ECOLE D’INGÉNIEURS, PROGRAMMES

« Avec notre Bachelor, nous nous alignons sur les standards internationaux » : Frank Pacard (Ecole polytechnique)

Il y a quinze ans, l’École polytechnique proposait essentiellement un cycle d’ingénieur, dit « cycle polytechnicien ». S’il reste toujours en tête de tous les classements, ce n’était pas suffisant pour assurer la renommée de l’École dans le monde. L’X a donc développé peu à peu une formation doctorale et toute une gamme de programmes de masters et, à la rentrée prochaine, c’est un bachelor qui voit le jour. Directeur de l’enseignement et de la recherche de l’École polytechnique, Frank Pacard nous explique sa stratégie.

  • Le bachelor de l’École polytechnique sera facturé 12 000 € par an aux étudiants français ou européens et 15 000€ aux autres avec un système de bourses et d’aides organisé par la Fondation de l’École. Le coût des parcours de masters est variable mais généralement de 256€ (tarifs universitaires).
Frank Pacard (© École polytechnique – Jérémy Barande)

Olivier Rollot : Cela a été un événement quand vous l’avez annoncé fin 2015. L’École polytechnique lance son premier diplôme post bac, un Bachelor, à la rentrée 2017. Pouvez-vous nous rappeler les objectifs que vous poursuivez ?

Frank Pacard : Nous avons fait le constat que la mobilité des étudiants internationaux dès le bac est en hausse constante et que les diplômes actuellement proposés en France ne sont pas forcément tous visibles, attractifs et ne correspondent pas nécessairement aux standards internationaux. Les étudiants internationaux non francophones ont souvent du mal à s’inscrire dans les CPGE (classes préparatoires aux grandes écoles) dont les cours sont dispensés à 100% en français et qui demandent une bonne connaissance de notre système des Grandes Écoles. Avec ce Bachelor, nous nous alignons sur les standards internationaux. Pour attirer ces étudiants plus jeunes que ceux que nous recevons traditionnellement, il faut convaincre leurs parents de l’intérêt et de la qualité du programme proposé mais également leur proposer des conditions d’accueil optimales, notamment en matière de logement.

O. R : Vous avez opté pour un Bachelor en 3 ans, pas en 4 comme c’est le cas la plupart du temps aux États-Unis. Pourquoi ce format ?

F. P : Nous avons choisi de nous placer dans le système européen du LMD avec également l’idée que notre Bachelor débouche sur une poursuite d’études à la différence d’un Bachelor en 4 ans qui serait plus professionnalisant. Ce que nous voulons c’est recruter des étudiants de très haut niveau dès le bac pour les préparer à un diplôme de niveau bac+5 dans les meilleurs établissements mondiaux.

O. R : Les diplômés de votre Bachelor pourront intégrer votre cycle ingénieur ?

F. P : Ils pourront effectivement y entrer en passant par un concours qui existe déjà et qui est ouvert aux diplômés de l’université. Comme tous les élèves ingénieurs, les candidats admis suivront alors l’intégralité du cycle ingénieur car nous ne proposons pas d’entrer directement en 2e année de notre cycle ingénieur et ceci quel que soit le niveau des candidats, car il est pour nous important que puisse se construire un esprit de promotion dans le cycle ingénieur et ceci ne peut se faire que sur la durée.

O. R : Votre objectif c’est avant tout d’attirer des étudiants internationaux mais ce Bachelor n’entre-t-il pas aussi en compétition avec les CPGE ? Vous avez d’ailleurs été aidé dans la mise au point de votre Bachelor par un ancien proviseur du lycée Louis-Le-Grand à Paris, Michel Bouchaud.

F. P : Certes Michel Bouchaud nous a beaucoup aidés dans la phase de démarrage des travaux autour de ce programme mais ce Bachelor n’entre pas en concurrence avec des CPGE avec lesquelles nous avons par ailleurs largement échangé sur le sujet. Leurs responsables sont bien conscients qu’il est difficile de recruter en CPGE des étudiants internationaux non francophones qui ne connaissent pas le système des Grandes Écoles. Quant à nous, nous serions bien incapables de mettre en œuvre une pédagogie équivalente à celle qui est dispensée dans les prépas.

J’ajoute que nous sommes très contents de la formation dispensée dans les classes prépas qui produit des profils tout à fait remarquables et appréciés aussi bien dans le monde de la recherche que dans celui des entreprises, mais cette formation ne convient pas forcément à des profils qui n’ont pas l’esprit de compétition ou qui travaillent peut-être différemment. Je le répète,  nous ne serons pas en compétition avec les prépas !

O. R : Au-delà du Bachelor l’objectif de l’École polytechnique est de compter 40% d’étudiants internationaux au sein de ses différents cursus contre 30% actuellement ?

F. P : Nous comptons déjà un quart d’étudiants internationaux dans notre cycle polytechnicien ce qui est très bon compte tenu du niveau de sélection et de la difficulté que nous avons à faire comprendre ses spécificités (quatre ans après la prépa dont une année en dehors de l’École). À l’étranger, il est difficile d’expliquer ce qu’est une École d’ingénieurs française et ce qui la différencie d’une « engineering school », plus technique, et ce qui la rapproche d’une Université de sciences et technologie.

Pour le cycle ingénieur, nous organisons donc de plus en plus de concours à l’étranger pour recruter les étudiants internationaux. Pour le Bachelor, notre objectif est d’avoir 60% d’étudiants internationaux dans des promotions de 160. Enfin nous recevons 50% d’étudiants internationaux dans les parcours de Master que nous coopérons avec nos partenaires de Paris-Saclay et parmi les doctorants.

O. R : Beaucoup de vos étudiants poursuivent en doctorat ?

F. P : Nous sommes, à ma connaissance, une des rares écoles d’ingénieurs française à proposer un stage de recherche de cinq mois. Résultat : 30% des élèves du cycle polytechnicien poursuivent en doctorat dont un dixième dans nos propres laboratoires. Notre mission est également d’irriguer l’ensemble des laboratoires français.

Nous recrutons chaque année près de 150 doctorants dans nos laboratoires et, pour nous aligner sur les pratiques internationales, nous avons créé cette année un « PhD track » afin que ceux qui se destinent à la recherche puissent s’y préparer dès la première année de Master grâce à une immersion dans le centre de recherche de l’École. Comme aux États-Unis ou au Royaume-Uni, cela donne au étudiants une perspective sur 5 ans quand, dans le système français, on reste assez souvent surune logique de 1 an +1 an + 3 ans  après la licence.

O. R : Aujourd’hui dispensés dans le cadre de l’université Paris-Saclay, vous avez créé de très nombreux parcours masters qui vont des « nanosciences » à l’informatique en passant par les mathématiques. Ce n’est pas un spectre trop large ?

F. P : Cela correspond à l’activité de nos laboratoires et nous ne sommes pas seuls à  produire ces parcours de Master. Nous les dispensons d’ailleurs pour la plupart en partenariat avec d’autres grandes écoles et universités. L’objectif est de proposer des formations scientifiques capables d’attirer des étudiants de très haut niveau qui choisiront ensuite d’aller dans des laboratoires de l’École ou d’autres laboratoires.

O. R : Cette année vous avez créé de nouveaux programmes de niveau master, des « graduate degrees ». À qui sont-ils destinés ?

F. P : Ce sont des programmes de deux ans professionnalisants, qui reprennent une partie de l’ADN du cycle polytechnicien, et qui ont vocation à être très proches des besoins des entreprises. Nous allons par exemple en ouvrir un l’année prochaine avec HEC la formation « Big Data for business » qui est consacrée à l’analyse des données alors que nous proposons également un parcours de Master sur le sujet. Mais ce dernier est beaucoup plus orienté vers la poursuite en doctorat avec un stage de recherche conséquent. Le graduate degree est dispensé en anglais et demandera certes un très bon niveau en mathématiques à ses étudiants mais sera également orienté vers les aspects économiques liés à l’analyse des données et à leur impact sur les entreprises. C’est une double formation scientifique et économique.

Là aussi, l’objectif est d’attirer une grande majorité d’étudiants internationaux auxquels nous proposons une formation de deux ans qui leur permet de vraiment venir vivre en France, et d’apprendre le français grâce à une formation poussée en français en tant que langue étrangère, quand d’autres programmes ne leur proposent pas plus d’un semestre en France.

O. R : L’international passe également par des implantations à l’étranger. Avec d’autres écoles de ParisTech vous avez créé une école au sein de l’Université Jiaotong de Shanghai. Avez-vous d’autres projets d’implantations internationales ?

F. P : Nous avons implanté une école d’ingénieurs à la française en Chine sans pour autant dupliquer notre école comme le font d’autres grandes écoles et nous ne souhaitons pas pour l’instant développer d’antennes à l’international. Notre stratégie repose plutôt sur des partenariats stratégiques avec de très grandes universités, mais aussi par la volonté de recruter les meilleurs étudiants et, par conséquent, attirer les meilleurs professeurs internationaux.

O. R : Quels sont vos concurrents ? Stanford aux États-Unis, l’EPFL en Suisse ?

F. P : Nous ne sommes pas concurrents de Stanford qui a cinq fois plus d’étudiants et de moyens que nous. Mais nous n’avons pas non plus à rougir quand on voit que 45% des étudiants du cycle polytechnicien finissent la dernière année de leur cycle d’études de 4 ans à l’étranger dans les meilleures universités mondiales. Ces dernières sont d’ailleurs déçues quand nous ne leur envoyons pas d’étudiants les années suivantes. L’aspect pluridisciplinaire de notre formation scientifique et humaine est très reconnu car il donne à nos diplômés une très bonne agilité intellectuelle.

 

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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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