Les frais de scolarité des écoles de commerce augmentent régulièrement. Si certaines se contentent de suivre l’inflation, d’autres font monter les prix de façon bien plus significative. Même si on est encore loin du modèle anglo-saxon, y-a-t-il un seuil plafond ? Et quelles sont les aides mises en place pour favoriser l’ouverture sociale ? Débuts de réponse.
Rester dans la course mondiale. Les frais de scolarité des écoles de management, comme de l’ensemble de l’enseignement supérieur, augmentent un peu partout dans le monde. En France les écoles de management post prépas ont vu les leurs progresser de 64% en moyenne entre 2009 et 2018. Un phénomène accentué par la baisse des financements dont bénéficient les chambres de commerce et d’industrie de la part de l’Etat, bien obligées en retour de baisser leurs subventions allouées aux écoles. Un désengagement public qui se traduit naturellement par un transfert vers les étudiants et leurs parents qui s’endettent de plus en plus pour financer des frais de scolarité de plus en plus élevés.
Une problématique macro-économique qu’on retrouve un peu partout dans le monde et qui va poser de graves problèmes. Aux Etats-Unis, on parle de plus en plus d’une crise de la dette étudiante. A l’heure où la production est de plus en plus liée au capital humain et de moins en moins au capital physique, la formation est déterminante dans la performance et la compétitivité des entreprises et des pays. Et qui dit formation de qualité dit investissement. « Pour rester dans la course mondiale, les écoles et les universités embauchent des professeurs de plus en plus qualifiés, en développant la recherche et la digitalisation, en proposant de nouvelles méthodes d’apprentissage… Les problématiques étant plus complexes, la formation des jeunes doit être plus complète et plus sophistiquée, elle coûte donc plus cher », détaille le directeur général de l’Iéseg et porteur d’une nouvelle stratégie de financement de l’enseignement supérieur (lire son entretien), Jean-Philippe Ammeux, qui ajoute : « Si les États se désengagent alors que les besoins sont croissants, qui finance le surcroît d’investissement ? Si c’est l’apprenant, le risque c’est que l’ouverture sociale soit sacrifiée ».
Un raisonnement auquel adhère Herbert Castéran, le directeur général de EM Strasbourg, qui énonce : « L’étudiant doit se demander si les sommes dépensées pour ses études vont être amorties par la suite. C’est le cas si son employabilité est bonne et les conditions financières qu’on lui propose acceptable. Aux Etats-Unis, il y a une déconnexion entre le coût des études et le retour sur investissement. Ce n’est pas encore le cas en France mais vus la compétition internationale et l’impact sur les tarifs il faut rester vigilant ». Selon lui, le seuil à ne pas dépasser peut se calculer en fonction des salaires moyens que peut espérer un étudiant à la sortie d’école : « Les frais de scolarité doivent représenter un ou deux ans de salaire pour un étudiant. Le jour où en France ils représenteront plusieurs annuités salariales, il sera temps de se demander si les conditions d’embauche permettront encore de soutenir ce type d’investissement ? ».
Les différentes aides. Parce qu’elles ne veulent décourager personne et entendent surtout préserver leur ouverture sociale, les écoles de commerce post prépas proposent des financements complémentaires en plus de ces aides publiques. Ainsi, l’EM Strasbourg en nouant un partenariat avec la plateforme de crowdfunding Kiss Kiss Bank Bank permet aux étudiants de mener des campagnes de levée de fond pour financer leurs études (ou un projet associatif, un séjour à l’étranger, etc.) ; les 8% prélevés par la plateforme sur la somme récoltée sont pris en charge par l’école. En plus des bourses publiques, l’école a également développé une offre de bourses privées (baptisées « Bourses escales ») grâce à une implication grandissante d’entreprises partenaires. Ainsi, dans le programme grande école, sur les 300 diplômés, 100 sont des boursiers. « La diversité, c’est l’une des valeurs fortes de EM Strasbourg. Nous formons des managers agiles qui seront confrontés à des profils divers au sein des entreprises. C’est intéressant que lors de leur formation ils interagissent avec des personnes issues de milieux différents », commente Herbert Castéran.
La démarche est en tout point similaire à Neoma BS, l’une des moins chères du top ten, dont l’objectif est d’augmenter le nombre d’étudiants – ils sont 25 % aujourd’hui – bénéficiant d’une aide au financement. Pour y parvenir, différentes stratégies sont à l’œuvre : augmenter les levées de fond, proposer des bourses brandées (l’entreprise partenaire prenant à sa charge les frais de scolarité), développer l’apprentissage déjà bien ancré au sein de l’école… L’enjeu : maintenir une ouverture sociale forte. « Il est essentiel pour les grandes écoles de permettre aux jeunes de milieux défavorisés d’avoir accès à l’éducation et aux emplois les plus prometteurs. C’est aussi un moyen de favoriser la diversité sociale au sein des entreprises dans l’accès aux postes de direction. Sur ce sujet, les grandes écoles de management font face à une double difficulté : elles sont mal connues ou perçues comme inaccessibles dans certains milieux et elles demandent des frais de scolarité. Nous devons lever ces deux freins », explique Delphine Manceau, la directrice générale de Neoma.
Le modèle économique en question. A l’heure où les subventions baissent, le montant des frais de scolarité est directement lié au modèle économique des écoles. Ainsi, pour Neoma, Delphine Manceau affirme : « La hausse de nos frais de scolarité suivra l’inflation mais nous ne souhaitons pas aller au-delà ; notre business plan ne repose pas sur une augmentation des droits d’inscription ». A Kedge, ils ont crû de 11 % entre 2015 et 2018. Une hausse maitrisée selon Pascal Krupka, directeur du programme Grande école, grâce « à la fusion de Bordeaux école de management et de Euromed management qui en 2013 a donné naissance à Kedge ». : « Nous avons ainsi absorbé des coûts fixes (ressources humaines, comptabilité, etc.) et augmenté notre effectif d’étudiants. Il faut que les écoles trouvent d’autres ressources et de nouveaux modèles. La fusion nous permet ainsi d’atteindre une taille critique qui impacte directement nos prix. Si on y ajoute une bonne gestion, cela nous permet de pratiquer des tarifs raisonnables par rapport à d’autres écoles pour qui les frais de scolarité deviennent des variables d’ajustement ».
Des modèles qui varient selon le statut de l’école. Ainsi à l’Institut Mines Télécom Business school, qui dépend du ministère de l’Économie et des Finances, on peut pratiquer des prix bas… par choix. L’école est accessible moyennant seulement 7 500 euros par an. Par ailleurs, tous les boursiers, quel que soit leurs échelons de référence, sont exemptés à 100 % de frais de scolarité. Au sein du programme grande école, 50 % des étudiants sont des boursiers. Comme le souligne son directeur, Denis Guibard : « Nous sommes une école publique qui a une mission d’ouverture sociale. Comme le montre le « Financial Times » chaque année dans son classement nous sommes les premiers pour la valeur ajoutée (salaire à la sortie/coût total de la scolarité) apportée à nos étudiants ! »
A HEC aussi, l’ouverture sociale est un défi à relever. L’une des écoles les plus chères du secteur affiche ses ambitions en la matière : aujourd’hui, près de 20 % des étudiants du programme Grande Ecole bénéficient d’une aide financière. L’objectif à cinq ans est d’en aider 25 %. La Fondation HEC a ainsi bâti un programme spécifique pour soutenir les élèves talentueux aux étapes clefs de leur parcours académique. Les étudiants éligibles aux bourses du CROUS sur critères sociaux ont la garantie d’obtenir une bourse de la Fondation HEC (sauf cas particuliers). Les pourcentages d’exonération des frais de scolarité auxquels peuvent prétendre les étudiants en fonction des échelons du CROUS vont de 30 à… 100%. La fondation a également développé des aides financières au niveau des prépas (14 classes préparatoires sont partenaires) pour assurer aux élèves boursiers des conditions matérielles favorables à la réussite de leur examen.
La création en 2016 d’une fondation adossée à l’école, c’est également le choix de ESC Clermont. Grâce à l’engagement de six entreprises partenaires, l’organisation a pu aider via des bourses 128 étudiants en deux ans – à hauteur de 172 300 euros – dont près de la moitié sont en master grande école qui compte également 47% d’alternants. « Grâce à la fondation nous avons pu tripler nos aides financières. Notre objectif : ouvrir nos portes à des publics de toutes origines et jouer notre rôle d’ascenseur social. Pour les familles, les frais de scolarité représentent des sacrifices importants et un investissement pour l’avenir de leurs enfants. Il y a de la place pour tout le monde », avance Florence Saugues, directrice de la fondation.
SCBS : des aides adaptées à chaque profil
La South Champagne business school (SCBS ex-ESC Troyes) est l’une des écoles les moins chères de France. Depuis trois ans, le programme grande école est accessible moyennant 8 500 euros la première année et 8 750 les deux suivantes. Des montants stables depuis trois ans. « Si nous augmentons davantage nos tarifs, nous ne jouerions plus notre rôle d’ascenseur social. Nous voulons continuer à toucher des publics issus de milieux défavorisés et les accompagner dans leur évolution », explique Mickaël Noblot, directeur général adjoint des ressources.
Pour y parvenir, l’établissement a mis en place un panel d’aides. Outre les bourses internes développées grâce à du mécénat et attribuées au mérite, SCBS propose également des prêts d’honneur. Une dizaine d’élèves suivant le programme grande école en bénéficient. Il s’agit d’un emprunt contracté auprès de banques partenaires de l’école. Les étudiants n’ont pas à payer les taux d’intérêt et ne remboursent qu’une fois en poste. « C’est un cercle plus vertueux que les bourses – dans ce cas de figure, on donne sans retour – car lorsque l’étudiant rembourse, une part de cette somme est allouée à un étudiant ayant besoin de financement pour poursuivre ses études », précise Mickaël Noblot.
L’école a par ailleurs beaucoup développé l’alternance (en contrat de professionnalisation ou d’apprentissage) qui concerne 35% de ses étudiants suivant le programme Grande école. La scolarité est alors financée par l’entreprise, un OPCA ou par la taxe d’apprentissage et l’étudiant rémunéré. « C’est également un bon levier d’insertion professionnelle. 70% des étudiants sont embauchés dans l’entreprise suite à l’alternance. Mais ce n’est pas une finalité car cela ne correspond pas à tous les profils. Il est adapté aux personnes souhaitant s’insérer professionnellement rapidement, être dans le concret, en capacité de répondre aux exigences de l’école et de l’entreprise », commente Mickaël Noblot.
L’école a enfin mis en place une commission de solidarité qui se réunit chaque mois. Selon les difficultés rencontrées par les étudiants des solutions différentes sont proposées : échelonner le paiement des frais de scolarité, aider à trouver un job, accorder une bourse ou un prêt ou proposer l’alternance. « Nous cherchons la meilleure solution en fonction de la situation de l’étudiant. L’alternance en fait partie mais c’est une piste parmi d’autres », conclut Mickaël Noblot.