Pour la première fois, la France accueillait la semaine dernière la Conférence européenne sur l’égalité entre les femmes et les hommes dans l’enseignement supérieur et la recherche dont c’est la 9ème édition. L’occasion de se pencher sur un enseignement supérieur français où, si 33% des femmes sorties du système éducatif français sont titulaires d’une licence ou d’un diplôme supérieur contre 25% des hommes, elles sont en bout de course très peu nombreuses à diriger des établissements d’enseignement supérieur. Or lutter contre ce déficit n’est pas qu’une « question de justice sociale », défend Najat Vallaud-Belkacem pour laquelle la « diversité dans la gouvernance de nos universités est un vrai levier de changement et un atout qu’il faut valoriser ».
- Infographie : Campus France
Où sont les étudiantes ?
On le sait les études restent extrêmement influencées par le genre en France. Si 58% des titulaires d’un master sont ainsi aujourd’hui des femmes, elles sont 65% en droit-sciences politiques, 74% en langues ou encore 64% en santé? Il n’y a en fait qu’en « plurisciences » (47%), STAPS (29%) et sciences fondamentales qu’elles sont minoritaires.
- Infographie : Campus France
Sous le titre Les inégalités femmes/hommes dans l’insertion professionnelle des diplômé.e.s de master le ministère de l’Education nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche publie une note qui établit que, 30 mois après la validation du diplôme, l’insertion est similaire entre femmes et hommes mais que « les conditions d’emploi se caractérisent par de fortes disparités en défaveur des femmes ». Première explication : ce sont dans les domaines disciplinaires où la part de femmes est la plus élevée que les débouchés sur le marché de l’emploi sont les moins favorables. La part d’emploi stable atteint par exemple 57% pour les diplômés de SHS, contre 77% pour les diplômés de sciences-technologies-santé. Parallèlement, on constate de forts écarts entre salaires selon le domaine disciplinaire du master, allant de 310 à 360 euros (en salaires nets mensuels médians).
Est-ce une autre explication à cet écart qui se creuse entre les femmes et les hommes dès qu’on entre dans le monde du travail ? Les hommes sont en tout cas plus mobiles que les femmes (45,2% contre 39,8%) pendant leurs études selon une passionnante note sur Le genre et la mobilité étudiante internationale que Campus France a publié cette semaine. Une thèse que tiendrait plutôt à infirmer une toute nouvelle étude du Céreq qui établit que « pour des jeunes diplômés ayant le même profil – même niveau de diplôme, mêmes origines sociales et même sexe – avoir séjourné à l’étranger en cours d’études a un effet très limité ou nul sur la situation professionnelle à trois ans en France ».
- Infographie : Campus France
Où sont les dirigeantes ?
Si on excepte le Luxembourg (et sa seule institution d’enseignement supérieur), la France se classe à une calamiteuse dernière place dans le classement des directeurs/présidents (heads of institutions) que vient de publier la Commission européenne au sein de son document She Figures 2015. Avec seulement 10% de femmes à la tête d’institutions d’enseignement supérieur la France est bien loin d’une moyenne européenne (20,1%) que n’atteint pas non plus l’Allemagne (16,5%).
Malheureusement les élections des nouveaux présidents d’université n’ont pas permis de remonter la pente cette année quand les femmes restent également très minoritaires dans les directions des grandes écoles. Pour expliquer ce déficit, et pas seulement en France, Laura Downs professeur à l’Institut universitaire européen de Florence et chargée de résumer les débats de la conférence, stigmatise les « réseaux qui réunissent les hommes et favorisent les hommes blancs des CSP moyennes et hautes dans les carrières universitaires ». Présidente de l’Afdesri (Association des femmes dirigeantes de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation) et administrateur général de Grenoble INP, Brigitte Plateau travaille justement à créer un « vivier » de futures femmes dirigeantes : « Ce n’est pas vrai de dire qu’il n’y a pas suffisamment de femmes capables de diriger. Il faut juste organiser et prévoir leur montée en puissance en leur permettant de progresser peu à peu ».
- Lire aussi un entretien avec Isabelle Kraus, présidente de la conférence permanente des chargés de mission égalité-diversité au sein des universités : « Les moyens manquent pour mettre en œuvre la parité à l’université »
Mais il faut aussi passer par la loi pour faire avancer la cause des femmes à l’université. Des mesures législatives ou réglementaires ont ainsi permis aux conseils d’administration des universités d’être autant composés d’hommes que de femmes aujourd’hui. De la même façon les jurys de sélection des enseignants ont été largement ouverts aux femmes avec déjà des « résultats tangibles » se félicite Najat Vallaud-Belkacem qui publiera d’ici à la fin de l’année un observatoire des carrières dans son ministère. Pour aller encore plus loin, des journées de sensibilisation aux questions de genre sont organisées à destination de tous les responsables de l’enseignement supérieur par le ministère de l’Education nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche. Enfin, tout nouveau directeur de la recherche et de l’innovation de ce même ministère, Alain Beretz va être amené à travailler sur un rééquilibrage des jurys de recherche. Mais que de travail encore avant que la parité soit une réalité…
- Les conférences européennes sur l’égalité femmes-hommes dans l’enseignement supérieur rassemblent depuis 1998 chercheur.e.s, enseignant.e.s chercheur.e.s spécialistes de ces questions, responsables administratif.ve.s et politiques, praticien.ne.s et étudiant.e.s travaillant sur les politiques d’égalité femmes-hommes en Europe et ailleurs. Ces conférences permettent de partager les résultats de la recherche scientifique sur les changements et défis liés à l’égalité femmes-hommes dans le milieu académique, ainsi que la promotion et la mise en œuvre des politiques d’égalité dans les établissements d’enseignement supérieur et de recherche.
UN MANIFESTE POUR RENDRE L’ORIENTATION MOINS SEXUEE
Depuis 10 ans, l’Association Elles bougent fait découvrir aux collégiennes et lycéennes les métiers d’ingénieures et de techniciennes dans tous les secteurs industriels ou technologiques. Son constat : alors que la parité existe en Terminale S, seulement 10% des bachelières de la filière S choisissent des études de techniciennes ou d’ingénieures, contre 30% des garçons. A l’approche des élections présidentielles, l’association fait 5 propositions pour « faire bouger l’écosystème de l’orientation, afin de privilégier un choix de métiers plutôt que de formations, favoriser la mixité des filières et renforcer la féminisation des secteurs industriels et technologiques » :
1. Se baser sur des envies plus que des notes, pour choisir des métiers plus que des formations, au moment de l’orientation en multipliant les rencontres entre élèves et personnes en activité avec un ou plusieurs role models.
2. Créer un module d’ouverture au projet professionnel du collège au lycée, sur temps scolaire, pour permettre un réel accompagnement de l’élève
3. Faire des parents des alliés en institutionnalisant des journées annuelles dédiées à l’orientation pour les élèves et leurs parents.
4. Convaincre les médias de créer le « Docteur House de la technologie au féminin » pour s’inspirer de programmes qui ont fait exploser les vocations pour les secteurs qu’ils mettent en lumière.
5. Légiférer pour permettre aux établissements de favoriser la mixité dans les systèmes d’admission pour équilibrer le nombre d’admis en fixant un ratio de progression de 10% sur le nombre d’élèves du sexe le moins représenté, chaque année. Il s’agit d’appliquer un bonus au sexe le moins représenté dans le but, en première étape, d’atteindre, sous 5 ans, un quota de 30% minimum du sexe le moins représenté.