Particulièrement renommée pour la qualité de l’insertion de ses étudiants, l’Université de Cergy-Pontoise entend également rappeler qu’elle est une université de recherche de mieux à mieux reconnue à l’étranger comme en attestent les accords qu’elle conclut avec ses homologues étrangères. Président de l’université de Cergy-Pontoise et de la Comue Paris Seine, François Germinet nous explique sa stratégie en compagnie de son vice-président au développement scientifique à l’international : Arnaud Lefranc.
Olivier Rollot : Il y a dix ans que l’université de Cergy-Pontoise a créé son Institut d’études avancées. A quoi sert-il ?
Arnaud Lefranc : Pendant dix ans notre IEA a fonctionné en mode « hors les murs ». Depuis deux ans nous avons des bâtiments en propre qui nous permettent notamment d’organiser de nombreux colloques et d’inviter régulièrement entre 60 et 80 chercheurs chaque année. Toutes disciplines confondues alors que la plupart des IEA français sont plutôt consacrés aux sciences humaines et sociales. Ces chercheurs peuvent venir pour des périodes relativement brèves – c’est généralement le cas des Américains – ou pour des séjours longs où ils sont alors en CDD.
François Germinet : Cet IEA favorise l’ouverture internationale de nos chercheurs et nous permet par exemple d’afficher un taux de publication dans les revues de recherche international de plus de 50% qui se situe dans la moyenne nationale et légèrement au-dessus des universités présentes à la fois dans les SHS et les sciences dures.
O.R : L’UCP est avant tout reconnue pour la qualité de son enseignement. « L’Étudiant » la classe par exemple première cette année dans son palmarès de l’insertion professionnelle après un master. Avec votre IEA, vous vous positionnez également clairement en tant qu’université de recherche.
F. G : Il existe une forte concentration d’universités de premier plan en Ile-de-France. Nous ne pouvons pas nous permettre d’être relégués en seconde division si nous voulons recruter les meilleurs enseignants-chercheurs. Notre vocation consiste à porter la recherche au plus haut niveau international, avec de très beaux résultats en mathématiques et SHS, en intelligence artificielle comme en sciences de l’ingénierie. Une réussite qui a d’ailleurs tout à fait convaincu les différents jurys internationaux du PIA, avec de beaux succès côté I-Site, Labex et encore EUR.
C’est même un paradoxe ! Nous parvenons plus facilement de convaincre à l’international qu’au sein des institutions françaises du potentiel d’excellence de notre recherche. Nous figurons également pour la première fois cette année au classement 2018 du Times Higher Education des 250 meilleures jeunes universités dans le monde, alors que l’UCP n’a que 26 ans et a été créée ex-nihilo.
Pour l’UCP, et pour la Comue Paris Seine dont nous faisons partie, la reconnaissance de notre niveau réel passera d’abord par l’international. Nous en avons conscience.
O.R : Vous avez signé beaucoup d’accords de partenariat avec des universités étrangères ?
F. G : Nous venons de signer une alliance forte avec l’université de Warwick : nous venons de créer une chaire en mathématiques et systèmes complexes, nous travaillons à plusieurs doubles diplômes, nous facilitons les visites temporaires de chercheurs. Avec les Etats-Unis nous sommes partenaires de la prestigieuse commission Fulbright. Nous structurons nos actions vers l’Afrique (avec une convention cadre renforcée avec l’AUF) et vers l’Asie (Singapour et Chine). Nous travaillons enfin avec la Vrije Universiteit Brussel – l’université libre de Bruxelles côté flamand – et l’université de Warwick à la constitution d’une alliance européenne, dans la foulée de l’initiative lancée par le président Macron.
O.R : Quels sont vos arguments pour recruter les meilleurs enseignants-chercheurs ?
A. L : Nous pouvons accorder des décharges de cours comme des primes. Nous tentons de limiter le localisme. Ce que nous regardons c’est la qualité du dossier scientifique avant tout. Par exemple, en humanités, pour la 2e année consécutive nous recrutons comme professeur un membre de l’Institut universitaire de France (IUF), et un professeur recruté l’année dernière vient d’en devenir membre.
Ce que les maîtres de conférence et enseignants-chercheurs viennent chercher chez nous c’est un environnement de travail privilégié. En chimie nous disposons par exemple de laboratoires de premier plan avec des équipements scientifiques à la pointe de l’état de l’art !
F. G : L’UCP est une université à taille humaine qui permet aux chercheurs de travailler en proximité. Le tout avec des institutions récentes sans mandarinat. Chez nous un maître de conférences peut donner des cours en master et nous insistons pour que nos professeurs donnent des cours en licence.
O.R : Vous avez toute l’autonomie nécessaire pour recruter vos enseignants comme vous l’entendez ?
A. L : Nous avons tout latitude pour recruter un professeur à l’international.
F. G : Pour des professeurs en fin de carrière, qui ne souhaitent pas entrer dans la fonction publique française, nous pouvons même construire des carrières avec un environnement propice – postdoc, doctorants – en CDI avec des salaires adaptés.
O.R : Quel est le pourcentage de vos doctorants qui devient ensuite enseignant ?
F. G : Environ 10%. Tous les doctorants ne sont pas faits pour entrer à l’université ou au CNRS ! Un doctorat doit pouvoir être valorisé auprès des entreprises.
A. L : Passer un doctorat représente aussi une reconnaissance additionnelle pour des étudiants qui ne sont pas passés par une grande école.
O.R : Développez-vous des chaires d’entreprise ?
F. G : Chaque année nous créons en moyenne deux chaires partenariales et cinq à six en tout sur le périmètre de la Comue Paris Seine. Les entreprises savent que nous sommes capables de sortir de notre zone de confort et de travailler avec elles d’égal à égal. Notre dernière chaire a été lancée avec Qwant, le fameux moteur de recherche « éthique ». Autre exemple, en « sécurité et sciences criminelles » nous travaillons avec le pôle sécurité de la Gendarmerie. Ce que propose l’UCP c’est à la fois un socle scientifique solide et la capacité à travailler avec le terrain. Chez nous pas de professeurs condescendants ! Chaque étudiant est un start-upeur en puissance.
C’est en cela que nous sommes potentiellement une université de technologie pluridisciplinaire, une « technical university » (TU), qui fait de la recherche fondamentale qui se transfert à la société. Avec un véritable impact. Paris Seine compte aujourd’hui 700 enseignant-chercheurs permanents – dont les deux tiers de l’UCP – et 1200 avec les non permanents. Nous avons également 500 doctorants. Un chiffre qui devrait doubler d’ici dix ans.
O.R : La Comue Paris Seine pourrait devenir la quatrième université de technologie française ?
F. G : Si nous déposons la marque « Paris Technical University », nous sommes encore réservés sur son usage. A nouveau, nous formons au niveau de Paris Seine un université pluridisciplinaire, proche des modèles internationaux comme la NTU à Singapour ou la TU Dresden en Allemagne. Notre ADN consiste à porter une recherche de pointe dont une grande partie est en mesure de se transférer dans le monde socio-économique. Ainsi, avec une Comue très largement composée d’écoles le modèle « TU » est pertinent.
O.R : La Comue Paris Seine changerait donc de statut ?
F. G : Nous sommes en train de nous restructurer sous la forme d’un collège universitaire – qui comprendrait tous les premiers cycles, toute l’offre postbac de Paris Seine – et de cinq graduate schools. L’Essec constituerait sa graduate school internationale en management ; la graduate school « modélisation et ingénierie » regrouperait l’Eisti, les facultés de sciences et d’économie gestion ; la graduate school « création and patrimoine » correspond à l’EUR dont nous venons d’être lauréat, regroupant les sciences humaines de l’UCP, l’École nationale supérieure d’arts de Paris-Cergy (ENSAPC) et l’École Nationale Supérieure de Paysage de Versailles (ENSP), et y associant l’Institut national du patrimoine. Cette graduate school a vocation à challenger les meilleures dans le monde dans ce domaine.
Les deux autres graduate schools regrouperaient d’un côté le droit et les sciences politiques, de l’autre l’éducation avec le pôle UCP de l’ESPE de l’académie de Versailles (École supérieure du professorat et de l’éducation) et l’EPSS (école en travail social) et l’ILEPS (école de sport).
Avec ce travail, la Comue disparaîtrait en tant qu’établissement pour se fondre avec toutes ses missions dans le « grand établissement » en construction.