Il y a bien longtemps que l’ISIT n’est plus seulement un institut qui forme des traducteurs. Aujourd’hui, il se définit comment un « institut de management et de communication interculturels ». Qu’est-ce que cela signifie au juste ? Les réponses de son directeur, Tamym Abdessemed, à l’heure où le Covid-19 exige des établissements d’enseignement supérieur qu’ils se réinventent.
Olivier Rollot : Comme tout l’enseignement supérieur vous dispensez vos cours à distance depuis la mi-mars. Quel bilan en tirez-vous ? ?
Tamyn Abdessemed : Mi-mars, nous avons basculé à 100% sur la plateforme Teams. Les professeurs se sont aperçus petit à petit que c’était forcément une autre façon d’enseigner, qu’il fallait saucissonner séquencer leurs cours autrement, que c’était difficile de ne pas voir ses étudiants. Et ces derniers nous ont dit pour la plupart leur satisfaction, même si cela a été plus difficile pour certains, coincés dans leur studio avec des connexions Internet pas toujours optimales.
Pour ce qui concerne les admissions, nous avons eu recours à une solution à distance, Testwe. Enfin, nous avons maintenu les oraux multilingues qui sont absolument indispensables pour intégrer une école comme la nôtre.
O. R : Comment va se dérouler la rentrée 2020 ?
T. A : Elle sera en format « blended » (distanciel et présentiel) pour le cycle pré-master essentiellement. En cycle master, professionnalisant, les étudiants seront davantage présents. Pour nos étudiants internationaux retenus à l’étranger, le cycle pré-master pourrait être 100% en ligne. Nous avons équipé une grande partie de nos salles en matériel vidéo pour permettre de vivre l’interaction en cours et la dynamique de la salle au-delà du bureau de l’enseignant. Il nous reste à définir quelle rotation nos étudiants effectueront pour suivre successivement les cours sur notre campus et à distance. Quant à nos 25% étudiants étrangers, nous leur dispenserons un enseignement à distance s’ils ne peuvent pas rejoindre nos campus, le temps d’arriver.
O. R : Le distanciel c’est bien. Mais pas trop ?
T. A : Tous les cours ne peuvent pas être suivis en distanciel. Nous avons une sorte de « rente relationnelle » avec nos étudiants sur laquelle on peut s’appuyer pour interagir ce que nous avons fait pendant le confinement. Pour qu’elle perdure, il faut réinjecter régulièrement des interactions, de l’affecto societatis, avec nos étudiants au travers de moments de contenus personnalités inspirants.
Surtout, l’expérience multiculturelle à laquelle nous préparons nécessite de vivre ensemble. Nous le répétons assez depuis des années et continuons à le penser, car nos établissement forme à l’art du lien avec autrui dans les organisations.
O. R : Qu’est-ce qu’apporte l’ISIT qu’une école de management ou de communication n’apporte pas ?
T. A : Aujourd’hui, on travaille de plus en plus en communautés. Dans une économie très digitalisée, il faut des personnes aux interfaces pour gérer les projets comme les conflits. Ce que j’appelle des « passeurs de sens ». Notre métier, c’est le savoir-faire avecla différence en puisant dans la communication, le droit, la gestion, etc. L’expertise de l’ISIT, c’est, l’acquisition des qualités et des méthodes nécessaires pour regarder les problèmes sous des angles différents. Loin des stéréotypes.
Nous avons d’ailleurs créé un laboratoire de recherche pour comprendre les interactions interculturelles. Dans l’esprit du travail de Barbara Cassin, marraine de la promotion ISIT 2018 et auteure du « Dictionnaire des intraduisibles », nous nous intéressons tout particulièrement aux notions qui ne sont pas traduisibles dans d’autres langues qui font que les individus apprennent à naviguer dans l’ambigu et l’inconnu pour se comprendre et agir ensemble, riches de leur différence. C’est une démarche contraire à une globalisation qui annihile la richesse des langues et la finesse des postures et points de vue.
O. R : Alors comment caractériseriez-vous vos diplômés ?
T. A : Nous formons des « managers de l’action interculturelle ». Les « Isitistes » sont des étudiants agiles, directement opérationnels dans tous types d’environnements qui nécessitent de l’aisance interculturelle entre personnes ayant des référentiels différents. Que nous formons dans cet esprit, parce qu’ils ne sont pas à l’étranger hors de chez eux, ils sont chez eux culturellement et professionnellement. C’est tout l’inverse de la débrouillardise et c’est aussi pour cela que les entreprises embauchent nos diplômés.
O. R : Mais dans quelle catégorie d’école faut-il classer l’ISIT ?
T. A : Sur Parcoursup, nous nous sommes classés dans la section « Ecoles de commerce et de management » avec une rubrique claire : management et communication interculturels.
O. R : Quels profils d’étudiants recherchez-vous ?
T. A : En cycle master, nous recherchons des profils trilingues, c’est à dire maîtrisant deux langues en plus de leur langue maternelle. Nous dispensons également un Bachelor en International Management and Creative Technology avec l’Efrei pour des profils avec l’anglais et le français uniquement. Avec le CFJ, nous allons proposer en 2021 un double diplôme à des journalistes qui veulent couvrir des sujets interculturels comme à nos étudiants qui veulent se former au journalisme. Enfin, nous recevons sur notre campus des étudiants du BBA de La Rochelle BS (Excelia Group) pour leur apporter un contenu interculturel spécifique.
O. R : Comment se déroule le cursus ?
T. A : L’ISIT délivre principalement un diplôme unique à bac+5 – grade master – comprenant plusieurs spécialisations : « Communication interculturelle et traduction », « Management interculturel », « Stratégie digitale interculturelle », « Stratégies internationales et diplomatie », « Juriste linguiste » et « Interprétation de conférence (uniquement à partir du Master 1). Le tout avec neuf langues de travail différentes. Autant de métiers qui incarnent la diversité des formes que prend l’expertise interculturelle.
Pendant les deux premières années (L1 et L2), les étudiants suivent un tronc commun important pour maîtriser les bases de l’interculturel et de l’international car ils doivent avoir une bonne connaissance des affaires et de la géopolitique. Ensuite, en troisième année, nous accordons plus de place aux options, qui préfigurent les spécialités de master.
O. R : Vous travaillez à la création d’un test mesurant l’interculturalité. Comment mesure-t-on si on est interculturel ou pas ?
T. A : Le Test of International Skills (TOIS) sera effectivement l’équivalent du TOEIC ou du TOEFL pour l’interculturalité. Nous en reparlerons bientôt.
- L’ISIT est née en 1957 pour accompagner la création de l’Union européenne, afin que les acteurs de cette construction institutionnelle unique puissent travailler ensemble en se respectant. Il y avait donc besoin d’interprètes capables de tenir le défi techniquement et humainement. Après la Seconde Guerre mondiale , l’interprétation de conférence s’est ainsi beaucoup développée partout. C’est lors du Procès de Nuremberg qu’est née l’interprétation simultanée. Les premiers interprètes de conférence étaient multilingues, nés dans des familles mixtes d’universitaires, diplomates, etc.