ACCRÉDITATIONS / LABELS, ECOLES DE MANAGEMENT

«Il y a un ridicule assez français à vouloir additionner les accréditations»: entretien avec Frank Vidal, directeur général d’Audencia Group

Directeur général d’Audencia Group depuis 2011, Frank Vidal est à ce titre à la tête d’un ensemble qui réunit deux écoles de management, dont l’une des toutes meilleures, Audencia Nantes, et une école de communication. Il revient avec nous sur les spécificités de son école à un moment stratégique pour l’ensemble des formations en management.

Olivier Rollot : Certaines écoles de management fusionnent, d’autres établissent des conventions entre elles, vous avez choisi une toute autre voie en vous rapprochant d’une école d’ingénieurs, l’École centrale de Nantes. Pourquoi ?

Frank Vidal : Nous ne croyons pas à des fusions entre des écoles, parfois éloignées de 600 km, qui font le même métier et s’amènent finalement peu les unes aux autres. La fusion entre identiques ne nous intéresse pas. Nous avons préféré travailler sur les relations entre management et ingénierie en nous rapprochant d’une école d’ingénieurs. Nous tissons maintenant des axes de coopération étroits qui doivent prendre la forme d’un rattachement d’Audencia à Centrale. Quand nous nous présentons à l’international nous nous présentons d’ailleurs déjà comme une seule institution formant à l’ingénierie et au management.

O. R : Le rapprochement d’une école de management et d’une école centrale, cela rappelle ce que font l’EM Lyon et l’école centrale de Lyon.

F. V : Répondant à une même inspiration, notre projet est différent. À Lyon il s’agit de créer une nouvelle école, Idea, quand nous travaillons à Nantes à l’intégration de l’ensemble de nos activités. Nos campus sont voisins et nos étudiants se rencontrent constamment. Ensemble, nous rayonnons dans tout l’Ouest de la France et sommes en plus liés au réseau des écoles centrales.

O. R : Lié maintenant à Centrale Nantes, Audencia Group a la particularité de réunir plusieurs types d’écoles. Cette multidisciplinarité est-elle le modèle de l’avenir ?

F. V : Nos trois écoles sont leaders dans leur marché dans leur région et au niveau national : Audencia Nantes bien sûr, SciencesCom en communication et l’École atlantique de commerce pour ses bachelors. Ce groupe a vocation à s’étendre avec toujours la volonté de travailler de façon très qualitative et donc sélective. Même si je souhaite un grand succès à ceux qui se sont lancés dans les fusions, il nous paraît très difficile de gérer des promotions de 1000 étudiants dans toute la France. De plus ces fusions sont très traumatisantes pour les personnels comme pour les étudiants, les diplômés ou encore les entreprises partenaires.

O. R : On présentait le rapport de la Cour des Comptes sur les écoles de management comme devant être très critique pour les écoles. À l’arrivée il est au contraire largement positif. J’imagine que vous vous en réjouissez.

F. V : On a même rarement lu un rapport à ce point élogieux. Quant aux faiblesses mises en avant, notamment notre modèle économique tendu, n’est-il pas aussi un ingrédient de notre succès ? Si nous n’avions autant besoin de ressources serions-nous autant obligés de nous améliorer constamment ? Il n’en reste pas moins que nous exerçons une mission de service public qui doit être reconnue

O. R : Le principal reproche de la Cour est de ne pas avoir suffisamment de diversité dans les grandes écoles. N’avez-vous pas encore des efforts à faire en la matière pour recevoir des jeunes d’origine modeste ?

F. V : C’est une de nos préoccupations permanentes et nous avons aujourd’hui 26% de boursiers dans notre programme grande école. Avec la Conférence des Grandes écoles nous avons fait des efforts considérables pour augmenter ce taux. Nous employons ainsi aujourd’hui, en compagnie d’autres grandes écoles nantaises, cinq salariés à temps plein pour travailler sur les dispositifs de Cordées de la Réussite qui viennent en soutien aux élèves les moins favorisés. Au sein d’Audencia Group nous recevons tous les types d’étudiants. Mais en médecine, y-a-t-il vraiment tous les types d’étudiants ? Il serait parfois intéressant de nous comparer avec les autres formations.

O. R : Vous êtes membre fondateur du pôle de recherche et d’enseignement supérieur L’Unam qui regroupe la quasi-totalité des universités et grandes écoles de la région. Comment expliquez-vous cette excellente collaboration entre les acteurs de l’enseignement supérieur qui n’est pas de mise partout ?

F. V : Nous bénéficions d’un très fort sentiment collectif et les responsables de l’enseignement supérieur et de la recherche en région ont une véritable volonté de coopérer ensemble sur les dossiers importants. Nous avons ainsi pu développer de très nombreux projets multilatéraux au sein du PRES. Récemment le président de l’Université de Nantes, rejoignant celui de Centrale Nantes, est entré au conseil d’administration d’Audencia Group. Ils ont donc chacun une voix – sur les 17 que compte le conseil – pour orienter notre stratégie.

O. R : Un PRES qui fonctionne bien donc. Cela en vaut-il alors la peine de remettre tout à plat en créant les communautés scientifiques et d’universités que prévoit la loi à venir sur l’enseignement supérieur et la recherche ?

F. V : Nous avons vécu cinq dernières années trépidantes avec de grands projets à monter (Idex, Labex, etc.) et nous allons repartir dans des réformes de gouvernance, d’infrastructures, de place de la région, de la métropole, etc. Pour les écoles, le rythme est clairement excessif et demande une énergie considérable qu’on pourrait peut-être dépenser ailleurs et notamment dans la compétition internationale.

O. R : Parlons-en. Vous faites partie de la soixantaine d’écoles dans le monde, et la douzaine en France, qui peut se vanter de posséder ce qu’on appelle la « triple couronne », c’est-à-dire les trois grandes accréditions internationales des écoles de management que sont l’AACSB, Equis et Amba. Cette obtention ne demande-t-elle pas aujourd’hui un investissement trop élevé en regard de la valeur de ces accréditations ?

F. V : Le coût financier est effectivement important car, ne l’oublions pas, les organismes accréditeurs sont aussi des entreprises qui ont des profits à réaliser. À ce titre, le récent départ d’une partie des activités de l’EFMD, l’organisme qui gère Equis et Epas, de Bruxelles à Genève me semble symboliquement grave pour un organisme qui se veut européen.

O. R : Mais pourquoi vouloir à tout prix posséder cette « triple couronne » ?

F. V : Il faut bien admettre qu’il y a un ridicule assez français à vouloir additionner ces accréditations. Nulle part dans le monde on ne tient tant à avoir autant de « trophées ». La première accréditation fait progresser, c’est indéniable, mais ensuite c’est un peu comme si une entreprise se soumettait simultanément à différents systèmes d’assurance qualité. Il y a une déperdition considérable d’énergie à vouloir répondre à des systèmes différents, avec des critères différents. C’est une vue de l’esprit de dire que cela contribue à la qualité. On parle toujours de l’effet positif de chaque accréditation, jamais de celui d’en avoir plusieurs.

O. R : Ne s’agit-il pas aussi de monter dans les palmarès des grandes écoles ?

F. V : Si ce ne sont pas les journalistes qui fondent notre stratégie, nous n’en faisons pas moins effectivement attention aux palmarès qu’ils publient. Un exemple : l’AMBA, outre l’accréditation des MBA, délivre également une accréditation des masters en management, comme nos programmes grande école. Un journal a décidé d’accorder dans son classement des points supplémentaires aux écoles qui l’auraient, une école s’est dépêchée de l’obtenir, nous avons dû en faire autant. Résultat : nous avons maintenant cinq accréditations ! La valeur créée ici est nulle, voire négative.

O. R : Les accréditions sont largement accordées en fonction de la qualité de la recherche des écoles. N’avez-vous pas parfois l’impression qu’on fait de la « recherche pour la recherche » dans les écoles de management aujourd’hui ?

F. V : La recherche est consubstantielle à notre mission et nous nous présentons bien comme une « research and teaching schhol ». Dès lors qu’on revendique un enseignement de qualité il faut faire de la recherche. Nous allons même recruter seize enseignants-chercheurs supplémentaires cette année pour encore mieux développer différents axes sur lesquels nous investissons fortement. Dans une ville comme Nantes, qui accueille aussi bien Airbus qu’un grand de la construction navale comme STX, le supply chain management est par exemple forcément un axe fort de recherche, utile pour un territoire qui travaille à l’international.

O. R : Vous vous attachez aussi tout particulièrement à la responsabilité sociale de l’entreprise dans toutes vos formations.

F. V : Parce qu’il faut aussi se donner des objectifs qui nous font nous dépasser, nous voulons être un des acteurs clés du changement dans les organisations. Notre politique de recherche et de formation est donc particulièrement offensive sur les sujets de responsabilité sociale des entreprises (RSE) et de responsabilité globale. Quand nous pensons finance, nous pensons aussi micro-crédit. Quand nous parlons de marques, nous étudions des stratégies responsables. Nous avons pour objectif à court terme que 10% de 80% de tous nos cours prenne la dimension RSE en compte. Les étudiants qui nous rejoignent savent que nous formons des étudiants responsables, que nous voulons donner du sens au management pour éviter que toutes les erreurs qui ont été faites en matière de management ne se reproduisent.

Olivier Rollot (@O_Rollot)

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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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