ECOLES DE MANAGEMENT

« Aujourd’hui notre fusion est une réussite ! » : Alice Guilhon, directrice générale de Skema

Skema est née de la fusion en 2009 de l’ESC Lille et du Ceram de Nice. Cinq ans après, alors que d’autres écoles sont encore dans les affres de la fusion sa directrice générale, Alice Guilhon, peut pousser un grand « ouf » de soulagement : Skema ne fait vraiment plus qu’une et peut travailler à de nouveaux développements.

Alice Gulhon

Olivier Rollot : Ca y est la fusion est derrière vous ?

Alice Guilhon: Aujourd’hui on peut le dire : notre fusion est réussie ! Elle est même bouclée depuis longtemps mais ce fut un gros morceau qu’il a fallu quatre ans pour digérer. Nous sommes parvenus à faire émerger une culture propre bien différente de celle des deux écoles fondatrices, qui sont maintenant totalement oubliées et dont nos étudiants actuels n’ont même jamais entendu parler.

La constitution de cette identité commune est notamment passée par la décision de fusionner tout de suite tous les programmes pour ne plus avoir de sites indépendants. Surtout la fusion a été un véhicule pour atteindre notre projet d’internationalisation du modèle d’éducation français auquel nous croyons beaucoup. Fusionner des écoles uniquement pour rationaliser leurs coûts, c’est courir à l’échec !

O. R : Quelle est l’étape suivante ?

A. G : Maintenant on peut penser au développement, notamment à l’international, et réfléchir comment devenir totalement indépendant. Nous avons bénéficié des soutien financiers des chambre de commerce et d’industrie (CCI) de Lille, et surtout de Nice, pendant quatre ans en sachant qu’ils allaient peu à peu baisser et bientôt disparaître avec les réformes des chambre de commerce. Aujourd’hui nous travaillons sur un business model qui ne prend plus en compte les financements des CCI.  Cela passe d’abord par le développement de l’international et de l’executive education [formation continue].

O. R : Cette fusion a quand même coûté cher, plus que vous ne l’évaluiez au début. Cela en valait vraiment la peine ?

A. G : Une fusion coûte beaucoup d’argent, c’est clair. Prenez le rapprochement de nos deux campus parisiens à La Défense : ils ont conduit à 600 000 euros de dépassements par rapport au budget. Ou le passage au statut privé des collaborateurs des deux écoles. 98% l’ont accepté mais il a suffi que quelques-uns le refusent pour générer 1 million d’euros de coûts. En tout j’estime le coût de la fusion entre cinq et six millions d’euros. Mais ça en vaut la peine : aujourd’hui nous générons un résultat net de 1,5 million d’euros et ne sommes absolument pas endettés. Nos actifs (40 millions) nous appartiennent et nous sommes une véritable école globale avec de véritables campus.

O. R : Il n’y a qu’en France que les business schools s’interrogent sur leur modèle économique ?

A. G : Non c’est le cas partout parce qu’il y a aujourd’hui beaucoup trop d’acteurs sur la scène mondiale. Nous sommes dans un marché de la connaissance qui se structure. Pour notre part nous sommes dans la gestion de la croissance mais nous demandons encore comment la financer. Nous sommes un peu comme une startup qui se consolide avec une croissance de 10 à 20% par an largement tirée par la Chine (+ 30%) mais aussi par les États-Unis qui nous donnent une grande visibilité.

O. R : Les frais de scolarité ont atteint un palier ?

A. G : Le gouvernement français doit faire un choix : soit laisser les frais de scolarité augmenter, soit financé l’enseignement supérieur. Les subventions dont nous bénéficions baissent chaque année alors qu’on nous demande toujours d’en faire plus, notamment en matière d’ouverture sociale. On ne peut pas demander tout et ne rien donner !

O. R : Pendant votre fusion vous n’avez pas fait que gérer, vous avez aussi ouvert des campus à l’étranger par exemple.

A. G : Je pense que pour réussir la fusion il ne fallait pas se concentrer uniquement sur la gestion quotidienne mais aussi avoir des réalisations comme l’installation de notre campus aux États-Unis, à Raleigh où nous avons dix salariés à plein temps et recevons 400 étudiants. En Chine, à Suzhou, nous employons quinze Chinois et quatre expatriés et recevons 600 étudiants sur un campus de 4000m2. Nous sommes un employeur international qui a obtenu les reconnaissances de chaque pays dans lequel il est implanté.

O. R : Mais certains disent qu’envoyer autant d’étudiants ensemble à l’étranger cela ne leur permet de comprendre vraiment le pays ou d’apprendre la langue.

A. G : 82% des business schools dans le monde ont des accords d’échange mais il faut faire la différence entre un échange où des dizaines d’étudiants de tous les pays se retrouvent sur un campus où ils ne parlent finalement qu’en anglais et l’imprégnation culturelle et linguistique que nous donnons à nos étudiants. En Chine, ils suivent trois heures de cours de mandarin par jour, travaillent sur des projets de terrain et effectuent des stages dans des entreprises chinoises. Ils apprennent vraiment les codes culturels et sociaux.

Ce que nous voulons c’est former des Français en Chine et des Chinois en France. Pas des Chinois en Chine comme le font beaucoup d’autres business schools. Chaque année 300 Chinois de très bon niveau viennent sur nos campus en France. Notre bachelor américain donnera l’occasion à des étudiants de passer deux années aux États-Unis puis deux autres dans le reste du monde

O. R : Comment faites-vous pour convaincre les étudiants étrangers de vous rejoindre ?

A. G : En plus de ceux du programme grande école, nous recevons 700 étudiants étrangers dans nos différents MSc et 200 en bachelor sans parler des échanges. Pour qu’ils viennent il faut d’abord leur prouver que leur retour sur investissement sera meilleur en venant à Skema qu’en allant dans une business school américaine ou du Nord de l’Europe, nos deux grands concurrents. Dans cette optique les classements du Financial Times sont un indicateur français mais on se bat aussi sur d’autres critères comme notre présence sur la Côte d’Azur ou en Chine.

O. R : Mais qu’est-ce que vos étudiants viennent chercher spécifiquement en venant à Skema ?

A. G : Ils viennent d’abord pour notre dimension internationale, c’est clair. Si la première année de notre programme grande école a forcément toujours lieu en France, à partir de la deuxième année il est possible de changer de campus et de pays tous les six mois en fonction de parcours que nous validons. Les programmes multi sites, comme notre MSc management de luxe, sont très demandés car ils permettent de passer six mois successivement en France, en Chine ou aux États-Unis. Un étudiant américain ou chinois peut aussi obtenir un diplôme de Skema sans jamais venir en France.

En résumé, nous sommes une vraie école globale, présente sur trois continents, comme le sont Coca Cola ou Microsoft, qui forme les talents de l’économie de la connaissance. L’exposition multiculturelle des étudiants aux autres nationalités est cruciale et nous proposons chaque année un séminaire obligatoire sur la globalisation à nos 1500 étudiants de 3ème année. Quand vous faites travailler ensemble un étudiant chinois et un autre américain sur le développement durable vous vous rendez vite compte que leurs points de vue ne sont pas compatibles. Il est essentiel de comprendre ces codes si on veut être efficace demain dans des entreprises de plus en plus mondialisées.

O. R : Vous pensez vous implanter sur d’autres continents ?

A. G : Nous allons ouvrir un campus au Brésil en 2016 et nous pensons également à la Russie, à l’Afrique et, pourquoi pas, à l’Australie. Nous voulons être présents sur tous les continents mais encore faut-il que des technopoles y soient développées. L’innovation permanente est dans notre ADN et elle demande un environnement technologique adapté pour voir le jour.

Le problème est de gérer la complexité du système : si à peine 1% des business school sont aujourd’hui multi sites c’est, d’une part que les problèmes logistiques sont considérables, d’autre part que tous les enseignants n’ont pas forcément envie de voyager. Une de nos forces a justement été d’avoir des professeurs qui rêvaient d’international et qu’on avait recrutés pour cela.

O. R : Vous avez toujours le projet d’exporter le système des prépas françaises aux États-Unis ?

A. G : Nous pensons toujours que notre modèle de prépas puis de grandes écoles est exportable. Mais nous ne pouvons pas avancer sans que le gouvernement finance les salaires des professeurs de prépas. Et vous savez comme il aime les prépas…

O. R : Vous avez les moyens de recruter des professeurs internationaux dont on sait que les salaires sont très élevés en gestion ou en marketing ?

A. G : Un tiers de 160 professeurs sont aujourd’hui étrangers et nous voulons arriver à 50%. Quant au coût, tout dépend où on le paye. Un professeur américain aux États-Unis ne coûte pas si cher. Mais si on veut le faire venir en France c’est vite 300 000€ qu’il faudra débourser pour lui assurer l’équivalent en termes de retraite ou de sécurité sociale. De la même façon c’est très cher d’expatrier un professeur français mais il fallait le faire pour développer la culture Skema.

O. R : Allez-vous faire partie d’une communauté d’universités et d’établissements (ComUE) avec des universités ?

A. G : Aujourd’hui nous avons beaucoup d’accords et un laboratoire commun avec l’université Lille 2. Pourquoi ne pas créer une ComUE avec eux demain ? L’idée des ComUE c’est de mettre en commun des ressources pour créer des synergies. Mais attention à ne pas dissoudre des structures qui fonctionnent bien dans des monstres bureaucratiques.

O. R : Vous avez des projets de développement de massive open online courses (MOOC), ces cours ouverts à tous et gratuits ?

A. G : Tout le problème c’est de trouver un modèle économique qui permette de faire travailler quatre à cinq professeurs à temps plein sur le développement d’un MOOC. Le professeur qui donne le cours sur la globalisation que nous dispensons à distance y travaille pendant trois semaines non-stop. Si vous y ajoutez les moyens techniques nécessaires pour le filmer, le produire, le diffuser ce sont plusieurs personnes qui y travaillent !

MOOC ou pas nous sommes très investis dans le développement des nouvelles pédagogies et nous avons créé un « Knowledge Center » pour y développer de plus en plus de cours multi-sites. Demain tous nos cours seront en ligne. Un important investissement dont nous verrons les retours d’ici un ou deux ans.

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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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