On l’entend partout, il faut innover, créer, se dépasser. Universités et grandes écoles tentent mettent donc de plus en plus tout en œuvre pour insuffler l’esprit d’innovation à des étudiants qui ne demandent finalement que ça. La Conférence des Grandes écoles (CGE) vient justement de publier une étude qui fait le point sur les efforts des écoles d’ingénieurs et de commerce en la matière.
Des managers beaucoup plus créateurs que les ingénieurs
Si la quasi-totalité des écoles (97%) dispensent des enseignements en entrepreneuriat, elles ne l’affichent pas toutes avec le même enthousiasme. Alors 62% des écoles de management affichent clairement leur dimension entrepreneuriale, 74% des écoles d’ingénieurs reconnaissent elles rester en retrait dans leur communication sur le sujet. « Une prudence liée au peu de reconnaissance qu’apporte cette dimension dans les classements », regrette Francis Bécard, directeur général du groupe ESC Troyes et animateur du groupe de travail Innovation et entrepreneuriat de la CGE, désolé de constater que la « création d’entreprise ne payant pas à court terme, avoir beaucoup de créateurs à la sortie d’une école fait baisser le salaire moyen de sortie et, en conséquence, le classement de l’école ».
Et des freins à l’innovation, il y en a encore d’autres. « Ce n’est pas toujours simple pour des étudiants endettés de prendre le risque de se lancer dans une création d’entreprise. Il faudrait pouvoir leur accorder des prêts spécifiques », remarque encore Francis Bécard alors que Pierre Tapie, président de la Conférence des Grandes écoles (CGE) et directeur de l’Essec, souligne qu’une « certaine académisation des écoles imposée par les processus d’accréditation conduit à ne recruter que des chercheurs là où les jeunes créateurs auraient besoin d’être encadrés par des entrepreneurs pas forcément qualifiés au niveau académique ».
Cette difficulté encore bien réelle à produire de l’innovation se traduit dans les chiffres. « Schématiquement une homme manager a six fois plus de chance d’être créateur d’entreprise qu’une femme ingénieur », explique encore Pierre Tapie. Si en moyenne 0,5% des diplômés de la promotion 2011 ont créé une entreprise, c’est le cas de 0,8% des managers pour 0,3% des ingénieurs et de 1,3% des hommes managers pour 0,2% des femmes ingénieurs. Des chiffres qui peuvent paraître encore très bas mais augmentent fortement d’une promotion à l’autre (voir le graphique ci-dessous). Sans doute aussi parce que les écoles se dotent de moyens pour faire épanouir les « jeunes pousses » en les hébergeant ou en les finançant. En 2012 des pépinières d’entreprise ont ainsi vu le jour à l’ESC Rennes ou à l’EPF, une école d’ingénieurs parisienne, quand Grenoble EM agrandissait ses locaux pour recevoir plus de start up.
Une école d’ingénieurs en pointe : les Mines d’Alès
Certaines écoles d’ingénieurs ont placé la dimension entrepreneuriale au cœur de leur activité. L’école des Mines d’Alès organise ainsi pour tous ses élèves de deuxième année un séminaire sur la créativité et l’innovation qui réunit chaque année grands groupes industriels et étudiants. Des représentants de Michelin, Decathlon ou encore Legrand sont présents pour passer quarante-huit heures avec nos étudiants pour concevoir des produits innovants dont certains seront ensuite mis en vente.
En troisième année, chaque élève réalise de la même façon une étude de faisabilité technique pendant cinq semaines. « Mais attention, ce n’est pas un stage d’été, insiste M. Dorison, le directeur de l’école, cela se passe pendant l’année et fait partie intégrante du cursus. L’objectif est de donner l’esprit d’entreprendre à des élèves qui ne savaient pas au fond d’eux qu’ils étaient créatifs. » Et ça marche tellement bien que de nombreuses entreprises de la région viennent elles-mêmes se former à ces méthodes.
La griffe « HEC entrepreneurs » à l’EM Normandie
Pour concevoir leur cursus, les dirigeants de à l’EM Normandie, une grande école de commerce ouverte dès le bac et implantée à Caen et au Havre, se sont donc inspirés de la célèbre pédagogie dite « HEC entrepreneurs ». « Nous demandons à nos étudiants de travailler en groupes de trois pour réaliser des missions en entreprise de 5 à 6 semaines tout au long de leur cursus, explique Jean-Guy Bernard, le directeur de l’école. Les étudiants sont alors de véritables consultants juniors. Nous accordons des coefficients assez importants à cette épreuve qui doit leur montrer comment travailler dans des équipes que nous constituons pour qu’ils aient bien conscience que, dans une entreprise, on ne choisit pas forcément avec qui on travaillera. »
L’EM Normandie met aussi l’accent sur des challenges comme celui du concours de négociation organisé chaque année à Deauville et où des étudiants venus de toute la France doivent faire la preuve de leurs talents de négociateurs devant de grandes entreprises. « De toute façon, nous constatons depuis maintenant quatre ou cinq ans que nos étudiants sont devenus très innovants et ont envie de créer des entreprises », se réjouit Jean-Guy Bernard, qui constate avec intérêt que la génération actuelle (la fameuse « Y ») a « une conception différente des contraintes, de la hiérarchie. Créer une entreprise est alors bien dans les valeurs de la vie qu’ils ont envie de mener… »
Olivier Rollot
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