POLITIQUE DE L'ENSEIGNEMENT SUPERIEUR

Comment l’enseignement supérieur lutte contre les VSS

L’affaire n’en finissait pas de choquer. Comment un étudiant condamné par le Tribunal correctionnel de Tours, le 19 mars 2024, à une peine de cinq ans de prison avec sursis pour des faits d’agression sexuelle pouvait-il être admis au centre hospitalier de Carcassonne pour y poursuivre ses études ? Finalement, devant le tollé général et les menaces de grève des syndicats, le directeur général de l’Agence régionale de santé Occitanie, Didier Jaffre, annonce le 24 octobre dans un communiqué avoir « décidé de surseoir à statuer sur le rattachement administratif au Centre hospitalier universitaire de Toulouse et sur l’affectation semestrielle au Centre hospitalier de Carcassonne, de l’étudiant en médecine ». Une suspension qui « sera effective jusqu’à la fin des procédures pénale et disciplinaire actuellement en cours à son encontre ». Selon une étude publiée récemment, 9% des hommes, 24% des femmes et 33% des personnes transgenres/non binaires/queer déclarent avoir subi au moins une tentative d’agression sexuelle, une agression sexuelle, une tentative de viol ou un viol depuis leur arrivée dans l’enseignement supérieur…

Les facultés de médecine en première ligne. Le cas de l’étudiant tourangeau est atypique. Généralement la justice pénale est moins rapide que les procédures administratives. Dans le cas de l’étudiant tourangeau si un premier jugement avait été prononcé le condamnant il restait « présumé innocent » tant que le jugement d’appel n’avait pas été prononcé. D’où la possibilité de s’inscrire dans une autre faculté. D’autant qu’aucune procédure disciplinaire n’avait été lancée par l’université de Tours comme l’explique le professeur Nourhashemi, présidente de la commission médicale du CHU De Toulouse dont dépend l’antenne de Carcassonne, à France Bleu : « Les agressions se sont produites à Tours, donc c’était à Tours de lancer cette procédure disciplinaire, ce qui n’a pas été fait. Aujourd’hui, l’Université de Tours a été saisie par le ministère de l’Enseignement supérieur pour lancer une procédure disciplinaire. Autrement dit, c’est une autre université qui sera responsable de réaliser cette procédure disciplinaire. Mais ce ne sera pas Toulouse ».

Cette même faculté de médecine de Tours a depuis été mise en cause après que des étudiants aient déployé, lors d’une soirée d’intégration, une banderole sur laquelle était dessinée une femme nue, inconsciente, dans un gigantesque verre à cocktail, avec un pénis qui éjacule au-dessus d’elle. Tout en bas, l’inscription « GHBites » est écrite, en référence au GHB, surnommé « la drogue du violeur ». Une dérive qui rappelle celles souvent dénoncées lors des « soirées d’intégration » des futurs médecins « Alors que les moyens d’interdire et de sanctionner le bizutage existent, rien ne change », déplore Jean Chazal, professeur des universités et doyen honoraire de la faculté de médecine de Clermont-Ferrand, dans une tribune au « Monde » où il « dénonce un héritage obsolète, archaïque et déformé de façon sordide ».

L’alcool facteur aggravant. L’alcool est présent dans plus de la moitié des violences sexuelles selon l’étude menée par la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives. 67 000 étudiants et élèves de grandes écoles ont été interrogés entre 2023 et 2024 pour cette enquête intitulée Violences sexistes et sexuelles dans l’enseignement supérieur en France : un focus sur l’alcool et le cannabis, conduite en partenariat avec le ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche.

Les femmes restent les plus concernées avec 71,4 % du total des victimes de VSS. Une proportion importante de victimes indique avoir subi ces agressions à plusieurs reprises dans plus d’un cas sur deux pour les agressions sexuelles (ou tentatives) et dans un peu moins de la moitié des viols (ou tentatives). Selon les estimations des victimes, l’auteur avait consommé de l’alcool dans près de 62 % des tentatives d’agression sexuelle, 56 % des agressions sexuelles, 42 % des tentatives de viol et 43 % des viols.

Pour leur part, les victimes déclarent avoir consommé de l’alcool dans 47,5 % des tentatives d’agression sexuelle, 44 % des agressions sexuelles, 35% des tentatives de viol et 37 % des viols. Près d’une victime de viol ou de tentatives sur quatre rapporte avoir consommé cinq verres d‘alcool ou davantage. 23 % des victimes de viol (ou tentatives) et 16 % des victimes d‘agression sexuelle (ou tentatives) indiquent par ailleurs que l‘auteur avait tenté de modifier leur état de conscience au moyen d‘alcool ou d‘autres substances pour avoir un avantage sur elles.

S’agissant du cannabis, 3 % à 6 % des victimes déclarent en avoir consommé avant les faits, et 8 % à 13 % estiment que c’était le cas de l’auteur. Concernant les autres drogues, elles avaient été consommées par 2,3 % des victimes d’agression sexuelle (ou tentative), et par près de 3,5 % des victimes de viol (ou tentatives). Bien que très marginales ( de 1 %), la MDMA / ecstasy, les benzodiazépines et autres médicaments sont cités.

Des semaines d’intégration propices aux dérapages. Plus d’un étudiant sur trois ne se sent pas en sécurité lors des événements festifs et plus d’1 sur 4 ne se sent pas en sécurité lors des événements d’intégration. C’est ce qu’a révélé le rapport Derrière les rites étudiants : enquête sur les événements d’intégration dans l’enseignement supérieur français de l’Observatoire des violences sexistes et sexuelles dans l’enseignement supérieur publié en septembre 2024.

Un rapport révèle qui également que plus de la moitié des répondants (56,1%) pense que les événements d’intégration peuvent aggraver les violences sexistes et sexuelles. C’est ainsi plus d’1 répondant sur 3 qui a été victime ou témoin d’au moins une violence sexiste ou sexuelle lors des événements d’intégration, et ce chiffre monte à plus de 60% concernant les femmes et personnes sur le spectre de la non-binarité. Et, dans plus d’1 cas sur 10, les agresseurs sont des organisateurs de l’événement. Enfin la moitié des répondant (54,7%) pense que les auteur de violences ne sont jamais punis, et plus de 8 répondant sur 10 estiment que les mesures prises contre les accusé sont superficielles.

La situation est particulièrement difficile pour les nouveaux étudiants et une victime d’agression sexuelle sur six a même été agressée la première semaine de sa première année d’étude. Deux autres facteurs de risque reviennent ainsi fréquemment dans les réponses : la vulnérabilité des primo-arrivants pour près d’1 répondant sur 10 (9,4%) et une acceptation de comportements abusifs, discriminants ou violents, en tant que victime ou témoin, pour ne pas se faire « mal voir » dès le début d’année (5,4% des répondants).

Des professeurs mis en cause. Le rapport de sujétion à l’autre qu’évoque l’Observatoire des violences sexistes et sexuelles dans l’enseignement supérieur est encore plus marqué lorsque l’agresseur est un professeurs. Et particulièrement en thèse. Une sujet auquel l’Observatoire va consacrer un autre de ses rapports fin 2024. Un sujet sur lequel les étudiants sont de plus en plus engagés comme on l’a vu à Sciences Po quand certains se sont opposés au retour de leur directeur, Mathias Vicherat, aujourd’hui jugé avec sa compagne pour des violences conjugales mutuelles. A l’institut universitaire de technologie (IUT) de Mulhouse les étudiants s’opposent aujourd’hui au retour d’un enseignant réintégré après trois mois de suspension. Une sanction prononcée par la section disciplinaire de l(Université de Haute Alsace pour des faits de harcèlement à l’encontre de deux étudiantes remontant à 2022 comme l’explique France 3 Grand Est. « La légèreté de la sanction de seulement trois mois, découverte à la rentrée, génère de la frustration. Trois mois pendant les vacances d’été, en plus. C’est une façon de dire que ce n’est pas si grave », déplore Manon Denizot, présidente d’un syndicat étudiant mulhousien, la CSTE (Communauté solidaire des Terres de l’Est).

Et il est vrai que la communauté absout souvent ses membres. Selon les données de l’AEF, entre 2009 et 2022, le Cneser disciplinaire a ainsi relaxé 37% des enseignants, le plus souvent par des professeurs d’université, dont elle a été saisie du cas. Depuis septembre 2023 le Cneser disciplinaire est d‘ailleurs présidé par un conseiller d’État et non plus par un professeur d’université. Déjà depuis 2020 le Cneser n’avait plus sa compétence de juge d’appel des décisions applicables aux étudiants, et n’était donc plus compétent que pour les appels formés relatifs à des sanctions disciplinaires prononcées en première instance à l’encontre d’enseignants. Une décision prise suite au grand nombre d‘annulation des décisions des universités.

En plus de mettre fin au droit accordé aux universitaires de n’être jugés que par leurs seuls pairs, le décret donne un pouvoir considérable au président de la juridiction d’appel, conseiller d’État. Désormais selon le Code de l’Education, « le président peut donner acte des désistements, rejeter les requêtes ne relevant manifestement pas de la compétence du Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche statuant en matière disciplinaire ou entachées d’une irrecevabilité manifeste et constater qu’il n’y a pas lieu de statuer » établit ainsi le décret. Jusqu’alors, ce pouvoir ne relevait pas exclusivement de la présidence du Cneser disciplinaire, mais de l’ensemble de la formation mentionnée comprenant, outre le président, deux conseillers titulaires désignés par ce dernier, d’un rang égal ou supérieur à celui de la personne déférée.

Le MESR et les établissements agissent. En 2021 le MESR a lancé un Plan national de lutte contre les violences sexistes et sexuelles dans l’enseignement supérieur et la recherche. Des référents VSS ont ainsi été nommés dans l’ensemble des établissements d’enseignement supérieur public et dans de nombreux privés. De nombreuses formations ont été depuis dispensées à tous les personnels et aux étudiants en charge des événements festifs. Surtout des cellules d’écoute, des psychologues, des infirmiers sont maintenant facilement accessibles et peuvent répondre et orienter les victimes.

L’université de Caen Normandie a ainsi inauguré le 27 septembre dernier le nouveau bâtiment de son Service de Santé Étudiante (SSE) qui propose une offre de soins élargie, incluant des consultations de médecine générale, de psychiatrie, venant en complément des services spécialisés en santé sexuelle, prévention des conduites addictives. « Le lancement du SSE marque l’aboutissement d’un projet ambitieux visant à élargir et moderniser l’offre de soins pour les étudiants. Nous avons conçu ce service avec une vision globale de la santé, intégrant non seulement les consultations médicales mais aussi un accompagnement psychologique, social, et préventif », explique Catherine Lepargneur, directrice du SSE de l’UNICAEN.

Particulièrement mis en cause ces dernières années Sciences Po a par exemple mis en place un dispositif de proximité pour « faciliter l’écoute, l’orientation et l’accompagnement ». La personne référente VSS de l’établissement reçoit d’abord les signalements et les transmet de manière systématique à la Cellule chargée des enquêtes internes, coordonne les mesures d’accompagnement et informe les victimes de l’avancement de la procédure. Sur chaque campus, des infirmières et infirmiers relais VSS assurent une écoute confidentielle des victimes et témoins, informent et orientent. Enfin un service d’écoute et d’accompagnement est géré par France Victimes.

Beaucoup est fait, souvent en réaction à des événements, mais souvent les résultats s’étiolent avec le temps notamment parce que les étudiants changent et que leurs actions ne sont pas toujours suivies par leurs successeurs. L’exemple des dérives qui existent toujours au su et au vu de tous dans les facultés de médecine montre bien combien il reste à faire pour ancrer la lutte contre les VSS dans la durée.

Un sujet traité pendant le Salon de l’expérience étudiante. Une conférence est consacrée aux questions de santé, sport, bien être et VSS dans le cadre du Salon de l’expérience étudiante qu’organisent HEADway Advisory et RPI les 19 et 20 novembre à la Cité internationale universitaire de Paris. Les intervenants :

  • Gaëlle Berton – Présidente – Observatoire des violences sexistes et sexuelles dans l’enseignement supérieur
  • Catherine Lepargneur – Directrice du Service de santé étudiante – Université de Caen Normandie
  • Dominique Monchablon – Psychiatre
  • Un représentant de l’association Nightline
  • Hélène Surrel – Directrice – Sciences Po Lyon
  • Jean-Gilles Vitti – Directeur du département des sports – HEC Paris
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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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