Un cours dans une salle Hyflex de GEM
Alors que ChatGPT et ses émanations en IA sont en passe en disrupter profondément l’enseignement supérieur (lire notre édition de la semaine dernière) le numérique s’y est essentiellement imposé ces dernières années par le recours au distanciel. Même si les réticences restent fortes, l’enseignement à distance s’est maintenant ancré solidement dans la plupart des établissements. Nous y consacrons cette semaine le deuxième volet de notre série d’articles sur l’enseignement supérieur à l’ère digitale. La semaine prochaine nous nous pencherons sur sa dimension virtuelle.
Où en est l’hybridation des enseignements ? Début janvier 2023 le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche (MESR) et le Secrétariat général pour l’investissement (SGPI) organisaient le Colloque National Hybridation des formations pour faire le point sur l’appel à projets « Hybridation des formations de l’enseignement supérieur ». Lancé en 2020 cet appel à projet avait vocation à accompagner les établissements d’enseignement supérieur pour réussir la rentrée 2020-2021 en pleine crise sanitaire et ainsi assurer la continuité pédagogique. « L’hybridation c’est la combinaison du distanciel et du présentiel. Nous devons établir quelle est la plus-value du présentiel et comment l’optimiser en proposant en amont des TD et TP hybrides », commente l’organisatrice du colloque, Mireille Brangé, coordinatrice nationale de la Stratégie enseignement et numérique au SGPI.
« Mais de quoi parle-t-on exactement quand on évoque l’hybridation? Parfois de présentiel enrichi, parfois de ressources numériques, parfois de classe inversée ou même de », s’interroge David Cassagne, vice-président délégué au Numérique pour la Formation de l’Université de Montpellier qui a lancé AgilHybrid : « 71 salles sont aujourd’hui équipées pour dispenser un enseignement co-modal permettant de choisir entre présentiel ou distanciel. Par ailleurs, 125 unités d’enseignement sont aujourd’hui en cours d’hybridation avec du distanciel asynchrone. » Le dispositif de formation proposé par l’université de Montpellier comprend des modules d’enseignement en ligne que l’apprenant peut suivre en différé. Fichiers audio, vidéos, QCM, contenus interactifs… sont autant de ressources pédagogiques que les étudiants peuvent consulter librement et à leur rythme.
Une expérience de partage que Grenoble EM a été parmi les premières à mener avec son dispositif GEMHyflex. Cette solution complète, développée par GEM en 2020, permet aux enseignantes et aux enseignants de dispenser des cours simultanément à des élèves à distance et en présentiel avec les mêmes possibilités d’interaction que s’ils étaient tous réunis dans un même espace. « Les salles GEMHyflex apportent une réponse de qualité à la situation : après une courte formation et un accompagnement ciblé, les professeurs sont rapidement autonomes et retrouvent des sensations semblables à celles d’un cours qui ne serait dispensé qu’en présentiel. Les étudiantes et étudiants à distance participent sans aucune contrainte et se sentent, de fait, pleinement intégrés au groupe, au même titre que leurs collègues présents en salle de classe », explique Armelle Godener, la directrice de la pédagogie de l’école.
S’adapter aux publics. « Un des avantages de la formation asynchrone est de permettre aussi une plus grande diversité des publics, étudiantes ou étudiants salariés, en double cursus, formation continue ou étudiantes et étudiants étrangers puisque ces contenus peuvent plus facilement être internationalisés. Là encore la pédagogie numérique est un formidable outil au service de la réussite étudiante », définit David Cassagne. Un distanciel qui se prête particulièrement bien à l’enseignement des professionnels en activité. Porté par France Université Numérique (FUN), le consortium Digital FCU est ainsi composé d’un collectif de 19 universités pour former plus de 10000 personnes sur 5 ans et de développer plus de 7000 heures composant les nouveaux parcours de formation hybride. « Digital FCU doit nous permettre de développer la formation continue dans les universités en créant une sorte de place de marché pour mettre en valeur nos transformations », spécifie David Cassagne.
Mireille Brangé insiste justement sur la notion de progression pédagogique : « Si l’hybridation peut intervenir dès la première année de cours c’est sur des objectifs de remédiation et d’accompagnement des étudiants. Sinon on cumule les problèmes d’adaptation au supérieur et de l’illectronisme dont souffrent beaucoup de jeunes ». Des attentes encore plus fortes du côté des apprentis pour lesquels le distanciel est parfois indispensable, notamment quand ils travaillent loin de leur établissement, même si ceux-ci ne peuvent y recourir systématiquement. Pendant la période Covid plus de 90% des CFA ont ainsi été en capacité de mettre à disposition des moyens de formation à distance (ils étant déjà 75% avant le Covid). « Aujourd’hui des approches telle que la simulation, la réalité virtuelle, commencent à se développer. Les outils se sont démocratisés et leur coût à diminué avec la concurrence entre les prestataires », se félicite Olivier Kirsch, directeur et cofondateur de l’association GIFOD qui réunit des CFA et des organismes de formation, qui n’en constate pas moins qu’on a « souvent du mal à passer de l’expérimentation à sa généralisation quand on teste beaucoup de méthodes ».
Si des blocages perdurent encore quant au recours au distanciel c’est souvent en raison de la difficulté à comptabiliser les heures de cours au sein des obligations de service des enseignants-chercheurs. Une question à laquelle l’université de Montpellier est l’une des premières à s’être attaquée. « Nous l’avons inscrit dans notre référentiel horaire. 40 heures de cours sont aujourd’hui équivalentes à 30 heures de cours et 10 h en distanciel asynchrone. Les enseignants conservent ainsi l’ensemble de leurs heures de service ce qui donne un cadre rassurant sans qu’on parle de diminution des heures présentielles dans un objectif d’économie », insiste David Cassagne.
Les examens et concours à distance ; oui mais comment ? Se pose particulièrement la question du passage des examens et épreuves à distance qu’ont par exemple décidé de conserver les concours Accès et Sesame pour l’entrée dans les écoles de management postbac. Pour ses écrits en ligne SESAME a choisi la solution TestWe. 63 000 sessions – d’une moyenne d’une heure – ont ainsi été scrutées en 2022 par 200 examinateurs pendant douze jours pour déceler d’éventuelles triches. « C’est l’équivalent de 3 000 journées audios d’enregistrement. En tout environ 10% des vidéos remontent et un bon millier sont regardées à la loupe pour décider s’il s’agit ou pas d’une fraude », explique le directeur du programme, Thomas Lagathu, tout en rappelant que la « triche existe également en présentiel » : « Le dispositif anti-triche est plus efficace en distanciel ! »
La solution met en avant les temps « suspects » – bruits, chuchotements, parents qu’on entend, etc. – comme des regards constamment posés par le candidat sur un Iphone « oublié » sur son bureau. « Nous nous étonnons aussi de voir un étudiant subitement très bon dans une matière quand son dossier scolaire dit le contraire », reprend Thomas Lagathu. De plus SESAME demande au début du passage de l’examen aux candidats de filmer leur environnement, les alentours de leur bureau et même… leurs oreilles pour valider qu’ils ne portent pas d’oreillette. Des dispositifs que certains jugent intrusifs : « Le candidat qui ne veut pas être filmé chez lui peut venir passer les épreuves dans une école », explique encore Thomas Lagathu. In fine 40 candidats ont été exclus en 2022. En 2023 les modalités de passage du concours sont confirmées avec quelques changement cosmétiques comme un temps de passage plus court pour les questions pour « éviter qu’ils soient tentés d’aller voir ailleurs dans le temps qu’il leur reste », reprend Thomas Lagathu.
De son côté la Commission nationale informatique et liberté (Cnil) travaille sur l’éthique que suppose l’utilisation des techniques de surveillance des candidats. Elle publiera d’ici l’été 2023 un texte de recommandations dont on peut déjà lire le projet. Il en ressort notamment que le « recours à l’évaluation à distance et aux outils de télésurveillance associés ne devrait pas être motivé par le seul objectif de rendre moins contraignant pour l’établissement l’organisation de la vérification des connaissances des étudiants ». Le passage de l’épreuve « dans un local dédié et soumis à une surveillance humaine devrait rester la modalité normale d’organisation ». Lorsqu’il est pertinent, le passage de certaines épreuves à distance plutôt que dans l’établissement devrait, « en principe, être une faculté offerte aux étudiants et non une obligation ». A suivre…