à choisir le BTP ?

J. L : Le BTP est un secteur qui représente quelque chose de visible et d’utile pour la société. Qu’on conçoive, fasse ou assure la maintenance d’un bâtiment, on peut travailler partout en France et dans le monde avec toujours le goût de la construction. Nos étudiants sont issus des filières S et STI2D dans une moindre mesure. Ensuite ils intègrent également l’école après un DUT, un BTS ou une prépa. L’idéal est de passer cinq ans pour maturer son projet.

O. R : On imagine que c’est un secteur particulièrement masculin. Vous formez également des filles ?

J. L : Oui et même beaucoup plus que la moyenne des écoles d’ingénieurs puisqu’elles représentent en moyenne un quart de nos effectifs (et même 28% dans la dernière promotion). Les métiers d’ingénierie du bâtiment correspondent très bien à leurs profils et beaucoup travaillent même sur des chantiers pour leur premier emploi. La fonction ingénieur travaux a en effet une dimension terrain qu’il est utile de connaître.

O. R : Vous allez également augmenter la superficie de vos locaux, situés au milieu du campus universitaire caenais, afin notamment d’accroître votre effort dans la recherche. Dans quelles directions axez-vous votre effort de recherche ?

J. L : Notre superficie va doubler avec toute une partie qui sera effectivement réservée à la recherche dans les matériaux. Prenez par exemple la question de l’évacuation des eaux de pluie. Les réseaux sont aujourd’hui prévus pour répondre à des niveaux de pluies décennales à centennales alors que les épisodes actuels sont tellement intenses que les efforts ne sont jamais suffisants. Il est donc nécessaire de développer de nouveaux matériaux et nos équipes de recherche ont eu l’idée d’en concevoir avec les résidus de coquillages. L’Institut national de la propriété industrielle (Inpi) a même sélectionné notre laboratoire parmi les trois les plus innovants de France ! Les Point P de Saint-Gobain vont maintenant en assurer la distribution et nous toucherons des royalties.

Nous travaillons également sur un béton qui intègre des fibres de lin – fabriquées en Normandie -, la défense des cotes attaquées par la montée des eaux ou encore la fixation d’hydroliennes dans le « Raz Blanchard », un passage marin du Cotentin où le courant marin est le plus rapide du monde et qui pourrait fournir beaucoup d’énergie… si on parvient à y placer des hydroliennes. Notre ancrage local fait partie de nos grandes forces.

O. R : C’est une possibilité qui intéresse de plus en plus les étudiants. Proposez-vous des doubles diplômes avec d’autres établissements ?

J. L : Nos étudiants peuvent obtenir également le diplôme de l’IAE Caen dans le cadre de leur scolarité en 5 ans s’ils choisissent l’option entrepreneuriat. 10 à 15% de nos étudiants suivent cette dernière option qui a ouvert il y a déjà plus de dix ans.

O. R : Vous êtes une école privée. Comment vous financez-vous ?

J. L : Les frais de scolarité que versent nos étudiants représentent environ la moitié de nos revenus, la taxe d’apprentissage 20%, les subventions du ministère de l’Education nationale, de l’enseignement supérieur et de la Recherche environ 11% et le reste provient de notre recherche ou d’entreprises. Nous postulons pour obtenir le label EESPIG (établissement d’enseignement supérieur privé d’intérêt général).

O. R : Vous versez également beaucoup de bourses à vos étudiants.

J. L : Les entreprises ne veulent pas que les frais de scolarité soient un frein à l’entrée dans l’école et 150k€ minimum par an de notre budget est consacré au paiement de bourses. Nous recevons également 20% d’apprentis. En tout près de la moitié de nos étudiants du cycle ingénieur sont aidés pour des montants qui vont jusqu’à 50% des frais de scolarité.

O. R : Vous parliez du développement des entreprises du BTP à l’étranger. Quelle dimension internationale avez-vous ?

J. L : Un trimestre à l’étranger est obligatoire et la cinquième année peut se dérouler à l’étranger. Dans l’autre sens, nous recevons chaque année des étudiants étrangers qui viennent travailler pendant un mois sur un appel d’offre en condition réelles face à d’autres équipes. La soutenance finale s’effectue 100% en anglais.

O. R : Vous travaillez beaucoup en « mode projet » ?

J. L : De de plus en plus comme par exemple avec un projet pluridisciplinaire de trois mois qui permet de confronter nos étudiants à des projets comme celui du « réaménagement d’une zone portuaire de Tanger » avec une soutenance collective face à des professionnels. D’autres travaillent à un projet de reprise ou création d’entreprise, notamment les élèves préparant le double diplôme avec l’IAE. Ils montent tout le projet et le présentent à KPMG et à une banque qui étudient la viabilité du projet. En moyenne un projet sur deux est finançable, ce qui est une bonne performance dans le monde professionnel. Nous voulons que nos étudiants comprennent bien ce qu’on attend d’eux, qu’ils soient ancrés dans le réel pour être opérationnels rapidement.

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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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