Directeur de l’EPF, il préside l’Ugei (Union des grandes écoles indépendantes) mais aussi la commission « Afrique » de Campus France. Comment s’implanter en Afrique ? Comment l’Ugei entend s’ouvrir à de nouveaux types d’établissements d’enseignement supérieur ? Quel rôle pour les EESPIG (établissement d’enseignement supérieur privé d’intérêt général) ? Les réponse de Jean-Michel Nicolle.
Olivier Rollot : Le développement de l’enseignement supérieur en Afrique fait partie des priorités des établissements d’enseignement supérieur français. Vous qui présidez la commission « Afrique » de Campus France que faut-il faire pour y travailler dans les meilleures conditions ?
Jean-Michel Nicolle : J’ai été proposé à la présidence de cette commission par la CDEFI. Cette commission s’est fixée comme feuille de route d’identifier les meilleures pratiques de l’ESRI français en Afrique pour faire émerger ce qui pourrait être un guide d’action pour les établissements français soucieux d’intégrer à leur stratégie, la coopération universitaire africaine. Sur ce continent au potentiel aussi important que sont ses besoins en matière d’éducation, nous travaillons sur différents axes et d’abord celui de la différenciation de notre modèle face aux concurrences fortes de pays dont l’offre est en plein essor : Arabie Saoudite, Maroc, Turquie, Chine etc.
Notre réponse, c’est de mettre en avant, outre les qualités académique et scientifique de nos établissements, les valeurs qui sous-tendent leur vision d’un futur responsable : la place de la femme dans la société, la RSE (responsabilité sociale des entreprises), l’économie circulaire ou encore les soft skills, etc. Nous pensons également qu’il faut changer de paradigme et cesser de considérer l’Afrique comme une banque de talents à exporter mais au contraire s’engager dans un processus structurant de coopération à long terme avec l’ESR africain. C’est d’ailleurs le sens du campus franco-sénégalais ou encore du Hub franco-ivoirien. La commission a intégré dans son périmètre de travail cette année la question des campus délocalisés.
Une autre question essentielle est celle du modèle économique. Alors que le PIB en parité de pouvoir d’achat en Afrique subsaharienne francophone se situe entre 1000 et 4000$ par habitant, comment développer une offre compatible avec une dépense de formation considéré comme acceptable aux alentours de 2500€ par an alors qu’en France nous sommes à un niveau au moins quatre fois supérieur ?
Pour cela il faut rechercher les synergies les plus fortes, mutualiser, développer rapidement des formations numériques et accompagner le renforcement des capacités des acteurs africains. Nous sommes sur le bon chemin mais il faut désormais accélérer le processus !
O. R : L’Afrique où la France peut investir c’est forcément l’Afrique francophone ?
J-M. N : Non, bien sûr ! il faut réfléchir à une zone d’influence plus large. Pour cela il faut que l’Afrique francophone de l’ESR renforce ses liens avec les autres zones du continent dont certaines connaissent aujourd’hui une croissance très rapide. L’un des axes de développement porte donc sur la mobilité des étudiants intracontinentaux, l’intégration des parcours par exemple par la création de co-diplômes franco-ghanéen ou franco-sud-africains. L’appel à projet Adesfa pour le développement de l’enseignement supérieur en Afrique offre l’opportunité de financer des missions d’études dans une zone étendue de pays.
Il faut continuer à tisser la toile de la coopération en contribuant à favoriser les interconnections des ESR.
O. R : Il n’y a pas que l’Afrique qui vous intéresse. L’EPF s’implante également en Asie et est présente en Europe.
J-M. N : Nous travaillons depuis quelque temps sur le concept de « campus in campus » qui vise à prendre appui sur des structures existantes pour contribuer à valoriser les actifs des partenaires et offrir des ressources à l’EPF. En Inde, Amity University nous a ainsi rervé un espace pour que nous puissions disposer de notre propre micro campus que j’ai eu le plaisir d’inaugurer il y a peu. En contrepartie nous avons offert un espace d’accueil à cette université sur notre campus troyen. Demain nous poursuivrons cette politique et j’ai proposé à la direction générale de 2IE d’accueillir un espace EPF au Burkina-Faso où nous avions déjà mis en œuvre un cycle préparatoire majoritairement dédié aux femmes africaines.
Nous y poursuivrons la coopération sur d’autres champs tels que l’entrepreneuriat ou encore la recherche collaborative sur les énergies.
Nous envisageons de déployer ce modèle de « campus de campus » ailleurs, y compris en Europe.
O. R : Le modèle c’est celui de l’« expérience croisée »…
J-M. N : J’ai pris conscience de l’apport du croisement des cultures scientifique, technologique et industrielle en mesurant son effet sur les profils d’ingénieurs. Notre diplôme conjoint avec la Hochschule de Munich permet, en mixant des profils et des modèles académiques différents, de créer une forte valeur technologique, sociale et bien sûr européenne. C’est pourquoi je souhaite étendre l’expérience à d’autres environnement. Par exemple en proposant une immersion d’élèves de dernière année sur un campus africain ou asiatique afin de leur permettre de contextualiser leurs compétences et confronter leurs connaissances à des environnements économique, social et culturel dans lequel ils auront une probabilité d’agir dans leur carrière future. L’objectif est aussi de cultiver leur génie dans un espace de croissance mais aussi de frugalité, d’apprendre à coopérer efficacement dans des milieux interculturels.
Nos diplômés doivent être reconnus pour leur forte opérabilité à l’international.
O. R : Cet apport d’autres cultures passe aussi par la collaboration avec d’autres écoles. Notamment avec une école de management, l’ICD, avec laquelle vous avez ouvert un bachelor.
J-M. N : Avec l’ICD nous avons conçu deux bachelor « future innovators » parfaitement hybride et à vocation internationale dans lequel les programmes sont co-écrits et la formation totalement alternée entre les deux établissements. Il ne s’agit pas d’une superposition de compétences comme c’est souvent le cas mais d’une véritable intégration. De plus le format du bachelor satisfait aux besoins d’une croissance mondiale qui attend de nos établissements une mise sur le marché de cadres intermédiaires parfaitement opérationnels.
O. R : Le bachelor amène une dimension internationale plus forte ?
J-M. N : Nous avons besoin de prendre une place significative sur un marché international hyper concurrentiel. La question de la reconnaissance est centrale c’est pourquoi je milite en sein des instances représentatives, CDEFI et UGEI en particulier, pour que le grade de licence puisse être délivré, dans un cadre strict d’exigence de qualité bien sûr, à nos bachelor. C’est, de mon point de vue, une condition nécessaire pour leur donner une attractivité internationale. Mais l’internationalisation doit continuer à irriguer notre offre de diplôme d’ingénieurs.
Pour ne citer que deux exemples, nous développons des accords de coopération avec l’URAP, Université de Moscou, pour renforcer notre majeure « aéronautique et espace » en introduisant des enseignements dédiés à la collecte et au traitement des données satellitaires. La formation sera principalement assurée par des professeurs russes. En contrepartie nous accueillerons quelques étudiants de l’université partenaire. C’est le fruit d’un travail collaboratif auquel a été associé plusieurs partenaires dont le représentant du CNES basé à Moscou.
Nous travaillons également depuis deux ans avec l’université tchèque de Brno qui dispose de laboratoires spécialisés dans l’analyse des crashs d’avions.
- R : La Commission des titres d’ingénieurs (CTI) vient d’ouvrir la possibilité de réduire à deux le nombre de semestres académiques qu’il faut obligatoirement passer dans l’établissement accrédité pour délivrer le diplôme d’ingénieur. C’est dans cet esprit d’internationalisation ?
J-M. N : Les trois semestres académiques obligatoires freinaient la capacité d’internationalisation de la formation et constituait probablement un frein à l’attractivité des étudiants étrangers. Désormais la possibilité de réaliser un semestre académique chez un partenaire, bien sûr dans un cadre strictement contrôlé, ouvre des possibilités nouvelles en particulier de doubles diplômes. Ce nouveau cadre permettra aussi de baisser le coût d’obtention du diplôme pour l’étudiant étranger au moins pour ce qui concerne les charges associées au logement, nourriture etc.
O. R : Vous êtes également président de l’UGEI (Union des grandes écoles indépendantes) que vous voulez ouvrir à de nouveaux établissements au-delà des Grande écoles d’ingénieur et de management. Comment comptez-vous procéder ?
J-M. N : La vocation de l’UGEI est de valoriser toutes les écoles membres, EESPIG (établissements d’enseignement supérieur privé d’intérêt général) ou pas. La diversité est probablement ce qui nous distingue des autres fédérations et nous voulons en faire une force pour nos engagements.
Si je milite à côté des autres fédérations pour que le label EESPIG développe totalement son potentiel de reconnaissance, je suis attentif à ce qu’il s’inscrive dans le périmètre défini par la loi et ne vienne pas se substituer aux missions dévolues à la Commission des titres d’ingénieurs (CTI) la Commission d’évaluation des formations et diplômes de gestion (CEFDG) ou au Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (HCERES).
C’est la raison pour laquelle je réfute l’idée qu’il puisse s’agir d’un label de qualité au sens strict. En effet, l’ensemble des écoles sont soumises à des évaluations et accréditations qui garantissent leurs qualités.
Bien évidemment les établissements EESPIG font l’objet a fortiori d’évaluations et présentent en conséquence toutes les qualités académiques et scientifiques requises pour exercer pleinement leurs missions. C’est d’ailleurs une condition nécessaire. Mais la fonction principale du label c’est d’une part de garantir que les missions assurées sont d’intérêt général et en conformité avec les objectifs de l’ESRI français et d’autre part de garantir la traçabilité financière des EESPIG qui signent un contrat avec l’Etat. La non-lucrativité est de ce point de vue essentielle.
Pour revenir à l’UGEI nous avons unanimement décidé de modifier nos statuts pour ouvrir l’association à des établissements proposant d’autres formations et d’autres diplômes : écoles d’architecture, de design, d’arts. D’autres formes juridiques et d’autres statuts sont désormais éligibles pour une entrée à l’UGEI, peut-être des EESC (établissement d’enseignement supérieur consulaire) ou des sociétés anonymes. C’est notre culture d’ouverture et de diversité qui se matérialise dans cette évolution importante. Nous avons également été à l’origine de la création du réseau européen, l’EUPHE (European Union of Private Higher Education), pour fédérer l’ensemble des établissements d’enseignement supérieur privés européens, pour accompagner la reconnaissance de leur place croissante en Europe mais aussi constituer un espace d’échanges de bonnes pratiques et de coopération au profit des membres mais surtout de nos étudiants.
Cette dynamique européenne est désormais un facteur de différentiation de l’UGEI.
O. R : La réforme du bac et du lycée va peu à peu impacter l’ensemble des formations postbac. Quel regard jetez-vous sur la question des spécialités ? Comment les concours peuvent-ils évoluer ?
J-M. N : Cette réforme suscite des inquiétudes mais peut se révéler une formidable opportunité d’ouvrir nos formations à de nouveaux profils. C’est dans cette esprit que nous considérons qu’il faut y adhérer même si nous avons conscience qu’elle conduira à une remise en cause de nos pratiques voire de nos principes.
C’est d’ailleurs une position partagée au sein du bureau de la CDEFI.
Les différents concours de recrutement seront profondément impactés même s’ils n’ont pas totalement arrêté leur doctrine pour 2021. On peut imaginer que certains d’entre eux seront plus restrictifs que d’autres et chercheront à reconstituer les filières. Le Concours Avenir parie sur l’opportunité et mettra en place un dispositif qui garantisse à la fois les connaissances scientifiques fondamentales nécessaire et permette d’élargir les profils des candidats. Nous pourrions prescrire des matières obligatoires en classe de première, par exemple maths et physique, avec une troisième spécialité libre et prévoir un cadre plus ouvert en classe de terminale. Mais d’autres scenarios sont examinés et une position définitive sera arrêtée courant de l’été.
On peut imaginer que l’hétérogénéité des candidats nécessitera, pour certains, une harmonisation en début de processus pour faciliter l’intégration. De plus cette réforme conduira probablement les Concours à repenser certaines épreuves.