Mirage ou réalité les milliards de la formation continue font rêver l’ensemble des établissements d’enseignement supérieur. Alors que 11 universités et grandes écoles ont été sélectionnées par le ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation pour tester des solutions beaucoup d’autres acteurs avancent sur le sujet. Le tout dans un contexte instable : le gouvernement travaille sur une nouvelle réforme (la troisième en cinq ans) de la formation professionnelle qui pourrait bien remettre en cause un certain nombre de leurs décisions.
Les données du problème
Si le volume d’activité lié à la formation continue représente aux environs de 30 milliards d’euros ce ne sont que 13 milliards qui lui sont directement consacrés, les 17 milliards restant représentant essentiellement les rémunérations des personnes en formation (chiffres DARES 2011). A l’intérieur de ces 13 milliards, la part de l’enseignement supérieur représenterait environ 400 M€, dont 90 M€ du côté du seul CNAM. Les universités les plus actives en formation continue (Strasbourg, Dauphine) pèsent environ 10 M€ chacune quand les écoles de commerce les plus performantes sur le sujet enregistrent un chiffre d’affaire de 20
Les récentes lois favorisant les institutions qui permettent d’accéder à un diplôme – notamment s’ils sont organisés en modules cumulables -, il semble bien y avoir moyen de se développer pour les établissements d’enseignement supérieur. « Nous sommes convaincus que les individus vont investir de plus en plus dans leur formation et qu’il faut les accompagner pour associer des financements multiples. Lors de nos journées portes ouvertes, l’atelier financement est d’ailleurs le plus couru. La formation continue aujourd’hui c’est aussi faire de l’accompagnement de projet, du coaching ou des bilans de compétences. Tout un nouveau savoir-faire à développer », analyse Jérôme Rive, président d’IAE France et directeur du plus important d’entre eux, l’IAE Lyon.
Les écoles de management en tête
Si la formation continue représente une bonne moitié du chiffre d’affaires d’HEC on en est loin dans les autres écoles de management. A Audencia BS la formation continue ne représente ainsi que 2 M€ sur un chiffre d’affaires de 39 M€. « C’est insuffisant et nous avons recruté un nouveau directeur pour relever un challenge qui est de doubler ce chiffre d’affaires pour qu’il représente 20% de notre budget à terme », explique Emeric Peyredieu du Charlat, le directeur d’Audencia BS qui, après 4000 m2 installés au centre de Nantes, a inauguré fin 2016 de nouveaux bâtiments à Paris pour la développer et recevoir ses alumni.
C’est une nécessité, Neoma ou Kedge sont également bien implantées dans la capitale pour concurrencer les acteurs parisiens « historiques ». ESCP Europe (16 M€ de CA et 4500 personnes formées chaque année en formation continue du E-MBA aux programmes customisés) bénéficie aujourd’hui pour le développement de sa formation continue des locaux de Novancia près de la gare Montparnasse. « Nous voulons construire des parcours d’accompagnement tout au long de la vie qui commencent dès le moment où un étudiant devient alumni. Mais encore faut-il que nous construisions une relation viscérale avec nos étudiants qui ne passent plus comme avant trois années ensemble sur le campus », note Brynhild Dumas, directrice du département formation continue de l’école mais aussi déléguée générale de sa fondation : « Il faut que l’expérience étudiante soit réussie dans l’école pour qu’on ait envie de continuer à s’y former mais aussi de la faire connaître ou d’être donateur ».
Universités et écoles d’ingénieurs bien présentes
On ne s’y attend pas forcément. L’université Paris-Nanterre vient d’inaugurer un tout nouveau bâtiment dédié à la formation continue. « Nous avons complètement repensé notre organisation pour mettre notre service de formation continue au service des composantes et susciter des offres là où elles n’existaient pas avec des postes dédiés dans chacune d’elles », commente son président, Jean-François Balaudé. Aujourd’hui c’est encore essentiellement en économie-gestion et en droit que l’université propose des formations mais elle commence à développer d’autres offres dans d’autres composantes comme le DU de rhétorique. « Nous progressons de 5 à 10% par an désormais, et cela devrait continuer notamment grâce à la modularisation de nos formations », reprend le président.
Si on en parle moins que dans les écoles de management nombreuses sont les écoles d’ingénieurs à être bien présentes en formation continue. Parmi les plus impactées, Ponts ParisTech réalise ainsi plus de 13 M€ de chiffre d’affaires dont 8,5 M€ dans la formation continue « classique », 2,8 M€ dans des mastères spécialisés et 2 M€ en MBA. Même excellents résultats du côté de CPE Lyon. « Nous sommes très présents avec une filiale spécialisée dans la chimie qui fait trois millions de chiffre d’affaires annuel et reçoit chaque année 3000 stagiaires dans 300 stages », détaille son directeur, Gérard Pignault, pour lequel « le marché des universités et des grandes écoles c’est la formation diplômante, notamment celle des salariés en mobilité ».
Avoir des profs « triathlètes »
La formule est d’Emeric Peyredieu du Charlat, le directeur d’Audencia BS : « Un bon professeur doit être un « triathlète » de l’enseignement capable aussi bien de professer, que d’effectuer des travaux de recherche et enfin d’être impliqué dans la vie de la structure. La formation continue c’est l’équivalent du crash test automobile pour un professeur : il doit s’adapter à un public différent, expérimenté, qui attend un vrai dialogue ». Seuls 15 des 40 professeurs permanents de l’IAE Aix-Marseille sont par exemple susceptibles de délivrer des cours en formation continue selon sa directrice, Virginie de Barnier : « Cela demande un gros investissement personnel et certains sont trop académiques ou trop habitués à enseigner à des étudiants de master très obéissants pour relever le défi de cadres qui les challengent. A l’avenir nous recruteront donc des professeurs capables de délivrer de la formation continue et des maîtres de conférence passés par le monde de l’entreprise ».
C’est dire si les enseignants qui enseignent en formation continue doivent être motivés. « Comment voulez-vous motiver un enseignant à donner une heure de cours en plus plafonnée à 60€ alors qu’il a la possibilité d’être payé trois fois plus dans une institution privée ? Si on veut développer les ressources propres des universités, il faut lever les taquets de blocage », s’interroge l’ancien président de Paris-Dauphine, Laurent Batsch. Dans son rapport Le développement de la formation continue dans les universités, le président de l’université de Cergy-Pontoise François Germinet estimait ainsi que l’heure pourrait varier de l’heure de TD classique (40€/h) à 150€/h voire plus pour de l’expertise très poussée tout en estimant que « ceux qui s’y essaient sont en général satisfaits : au-delà d’une rémunération souvent incitative, ils y trouvent un public restreint et motivé, des temps de correction de copie moindre voire nuls, et une capitalisation rapide des efforts consentis ».
Face à des acteurs bien installés
Alors que de nouveaux établissements d’enseignement supérieur pointent leur nez des acteurs beaucoup mieux installés sur le marché les regardent un rien goguenard. « Même pour les grandes écoles de management cela reste un marché difficile qui demande des compétences marketing et commerciales, et un réseau de formateurs spécifiques », commente ainsi le directeur général du groupe Demos, Dai Shen, qui a par ailleurs établi des partenariats avec Skema, Paris-Dauphine, Grenoble EM pour soit commercialiser leurs programmes, soit en construire avec eux en les faisant profiter de la force de Demos. La prise de contrôle de Brest BS lui permettra d’ailleurs de sanctionner des parcours par des diplômes et des certificats.
« Il faut tenir un discours de réalité. La formation continue est un marché ancien d’où ne va pas tomber subitement une manne. C’est un marché sous très vive tension sur lequel la notion de marque est fondamentale. Aujourd’hui on l’agite comme si tout le monde pouvait en faire quand les IAE en font depuis leur origine. Nous proposons des produits diplômants spécifiques tout en évoluant vers leur modularisation dans le cadre du compte personnel de formation (CPF) », rappelle utilement Jérôme Rive en détaillant un marché sur lequel sont également présents des cabinets de conseil et où des organismes comme Le Wagon se développent sur le coding.
Quelle stratégie mettre en œuvre ?
Sur un marché ultra compétitif grandes écoles et universités s’interrogent sur leur modèle. Faut-il se concentrer absolument sur les seules formations diplômantes ? Alors qu’elle n’envisage pas d’implantation parisienne, Virginie de Barnier insiste justement sur la capacité de son IAE à produire des formations « sur mesure » : « Cela nous a par exemple permis récemment de remporter un contrat face à HEC qui proposait une formation beaucoup plus standard et un peu plus chère que la nôtre ».
D’autres misent sur la formation à distance : à l’initiative de son campus madrilène ESCP Europe délivre un e-master 100% en ligne, l’EM Normandie son programme grande école et l’Institut Mines Télécom des MOOCs certifiants. L’IAE Caen va investir dans la création d’une salle où le professeur sera filmé par plusieurs caméras et enregistré pas des micros attachés au plafond de façon à pouvoir se déplacer comme il l’entend tout en étant suivi par ses étudiants partout dans le monde. Une salle qui recevra 50 étudiants en présentiel – sur des fauteuils autonomes permettant de reconfigurer la salle – et une centaine à distance. « Et ces 100 à distance pourront s’exprimer comme les autres et poser leurs questions avec sans doute l’acuité supplémentaire que requiert la distance », assure le directeur de l’IAE, Patrice Georget.
Une stratégie internationale
Du côté d’ESCP Europe les stratégies dépendent aussi des sites : Madrid mise sur le online, Turin sur le partenariat avec des entreprises qui peuvent aussi bien avoir accès à des cours dédiés que rencontrer les étudiants, Berlin se positionne sur la dimension interculturelle. « La clé de notre posture globale est de nous appuyer sur nos travaux de recherche pour accompagner les managers. Nous sommes ESCP Europe, un vrai laboratoire de l’européanisation, pas un organisme lambda », rappelle Brynhild Dumas, dont l’école propose à Paris aussi bien des diplômes très précis (« manager dirigeant à Paris », accessible en VAE, 15 certificats, etc.) qu’un E-MBA, 9 E-mastères spécialisés et des MSc qui ont « vocation à devenir internationaux ».
Si Skema s’est implantée au Brésil en 2015 avec le soutien Fundaceo Dom Cabral c’est qu’ils sont très complémentaires « 5 à 6% de notre budget provient aujourd’hui de notre formation continue et nous souhaiterions monter à 15% d’ici un an et demi et FDC peut largement nous aider en ce sens sur nos campus chinois et américain », confirme Alice Guilhon. Il faut ensuite gérer des programmes qui peuvent réunir 100 nationalités différents comme le E-MBA de l’ESCP Europe, que suivent essentiellement des managers âgés de 38 à 45 ans, et que décrit ainsi Brynhild Dumas : « C’est un pilotage complexe avec des étudiants qui viennent du monde entier, se rendent sur tous nos campus et peuvent choisir entre de nombreuses formules. Nous travaillons aujourd’hui avec de nombreux DRH pour comprendre tous les enjeux de la formation des hauts dirigeants ».
- Lire le rapport Le développement de la formation continue dans les universités