Au sein de la communauté des Insa, celui de Toulouse a toujours été celui qui portait le plus grand intérêt à sa dimension pédagogique. Parce que les lycéens ont de plus en plus de mal à intégrer les cursus scientifiques de l’enseignement supérieur, cette dimension est plus que jamais nécessaire explique son directeur, Bertrand Raquet. (Photo © Baptiste Hamousin)
Olivier Rollot : L’Insa Toulouse est depuis longtemps précurseur dans l’utilisation des nouvelles pédagogies. Quel bilan en faites-vous aujourd’hui ?
Bertrand Raquet : Il y a quinze ans que nous travaillons avec l’Université Catholique de Louvain sur les pédagogies et tout particulièrement sur l’apprentissage par projet (APP). Dès la première année de notre cycle en cinq ans nous proposons à nos étudiants la 1re semaine de cours en APP, comme entrée en matière. Pour autant, l’apprentissage par projet n’est pas majoritaire dans notre enseignement. Il faut viser des pédagogies plurielles pour satisfaire tous les profils d’étudiants alors que l’APP peut en dérouter certains. De plus c’est une méthode chronophage qui permet d’aller plus en profondeur dans l’appropriation des savoirs – on se souvient longtemps de ce qu’on a appris – mais peut réduire l’étendue des connaissances dispensées. De plus les étudiants en APP risquent de ne plus compter leurs heures au détriment d’autres disciplines. Nous pensons donc qu’enseigner une matière par semestre en APP est suffisant.
O. R : Tous vos professeurs sont aujourd’hui adeptes des nouvelles pédagogies ?
B. R : Nous délivrons un enseignement à la pédagogie à tous les nouveaux entrants, maîtres de conférence et professeurs, que nous recrutons avec un stage intensif à la rentrée et en tout quinze jours dédiés à la pédagogie leurs deux premières années. Il s’agit de leur présenter tout le champ des possibles (APP, amphis interactifs, outils numériques, vidéos, MOOCs) mais aussi comment basculer vers l’anglais pour une partie des cours. Cette pédagogie rejoint aussi les questions de diversité dans lesquelles nous sommes particulièrement investis avec l’Idefi « défi diversités » que nous partageons avec l’INP Toulouse, l’Isae et les Mines d’Albi.
O. R : Mais comment convainc-t-on un enseignant de prendre plus de temps pour innover dans sa pédagogie ?
B. R : Il n’y a pas de secret : dans le cadre du référentiel des équivalences horaires, il faut soulager l’enseignant lors des phases de développement de contenus interactifs, d’APP ou d’enseignements en anglais. Nous avons également créé un centre « ingénierie et innovation pédagogique » avec des locaux dédiés où se retrouvent professeurs et étudiants.
Les établissements publics doivent investir dans la production numérique pour y inscrire leurs expertises sinon ce seront d’autres structures peut-être moins légitimes qui le feront avec une approche davantage marchande. D’ici à 2020 nous avons pour objectif de dispenser 25% de nos enseignements « autrement ». Des vidéos pourront par exemple être utilisées pour que le temps passif de certains cours soit transféré vers des cours actifs.
O. R : C’est aussi rendu nécessaire par le profil actuel des lycéens ?
B. R : Il y a effectivement une vraie forme de difficulté à enseigner aux bacheliers actuels. La capacité à porter un raisonnement scientifique a baissé, la maîtrise des outils, notamment mathématiques est moins bonne. En cause l’hétérogénéité des heures d’enseignement : avec un même bac S, on peut observer des variations de 30% dans le volume de mathématiques enseignés en lycée !
Et pourtant que nous recevons les meilleurs profils : chaque année 300 étudiants sont reçus parmi 4000 candidatures. 80% ont eu une mention « très bien » au bac. Parmi eux beaucoup ne se sont quasiment jamais donné de mal pour apprendre et c’est une autre découverte pour eux que l’effort ! Nous avons donc dû ajouter à la rentrée 50 heures d’enseignement de maths supplémentaires en 1ère année. C’est nécessaire pour renforcer les fondamentaux et lutter contre l’échec : aujourd’hui, malgré notre sélectivité, 10% de nos étudiants redoublent leur 1ère année et 5% sont exclus.
O. R : Cette question de l’échec vous préoccupe beaucoup.
B. R : Ce n’est pas dans notre culture de voir des étudiants autant en difficulté. La création récente de sessions de rattrapage a marqué une évolution en profondeur de nos pratiques dans la mesure où certains les considèrent comme une partie intégrante du cursus. Si on n’y prend pas garde on peut perdre en qualité pédagogique vis à vis d’étudiants qu’on imagine de toute façon devoir aller au rattrapage. Nous souhaiterions rendre cette session inutile et nous créons un accompagnement à la carte avec notamment des oraux individualisés – en classe prépas on parlerait de « colle » – pour marquer nos étudiants à la culotte.
O. R : C’est d’autant plus nécessaire que vos étudiants ne sont pas forcément toujours soutenus par des parents qui ont les codes de l’enseignement supérieur ?
B. R : 44% de nos étudiants viennent de familles de catégories socio-professionnelles moyennes et faibles. Pour autant la cartographie de nos bacheliers est la même que partout. La diversité se crée également ensuite en recevant des élèves issus d’IUT, sportifs de haut niveau, artistes ou étrangers.
Si la très grande majorité de nos étudiants sont des bacheliers S, nous avons également une filière spécifique pour les STI2D qui reçoit 24 élèves chaque année. Le taux de réussite approche les 70%, nous y avons de très bons éléments qui apportent une vraie diversité des profils au point que nous souhaiterions doubler leur nombre. Et là aussi c’est une question de pédagogie avec une année de cours spécifiques qui leur sont délivrés, en ensuite un tutorat à la carte.
O. R : Vos formations s’inscrivent dans une démarche « compétences » ?
B. R : La Commission des titres d’ingénieurs (CTI) nous demande de décliner tous nos enseignements en compétences. Le plus dur ensuite c’est d’évaluer ce qui a été ou pas acquis par l’étudiant dans les enseignements, en stages, etc.
O. R : On en parle beaucoup aujourd’hui : vos étudiants sont-ils des créateurs d’entreprise ?
B. R : L’entrepreneuriat prend car les professeurs ont compris l’enjeu qu’il y avait à rendre nos étudiants créateurs d’entreprise. Nous sensibilisons nos étudiants par différents dispositifs de formation à la création d’entreprise, adossés à un fablab, tout au long des cinq ans du cursus. L’évolution des pratiques pédagogiques permet également de révéler une pensée innovante même si le résultat n’est pas totalement juste : dans les TD il faut être ouvert et noter aussi bien la démarche que le résultat.
Aujourd’hui nous souhaitons également institutionnaliser la place de nos écoles dans tous les concours technologiques (Eco-marathon Shell, Total Solar expert, etc.) pour déclencher chez nos étudiants la capacité à être plus autonomes et à se saisir d’objets inconnus.
O. R : Vous possédez un incubateur ?
B. R : Nous travaillons avec différents incubateurs dont celui de Toulouse BS et les cursus s’hybrident très bien avec leurs étudiants comme avec ceux de l’institut d’administration des entreprises. Nous avons également créé une cellule innovation/entrepreneuriat pilotée par un cadre extérieur à l’école qui a lui-même créé une entreprise. Le réseau des alumni nous soutient également et aujourd’hui 3 ou 4 entreprises sont créées chaque année par nos étudiants.
O. R : On dit qu’il manque aujourd’hui un milliard dans l’enseignement supérieur français. Comment se porte l’Insa Toulouse financièrement ?
B. R : Comme un peu partout nous avons une pyramide des âges difficile à gérer avec un vieillissement de nos personnels qui augmente mathématiquement les charges. Ce n’est pas facile à gérer et au fil des années, nous avons dû geler en tout 45 postes sur 400 fonctionnaires et 650 personnels en tout.
Nous avons certes d’importantes activités de recherche, avec une recherche contractuelle de l’ordre de 10M€, notre fondation décolle depuis 2013 (nous avons cumulé 500 000€ de dons), la formation continue se développe (500 000€ et une hausse de 20% par an), les contrats de professionnalisation également mais ce n’est pas simple de créer des postes pérennes à partir de ressources qui, par définition, ne le sont pas.
O. R : Avec les autres Insa (Centre Val de Loire, Lyon, Rennes, Rouen et Strasbourg) vous constituez un groupe. Comment faites-vous cohabiter son action avec celle de la Comue Université de Toulouse dont vous êtes également membre ?
B. R : Les Comue permettent une mise en cohérence des sites et ne sont en rien incompatibles avec une dynamique de marque nationale. A l’international nous concluons des conventions avec des universités en tant que groupe Insa : université institut de recherche et de formation en cinq ans qui compte 13 000 étudiants sur six sites en France. Nous faisons aussi cohabiter la fondation de l’université de Toulouse et la nôtre car nos partenaires industriels recherchent avant tout à adosser leur image à la marque Insa.