Mais quelles spécialités choisir pour quelle orientation ? L’angoisse et palpable chez les parents comme chez les lycéens de seconde qui vont, dans quelques semaines, choisir leurs spécialités. Président la commission « Amont » de la Conférence des grandes écoles (CGE) le directeur des Arts et Métiers ParisTech, Laurent Champaney, est à ce titre en charge des questions de recrutement dans les Grandes écoles. Les explications sur la réforme du directeur d’une école qui s’est positionnée depuis longtemps sur l’insertion de tous les profils de bacheliers.
Olivier Rollot : Vous présidez la commission « Amont » de la Conférence des grandes écoles (CGE) et êtes à ce titre en charge des questions de recrutement dans les Grandes écoles. Dès le bac. En compagnie d’autres conférences de l’enseignement supérieur, vous venez de signer une sorte de « charte de bonne conduite » avec le ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation (MESRI) sur l’orientation des futurs bacheliers. De quoi s’agit-il ?
Laurent Champaney : Nous nous sommes engagés collectivement à prendre en compte l’esprit de la réforme du lycée et du bac général dans nos futurs recrutements postbac en école ou en classes préparatoires avec l’APLCPGE (Association des proviseurs de lycées à classes préparatoires aux Grandes écoles). Nous ne nous focaliserons pas sur la seule combinaison de spécialités mathématiques et physique-chimie. Les écoles ont d’ailleurs déjà bien élargi leur base de recrutement en recrutant des profils différents. Alors que nous pratiquons de plus en plus l’enseignement par projets, recruter des profils différents est un effet gagnant pour tout le monde.
Nous sommes plus critiques sur le très important tronc commun. Peut-on vraiment intéresser des profils très différents à des enseignements communs en histoire-géographie, philosophie ou encore à des enseignements scientifiques et mathématiques ? Il y a un vrai risque que certains se désintéressent et notamment des profils très scientifiques qui voudraient en apprendre rapidement davantage. Mais le système est arrivé pré-emballé sans possibilité de discussion sur son architecture avec un calendrier hyper-court.
O. R : Un bachelier pourra vraiment avoir ses chances partout avec des choix de spécialités qui ne se limitent pas à mathématiques-physique ?
L. C : Si les lycées créent des classes réservées à ceux qui ont choisi, par exemple, la combinaison mathématiques et physique-chimie on va recréer le système de séries. Si on veut l’éviter il faut accepter de composer des classes hétérogènes.
Du côté de nos écoles postbac il est encore trop tôt pour se prononcer mais nous souhaitons en tout cas ne pas nous focaliser sur une ou deux grandes combinaisons de spécialités.
En classes préparatoires on sent que certains aimeraient que les prépas MP-SI recrutent uniquement des élèves ayant choisi la combinaison mathématiques et physique-chimie. En BCPST ceux ayant opté pour la combinaison mathématiques et sciences de la vie et de la Terre. D’autres voudraient qu’on crée de nouvelles filières type MP – informatique. Du côté des classes préparatoires économiques et commerciales les prépas ECE et ECS étaient alignées sur des séries qui vont disparaître et il va leur falloir s’adapter.
O. R : Certains établissements veulent peu à peu se passer des écrits à l’entrée. Est-ce une évolution que vous estimez positive ?
L. C : L’oral tend, par nature, à être plus subjectif. Pour être les plus égalitaires possibles il n’y a pas mieux que des étudiants ensemble dans une même salle. Le nombre de recours aux examens augmente déjà : un système à 100% oral serait encore plus sujet à critiques.
O. R : La plateforme Parcoursup évolue largement en 2019. Ces évolutions correspondent-elles à vos attentes ?
L. C : En 2018 nous avons été un peu perturbés par la marche forcée du processus. Cette année nous avons pu dialoguer mais cela reste un processus compliqué. Un certain nombre de formations ont un système de recrutement en plusieurs vagues et s’interrogent sur la possibilité de séparer candidats français et étrangers dans des calendriers différents.
Nous devons aussi penser à la compétition internationale. Nous avons face à nous des universités concurrentes qui rendent des réponses aux candidats beaucoup plus tôt que nous, dès janvier-février, tout en étant conditionnées aux notes du bac. Ce que nous ne faisons pas en France paradoxalement …
O. R : Que pensez-vous d’une éventuelle hausse des frais de scolarité dans les école d’ingénieurs sous tutelle du ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation qui voudraient rejoindre le niveau de ceux des ministères « techniques » ? Aux alentours de 2500€ par an.
L. C : Les école d’ingénieurs ont aujourd’hui des droits de scolarité très différents et il est difficile d’avoir une opinion représentative. Je comprends la spécificité française de la gratuité mais il faut aussi admettre que les conditions d’études que nous proposons aujourd’hui ne sont pas à la hauteur.
O. R : Et sur la question de l’augmentation spécifique pour les étudiants étrangers qui fait tant débat aujourd’hui ?
L. C : Nous appelions à une certaine augmentation des frais de scolarité pour les étudiants étrangers pour mieux les recevoir. Nous réfléchissons toujours à comment recevoir plus d’étudiants étrangers.
Mais faut-il absolument dans tous les cas former les étudiants étrangers en France ? Nous pouvons également ouvrir des campus à l’international en coopération avec les Etats. Quand un établissement français s’installe dans un pays étranger ce n’est pas pour faire du business et nos partenaires internationaux le savent bien. A titre d’exemple, Arts et Métiers ouvre justement un campus avec l’Etat marocain à Casablanca pour accompagner l’industrie française là-bas et y offrir des diplômes à la légitimité reconnue. Comme d’autres marques d’écoles françaises, la marque Arts et Métiers a de la valeur à l’international !
O. R : Une réforme de l’apprentissage est en cours de finalisation avec toujours un gros point d’interrogation sur le montant auquel les établissements seront rétribués pour former les apprentis. Est-ce un danger pour le développement de l’apprentissage dans l’enseignement supérieur ?
L. C : Nos écoles ont fait beaucoup d’efforts pour promouvoir l’apprentissage et luttent encore contre certains préjugés. Aujourd’hui on nous dit qu’il faut financer plus l’apprentissage avant le bac et donc moins dans le supérieur. On nous affirme que les « entreprises vont compléter » les montants qui nous seront accordés par les branches. Je n’y crois pas. Alors qu’il y a pourtant un déficit criant de diplômés de niveau bac+5 qui prennent le temps d’acquérir un vrai savoir technique de l’entreprise, comme on le fait en apprentissage, et qui ne s’imaginent pas managers tout de suite. Nous ne voudrions pas voir reculer le dispositif.
O. R : Autre sujet en cours : la création d’un « grade de licence » qui pourrait être accordé aux meilleurs bachelors. Qu’en attendez-vous ?
L. C : Aujourd’hui un certain nombre de bachelors ont une très bonne renommée sans attribution du grade de licence par l’Etat, si on excepte les bachelors de l’Ecole polytechnique et de Sciences Po. Demain le bon système serait d’accréditer, dans le cadre d’un système cohérent, des établissements dans leur ensemble – et donc leurs bachelors – plutôt que des formations. C’est en tout cas très important pour les établissements de pouvoir montrer la reconnaissance de leurs diplômes par l’Etat. Pour un étudiant chinois qui sollicite une bourse dans son pays c’est même un préalable obligatoire.
O. R : Parlons plus spécifiquement des Arts et Métiers. Il y a quatre ans vous avez été l’une des premières écoles d’ingénieurs à créer un bachelor. Quel bilan en tirez-vous maintenant qu’une première promotion a été diplômée ?
L. C : Nous sommes sur un régime bien établi de 100 étudiants par an sur quatre campus. Ces étudiants sont allés vers un bac technologique STI2D puis se sont révélés en apprentissage dans notre bachelor. Pour la plupart, ils poursuivent ensuite leur cursus dans une école d’ingénieurs. Généralement en apprentissage dans une école d’ingénieurs ou dans un ITII (Institut des techniques d’ingénieur de l’industrie). Si nous voulions qu’ils se tournent tout de suite vers l’emploi il faudrait sans doute que nous recrutions plutôt des bacheliers professionnels. Mais nous nous éloignerions alors de ce que nous savons faire.
O. R : Historiquement Arts et Métiers ParisTech est très proche de ses alumni. Que vous apporte votre fondation ?
L. C : La fondation Arts et Métiers montée par les alumni se concentre surtout autour de l’aide aux étudiants. Notamment en finançant les travaux de rénovation des résidences étudiantes et en proposant des loyers modérés. A Paris nos étudiants peuvent se loger dans un studio pour un loyer en dessous de 300€ avec les APL. La fondation contribue également à hauteur de 400 000€ pour des bourses de mobilité internationale.
O. R : Plus largement comment trouvez-vous des moyens financiers pour vous développer au-delà de la dotation de l’Etat ?
L. C : Nous nous présentons aux entreprises comme un groupe, piloté par un établissement public stable même s’il a ses lourdeurs, pour par exemple créer des chaires de recherche. Nous avons également créé une filiale sous forme de SAS pour signer des contrats industriels. Nous pouvons créer une chaire avec une entreprise pour faire de la recherche en amont puis lui transférer ses résultats. Aujourd’hui nous nous posons la question de filialiser notre formation continue. Un domaine dans lequel nous ne sommes pas assez réactifs et où nous n’avons pas assez investi dans les forces commerciales.
O. R : En 2019 Arts et Métiers ParisTech rejoint le concours Centrale-Supélec pour ses admissions post prépas MP-PC et PSI. Et donc quitte le concours E3A. Qu’attendez-vous de ce transfert ?
L. C : Nous avons répondu à la demande de simplification des concours faite par la Dgesip du MESRI. Aujourd’hui le calendrier des concours est trop tendu, avec trop d’épreuves y compris les samedis et jours fériés qui demandent la réquisition de nombreux lycées pour les organiser. Pour autant le concours E3A existe toujours. Nous le faisons même tourner cette année en tant qu’opérateur comme nous nous y étions engagés. Nous attendons maintenant que les écoles toujours membres, essentiellement des Polytech et des écoles d’ingénieur privées, se tournent vers d’autres concours. Mais ceux-ci ne semblent guère désireux de les accueillir alors même qu’elles ne cherchent que des banques de notes, pas à piloter les concours.