En laissant les écoles des Mines et des Télécoms dont il a la tutelle doubler leurs droits de scolarité, le ministre du Redressement productif Arnaud Montebourg a laissé s’ouvrir un débat qu’on imaginait mal un ministre ancré à gauche comme lui porter. Mais il est vrai qu’en la matière les lignes de fractures politiques ne recouvrent pas une simple fracture gauche / droite. Pendant la dernière campagne présidentielle think tank proche du PS Terra Nova a pu être favorable à une augmentation modérée des frais de scolarité au motif qu’aujourd’hui « les pauvres payent pour les riches » alors que le ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche de l’époque, Laurent Wauquiez s’y opposait formellement.
Paris-Dauphine enfonce le clou
En annonçant à son tour une hausse des frais de scolarité de ses étudiants de master, Paris-Dauphine a emboîté le pas aux écoles de l’Institut Mines-Télécom. «Nous sommes bien obligés de constater un écart croissant entre le financement public et nos besoins. Or, l’enseignement ce n’est plus seulement un professeur devant ses étudiants: il faut organiser des stages, créer un incubateur pour favoriser l’entreprenariat, gérer les départs à l’étranger des étudiants, développer les services numériques, etc.», explique Laurent Batsch, le président de l’université dans un entretien que vous pouvez retrouver sur le blog d’HEAdway. Le tout dans un environnement international très compétitif où, selon lui «ce sont tout autant les entreprises, les familles, les alumni que l’activité marchande des établissements qui doivent de plus en plus financer nos activités ».
Des subventions de l’État modulées selon les filières?
Dans une tribune très remarquée sur le site du Monde, Pierre-Cyrille Hautcoeur, directeur d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales, explique lui que «le caractère presque exclusivement public du financement des universités ne permet plus à celles-ci de fournir l’encadrement et l’insertion demandés par les familles». Lorsqu’un étudiant est le principal bénéficiaire de l’enseignement qu’il reçoit, parce qu’il accroît sa rémunération future, il est juste qu’il contribue à le financer, professe-t-il tout en demandant la mise en place de règles différentes selon les formations: «L’importance relative du bénéfice privé par rapport au bénéfice public varie d’une formation à l’autre, ce qui justifie que la subvention publique soit plus faible pour les filières directement professionnelles». Et de conclure que le gouvernement ne «résoudra pas le problème financier tant qu’il ne laissera pas les universités libres de mettre en place les droits d’inscription qui leur permettraient de concurrencer, à armes égales, les écoles»
L’Unef s’oppose
A l’opposé l’Unef «déplore et condamne» l’augmentation des frais de scolarité de Dauphine par la voix de son président William Martinet relate Le Point. Réfutant l’argument porté par Laurent Batsch selon lequel l’Unef se battrait pour des enfants de familles très aisées (l’augmentation en master est de 41% pour les revenus supérieurs à 120 000 € par an mais beaucoup plus faible en-dessous), il assure que «les familles des classes moyennes paieront proportionnellement plus cher que celles issues des classes supérieures». Un étudiant dont les parents déclarent 40 000 euros aurait en effet à débourser 2160 euros, soit 5,4% du revenu annuel ; tandis que pour une famille soumise à la dernière tranche, l’inscription revient à 4,95%.
La question des étudiants étrangers
La fixation de droits de scolarité plus importants pour les étudiants étrangers non communautaires est également source de friction. À Paris-Dauphine, ces droits vont ainsi passer ainsi de 3 150 à 6 000 euros, dans les écoles des Mines Télécom à 3 850 euros. «Au regard du subventionnement massif de l’enseignement supérieur par les produits de l’impôt est-il déraisonnable de fixer des droits de scolarité plus importants à des étudiants qui repartiront dans leur pays après leur cursus en France, et même nous y concurrencer?», soutient Philippe Jamet, le président de la Conférence des Grandes écoles (CGE) tout autant qu’un de ceux qui vont augmenter leurs droits de scolarité en tant que directeur de l’École des Mines d’Albi, dans un entretien que vous pouvez retrouver sur le blog d’HEAdway. Sans compter qu’en «maintenant une quasi gratuité nous envoyons un signal faible sur le marché mondial de l’enseignement supérieur : être bon marché aujourd’hui ce n’est pas être attractif contrairement à ce que beaucoup pensent». Le débat a commencé, à n’en pas douter il sera au centre des discussions encore de longues années.
Olivier Rollot (@O_Rollot)