Comment se forge un destin ? Parfois en faisant la déception de ses parents. Nous sommes en 1988 et Jacques Fayolle vient d’obtenir son bac S. « J’étais un bon élève au lycée mais ce que je voulais c’est devenir professeur de mathématiques, pas aller dans les meilleures écoles comme ils en rêvaient pour moi. » Voilà donc Jacques Fayolle à l’université de Saint-Etienne, ville dont il est originaire, pour s’y préparer au Capes. Mais c’est une autre passion qui lui vient : celle de la recherche. Il obtient donc un DEA (diplôme d’études approfondies, l’actuel master) en mathématiques appliquées avant de se lancer dans une thèse.
- Portrait publié pour la première fois en février 2022. Aujourd’hui Jacques Fayolle ne préside plus la Cdefi.
Début de carrière dans un IUP
Appelée l’Etude d’algorithmes de traitement d’images pour l’analyse du mouvement d’objets déformables : application à la mesure de vitesses d’écoulements la thèse de Jacques Fayolle est destinée à estimer par des modèles informatiques comment un injecteur de moteur diesel a le meilleur rendement. Un poste à l’université de Saint-Etienne se profilant à l’horizon, il va la réaliser en seulement deux ans et demi. Nous sommes en 1998 et un nouvel institut universitaires professionnalisés (IUP) voit le jour – ces instituts proches dans leurs méthodes des école d’ingénieurs, recrutant après bac+2, disparaitront dans les années 2000 – au sein de l’université de Saint-Etienne. « Trois postes sont créés pour le développer, un professeur, un maître de conférence et une personnel administratif qui est toujours ma collaboratrice », se souvient le directeur.
A l’époque l’université de Saint-Etienne est encore jeune, créée en 1969, loin des 27 000 étudiants qu’elle compte aujourd’hui. L’IUP ne compte au début que 40 étudiants. « Mon premier cours je le fais la boule au ventre mais je me rends vite compte que je leur propose justement le cours, l’informatique, pour lequel ils ont choisi d’être là et tout se passe très bien. » Quatre ans plus tard, l’IUP intègre l’Istase (Institut supérieur des techniques avancées de Saint-Étienne), jeune école d’ingénieurs interne à l’Université et qui agrège alors en son sein deux IUP.
Le chercheur devient manager
Jacques Fayolle aurait pu longtemps continuer dans la voie de la recherche. Une fois encore son destin va changer. Nous sommes en 2001 et on lui confie le pilotage et l’administration d’un appel à projet « Campus numérique » : « Je me suis occupé de ce campus de 2001 à 2011. C’est là que j’ai pris un nouveau virage en abandonnant peu à peu la recherche pour la gestion de projets innovants ».
Parallèlement il est nommé en 2003 directeur adjoint de l’Istase. « En 2003 je propose au directeur de l’époque (Gérard Noyel) de me nommer directeur adjoint pour développer l’école et la placer dans la dynamique de l’institut Télécom en tant qu’école associée. L’Istase prend alors le nom de Télécom Saint-Etienne. Nous refondons l’école en compagnie de Laurent Carraro, directeur de 2008 à 2012, en restructurant les diplômes d’ingénieurs. » En 2012, un an avant la fin de son mandat, Laurent Carraro quitte la direction de l’école pour rejoindre celle des Arts et Métiers à Paris. Après un court intérim Jacques Fayolle lui succède. Il est reconduit dans ses fonctions en 2017 pour un second mandat de cinq ans.
Depuis 2012, et la prise de fonction de Jacques Fayolle à la direction, les effectifs de l’école ont doublé, le budget a augmenté de 140%, l’école est devenue école affiliée de l’Institut Mines Télécom (IMT), contribue au développement de l’Institut Carnot Télécom et Société Numérique. L’école a transformé sa pédagogie en intégrant 15% de ses effectifs qui suivent des diplômes de SHS (sciences humaines et sociales) en information et communication numérique. Jacques Fayolle a également créé en 2019 l’un des premiers bachelors donnant grade de licence en école d’ingénieurs. Intitulé Global Communication & Digital Design, il mêle communication, informatique, web ettraitement des données : « Nous pouvons recruter des profils littéraires comme scientifiques ».
Président de la Cdefi
Parallèlement à la direction de Télécom Saint-Etienne, Jacques Fayolle prend peu à peu des fonctions nationales au sein de la Cdefi (Conférence des directeurs des écoles françaises d’ingénieurs). Par deux fois, en 2017 et 2019, il en est président par intérim à l’issue des mandats d’Armel de la Bourdonnaye puis de Marc Renner. Un directeur d’école interne à une université comme Jacques Fayolle peut-il prendre la direction de la Cdefi ? Quand Armel de la Bourdonnaye est contraint de quitter son poste, après son non renouvellement à la tête des Ponts ParisTech, Jacques Fayolle assure l’intérim. Après le mandat de Marc Renner, Jacques Fayolle est élu à la présidence. « Ces deux intérims m’ont permis de faire le point. De savoir si je pouvais tenir la route aussi bien en termes de charge de travail mais aussi et surtout pour servir la communauté des écoles d’ingénieurs françaises au bon niveau de responsabilité. » Et dépendre localement d’un président d’université ne lui a « jamais causé aucun souci ».
Très apprécié par ses pairs il est réélu en 2021 pour sa capacité à « aboutir à des consensus dans lesquels les écoles, publiques du centre de Paris comme privées de régions, se retrouvent ». Il insiste : « Nous mettons d’abord en avant les intérêts des élèves et des entreprises, celui des écoles en est la conséquence ». A la présidence de la Cdefi, il défend le modèle d’écoles d’ingénieurs à la française qui sont des « start up de l’enseignement supérieur, très innovantes et performantes. Il faut de tout pour faire un monde, des grands groupes, des ETI et des PME ».
S’il reconnait que, dans un poste aussi exposé, il faut également « apprendre à digérer les couleuvres sans trop avoir mal au ventre » il a su s’organiser pour faire face : « Mon modèle c’est le tabouret à trois pieds, le plus stable, avec mon directeur adjoint qui fait tourner l’école quand je suis absent, un autre directeur d’école d’ingénieurs avec lequel je peux toujours discuter et mon adjointe de direction qui organise ma vie et met des barrières pour me préserver des moments ».
Ses passions : l’informatique et Saint-Etienne
Même directeur de Télécom Saint-Etienne, Jacques Fayolle continue toujours à programmer : « J’ai réalisé récemment quelques outils pour mon école et le concours Mines Télécom ». On lui doit par exemple l’application qui a servi à faire passer les oraux via un support de tablette numérique, à plus de 5 000 candidats. Et il continue à donner 64 heures de cours chaque année : « J’ai toujours du plaisir à le faire mais moins de temps pour préparer mon cours ce qui est moins satisfaisant dans une discipline où il faut constamment se remettre à jour ».
Mais sa grande passion c’est sa ville, Saint-Etienne. Stéphanois jusqu’au bout des ongles, Jacques Fayolle y est né, y a suivi toute sa scolarité puis sa carrière : « J’adore cette ville. Nous sommes une agglomération de 400 000 habitants dynamique, une ville de design et de culture, à 60 km de Lyon, à 2 heures des pistes de ski et à 2 h 30 de la mer ». Et il ne lui faut que dix minutes de voiture pour passer de son bureau en centre-ville à sa maison en pleine campagne.Avec son épouse il y a élevé ses deux enfants, maintenant adultes. La famille est un élément important de repère pour « remettre très vite les idées en place » dans les moments difficiles.
Pédagogie et mathématiques
Ardent défenseur des nouvelles approches pédagogiques, Jacques Fayolle milite pour une approche par exemples, études de cas et critique les « mathématiques élitistes, éthérées ». Alors que le débat sur la place des mathématiques au lycée fait rage, il rappelle qu’on a « d’abord besoin de jeunes qui font des mathématiques à un bon niveau, pas de faire souffrir les élèves en les gavant ». Il propose donc qu’on « requestionne les programme de mathématiques au lycée » : « On se penche par exemple vraiment trop tard sur les questions de statistiques et de probabilité, pourtant utiles à tous les profils ». Et il s’interroge également sur les méthodes pédagogiques dans un enseignement qui « reste très classique » au collège et au lycée.
L’avenir des classes préparatoires l’interpelle aussi : « Au-delà de la qualité intrinsèque du socle scientifique fourni, cela devient de plus en plus compliqué de proposer un socle commun à des écoles dont le champ disciplinaire va du génie civil à l’Intelligence artificielle (IA) en passant par les biotech ou le Big Data. On ne peut pas seulement créer de nouveaux tubes comme les nouvelles classes MP2I, il faut travailler l’interdisciplinarité ». D’autant qu’avec, d’un côté la sortie du pic démographique de l’an 2000, de l’autre la baisse du nombre d’élèves ayant opté pour la doublette Mathématiques Physique-chimie en terminale – 7% en deux ans – beaucoup d’écoles s’interrogent sur la création de classe préparatoires intégrées.
Un contexte dans lequel la question de la formation d’un nombre d’ingénieurs suffisant – il en manque 5 000 par an – va se poser de façon de plus en plus cruciale. « Sans oublier la question de la formation de profils intermédiaires avec des bachelors en sciences et ingénierie dont les écoles privées se saisissent très fortement et que l’enseignement public doit également développer. » Autant de défis que le président de la Cdefi va encore relever tout au long de son second mandat.