Ses trois années à la tête de emlyon business school ont permis de relancer une école quelque peu chahutée par des problèmes de gouvernance. Toujours aussi porté vers l’innovation Bernard Belletante revient avec nous sur le modèle original d’école qu’il entend développer.
Olivier Rollot : Il y a un peu plus de 3 ans que vous avez pris la direction de emlyon business school. Quel bilan tirez-vous de votre action ?
Bernard Belletante : Comme on dirait en compétition de voile, nous « passons toutes les bouées » que ce soit la globalisation de l’école, sa digitalisation ou ses performances financières. Notre nouveau campus de Paris est une vraie réussite avec un impact aussi bien sur les élèves de classes prépas, qui le visitent lors des JPO, que sur les bacheliers qui s’inscrivent dans notre BBA. Enfin le nombre de nos publications de recherche a été multiplié par deux.
O.R : emlyon business school est particulièrement ambitieuse à l’international avec maintenant une implantation qui se profile en Inde après la Chine et le Maroc.
B.B : En 2018 et 2019, nous allons ouvrir deux nouvelles bases en Inde, à Hyderabad et Bhubaneswar. Nos campus à l’étranger sont avant tout destinés aux étudiants de la zone, pas aux Français, et délivrent des diplômes reconnus par les autorités locales. Initialement nous avions envisagé de nous implanter en Inde et au Brésil, deux pays dont les réglementations sont complexes, et avons finalement choisi l’Inde grâce à un accord avec la Xavier University, un groupe d’écoles et d’universités fondé en 1700 par les Jésuites et qui compte aujourd’hui plus de 300 000 élèves.
Xavier University disposait déjà de ses propres business schools et cherchait à s’internationaliser avec deux logiques : des BBA à Bhubaneswar et des masters et MBA à Hyderabad où des entreprises françaises comme Mérieux ou Danone sont déjà implantées. D’après les Ambassades d’Inde en France et de France en Inde, que nous avons rencontrées, c’est la première fois qu’un accord de ce type est signé en Inde.
O.R : Votre réseau d’anciens vous a aidé ?
B.B : Notre réseau d’alumni est l’un des facteurs clés de notre succès. Nous comptons aujourd’hui 29 000 alumni dans 118 pays à travers le monde. 22 000 lisent nos messages au moins une fois par an. A Shanghai ils sont plus de 300. En Inde, notre accord avec Xavier University a été signé grâce à l’un de nos diplômés, qui s’est beaucoup investi dans ce projet et nous a fait bénéficier de ses relations privilégiées avec les autorités indiennes. Le directeur Afrique et Inde de Danone est un de nos diplômés et j’en ai même été le professeur. Au Maroc le président de l’association des anciens est le président du fonds d’investissement royal.
O.R : Revenons en France. Qu’est-ce que vous apporte le campus parisien que vous avez inauguré cette année à deux pas de la gare de Lyon ?
B.B : Notre BBA attire des étudiants de toute l’Europe à Paris avec 50 étudiants cette année et 200 inscrits pour l’année prochaine. Nous y organisons beaucoup de conférences et d’événements en Executive Education. Nous y recevons des chefs d’entreprise lyonnais qui viennent notamment s’installer dans le ONLYLYON Café, au rez-de-chaussée de notre campus parisien, en attendant un TGV. Mais nous n’en restons pas moins fidèles à notre territoire avec un « lyon » toujours bien inscrit dans notre marque.
O.R : Justement sur ce territoire comment travaillez-vous avec la Communauté d’universités et d’établissements (Comue) Université de Lyon ?
B.B : Nous en sommes membre associé mais assez rarement associés aux grandes décisions. Pourtant nous sommes le premier centre de recherche en économie-gestion dans la région Auvergne-Rhône-Alpes avec le meilleur ratio enseignants-chercheurs / résultats. Nous délivrons un PhD depuis plusieurs années avec chaque année 7 ou 8 diplômés qui trouvent facilement un emploi. Nous allons certainement entrer dans l’école doctorale et ouvrir notre PhD à tous les potentiels docteurs qui pourraient profiter des cours que nous délivrons dans le cadre d’un modèle de doctorat à l’américaine.
O.R : Les classes préparatoires représentent un vivier de recrutement essentiel pour votre programme grande école mais, au global, que représentent-elles pour emlyon business school ?
B.B : Si les classes préparatoires représentent aujourd’hui de 20 à 25% du budget des meilleures écoles de management françaises c’est que le nombre de préparationnaires n’a pas assez augmenté dans les années 90. Il aurait fallu multiplier par deux ou trois le nombre de CPGE mais nous avons eu affaire à un malthusianisme de la part de l’Etat et des associations de professeurs qui ont préféré conserver un système basé sur un petit nombre. L’activité nécessaire au développement des écoles n’a pas été apportée et nous nous sommes tournés vers les admissions sur titre, les MBA, BBA, masters pour construire une gamme de diplômes qui corresponde aux besoins. Dans ce cadre le poids des CPGE a forcément été réduit alors que l’élitisme ce n’est pas forcément le tout petit nombre. BMW produit beaucoup plus de voitures que Ferrari avec une qualité égale, si ce n’est supérieure.
O.R : Les CPGE donnent-elles aux élèves les qualités que vous souhaitez ?
B.B : Oui en culture générale où les prépas font un travail remarquable. Oui en capacités de travail qui sont également remarquables. Les élèves de prépas savent ce que sont l’effort et l’engagement ! Mais en connaissance du monde, en humanités digitales, beaucoup moins, au point que nous sommes obligés de les former.
O.R : Vous en parlez avec les CPGE ?
B.B : Nous avons même proposé aux CPGE de notre région d’accueillir les classes pour les initier au digital, de l’intelligence artificielle aux phénomènes exponentiels en passant par les computering systems. Le tout complété par trois semaines à Shanghai pendant l’été pendant lesquelles nous prenons tout en charge à l’exception du billet d’avion. La réponse, à l’exception d’un lycée : pas le temps, pas d’école à favoriser…
O.R : On parle beaucoup en ce moment des problèmes de « dépressurisation » qui toucheraient les étudiants après leur prépa. Le constatez-vous ?
B.B : C’est effectivement un choc de culture de passer du temps défini, celui de la prépa, au temps à conquérir, celui de l’école. Pendant deux ans l’élève sait ce qu’il a à faire du lundi matin au week-end et a des solutions à chaque problème. Mais c’est exactement le contraire de ce qu’exigent la société contemporaine et leur futur métier de dirigeant. Nos étudiants arrivent « sanctifiés » par leur famille et leurs professeurs dans une école qui les fait entrer dans le monde de l’incertitude où on construit son temps et ses trajectoires.
Pour autant, 80% conquièrent facilement cette liberté à laquelle ils aspiraient depuis longtemps. Le tout est de canaliser leur énergie créatrice avec des pédagogies adaptées. Un peu moins de 20% utilisent ce changement de culture pour faire autre chose, ne travaillent pas suffisamment, sont seulement à fond dans les associations, ne maîtrisent pas leur conquête du temps. Ceux-là on les repère vite et ils savent qu’ils peuvent redoubler s’ils ne se reprennent pas. Restent 1 à 2%, 10 cas par an, qui craquent. Ont-ils trop travaillé avant ? Ont-ils du mal à être loin de leur famille ? Ont-ils peur du changement ? Pour eux cela peut être très difficile et nous avons créé un wellness center qui repère ces profils en difficulté et les accompagne.
O.R : On a souvent le sentiment que les business schools françaises sont encensées partout dans le monde mais très peu considérées par l’Etat en France. C’est aussi votre sentiment ?
B.B : Songez que seulement 1% des business schools dans le monde sont triplement accréditées (Equis, AACSB, Amba) et que, parmi celles-ci, 14 sont françaises ! Seuls les Britanniques font mieux. Pour autant nous ne sommes pas des écoles pour l’élite mais des écoles qui forment des dirigeants en jouant un rôle social pour lequel nous ne sommes pas assez reconnus. Certes il peut y avoir de l’autocensure dans certaines classes, chez certains élèves ou professeurs disant que nous sommes chers. Or, de notre côté, nous avons mis en place un système de financement qui permet de prêter aux étudiants sans même que nous demandions une caution familiale. Avec Adecco et notre dispositif « Company Inside » nous finançons aujourd’hui la scolarité de 75 étudiants. A la rentrée prochaine, nous l’étendons au BBA. A terme, plus de 400 étudiants pourraient bénéficier de ce système chaque année.
En résumé, emlyon business school comme les écoles triple accréditées ne coûtent rien aux contribuables, ne reçoivent plus de subventions des chambres de commerce et d’industrie et nos diplômés ne sont pas à Pôle Emploi. Un vrai gain pour la société !
O.R : Sur quelles innovations pédagogiques travaillez-vous ?
B.B : Nous travaillons sur des innovations qui reposent sur les caractéristiques fortes de l’économie numérique, à savoir des solutions collaboratives, à la demande, fluides, « sans-couture » et potentiellement exponentielles. Par exemple, nous allons créer un MBA « on demand », qu’on pourra intégrer au fil de l’eau. Pourquoi devoir attendre six mois dans un monde où tout est immédiat ? Ce modèle numérique signifie des dizaines de changement mais c’est possible et cela rejoint des ruptures que nous avons engagées à tous les niveaux. Nos managers sont étroitement associés aux transformations à mettre en œuvre au sein de notre école. Toute notre organisation a été numérisée et pas seulement en vitrine avec des MOOCs !
Nous travaillons aussi sur l’humain. Pour inciter à prendre des temps de respiration, nous avons mis en place des « salles de silence » sur chacun de nos campus. En septembre, nous créons une direction de l’Expérience Apprenant, pour analyser de manière plus précise les parcours des apprenants et optimiser le suivi de la qualité des services que nous leur proposons.
O.R : Où en est l’évolution de la structure de votre corps professoral qui était l’un de vos grands chantiers à votre arrivée ?
B.B : Nous nous sommes d’abord interrogés sur quelle pédagogie nous voulions adopter pour chaque diplôme. Si on ne conserve que le modèle de l’enseignant-chercheur traditionnel comment changer la pédagogie ? Résultat : aujourd’hui nous avons trois catégories de professeurs. D’abord les enseignants-chercheurs qui sont là pour produire du savoir et des contributions intellectuelles pour la société et les entreprises. Ils publient dans les revues de recherche de rangs A et B et donnent moins de cours. Nous avons ensuite les professeurs « cliniciens » qui accompagnent les « makers’ projects ». Ils travaillent dans le « faire » avec les étudiants et publient des articles dans des médias économiques comme « Les Echos », le « Financial Times » ou des revues pédagogiques. Ils doivent avant tout être excellents dans l’action learning. Enfin des instructeurs on line qui accompagnent tout l’apprentissage en ligne, de manière synchrone ou pas. Il peut s’agir de doctorants ou de professeurs retraités.