Par Laurent Batsch, président de la Fondation Paris-Dauphine
Les Fondations d’université existent, on peut les rencontrer. Elles remplissent trois fonctions, dans des proportions variables. Elles sont d’abord des structures de mécénat pour le financement des établissements, mais elles sont aussi le véhicule des partenariats avec les entreprises du territoire, et elles sont enfin des pépinières abritant des projets innovants.
Dix ans après leur création sur les modèles de la loi de 2007, elles peuvent s’interroger sur leur avenir[1]. Le moment de la création ne s’embarrasse pas de grandes anticipations, mais au terme d’une décennie, l’arbre a pris racine. Comment ces nouvelles structures s’installent-elles dans la durée, à côté des universités qu’elles accompagnent ? A quel horizon de temps doivent-elles se projeter ?
- S’il est vrai que la levée de fonds en appelle au sentiment d’appartenance à leur établissement de la part des donateurs, ce sentiment repose sur une base objective et ne procède pas de la génération spontanée. Il s’éprouve à l’égard d’une institution qui revendique sa singularité et qui cultive son caractère propre. Or, si les Ecoles entretiennent de longue date la fidélité de leurs diplômés, la démarche est beaucoup plus récente pour les universités. L’exercice de l’autonomie, le déploiement de stratégies d’établissement et l’affirmation d’ambitions internationales créent les conditions de l’émergence de communautés de diplômés, mais il y faudra du temps. Il ne faut pas attendre de la part des diplômés l’expression d’une fierté collective à l’égard de « leur » université si celle-ci n’est pas porteuse d’une forte estime d’elle-même.
- Institutions nouvelles, institutions jeunes, les Fondations d’université ne peuvent pas encore témoigner d’une histoire qui les aurait rendues familières. Elles ont besoin de temps pour faire connaître leur existence, attirer l’intérêt sur leurs programmes et instaurer la confiance dans leur gestion. Il faut aux Fondations le temps de s’installer dans le paysage visible des donateurs potentiels. La levée de fonds est tributaire de la démonstration que les actions engagées par la Fondation sont pertinentes, et cette crédibilité ne se décrète pas, elle s’acquiert à l’usage.
- La levée de fonds est un métier étendu et complexe, qui mobilise des compétences dans des domaines variés : relations publiques, gestion événementielle, organisation de réseaux, communication institutionnelle, marketing de masse, etc. En outre, ce métier s’apprend sur le tas. C’est pourquoi les compétences ne sont pas si nombreuses sur le marché du travail. Des individus et des équipes se forment à l’expérience, et les universités elles-mêmes apprennent progressivement l’activité de « leur » fondation. Mais cet apprentissage prend d’autant plus de temps qu’il s’effectue sans guide.
- Il a été dit et redit à l’excès que la culture française était peu encline à la philanthropie. L’invocation rituelle des obstacles « nationaux » au fundraising dessert la bonne cause quand elle entretient le découragement. Or, le succès d’opérations comme le Téléthon, ainsi que la performance de Fondations à vocation médicale ou humanitaire devraient relativiser le complexe français. La fiscalité française des Fondations est très favorable aux donateurs. Il est vrai que le « geste » du don à une Fondation académique n’a pas encore acquis dans la représentation collective la même image de marque que les dons humanitaires. Les Fondations d’université sont encore de jeunes pousses, et elles ont une réputation à construire : plus elles seront nombreuses et plus la légitimité de chacune d’entre elles sera renforcée. La performance de chaque Fondation est aussi tributaire de l’espace créé par toutes les autres. Or, cet espace se constitue lentement. Le temps, toujours.
- Enfin, l’horizon de l’action d’une Fondation se juge aussi à une question triviale : combien d’années lui faut-il pour constituer un capital (« endowment ») engendrant des revenus à même de financer le fonctionnement de la structure, sans prélever sur les flux annuels de dons ? Le seuil d’accumulation de ressources propres suffisantes pour couvrir le coût de fonctionnement d’une Fondation est un bon indicateur de la pérennité de celle-ci. Or, le temps minimal d’accumulation (sauf don exceptionnel) s’écoule sur deux à quatre décennies [2]. Au demeurant, la constitution de ce capital ne soustrait pas des ressources au financement des missions de la Fondation. D’abord parce que ce capital n’est abondé que par des flux résiduels, après financement des projets. Ensuite, parce que ce capital peut être investi dans des projets en rapport avec la mission de la Fondation (dans du logement étudiant, par exemple). Enfin, parce qu’une fois que ce capital a atteint le niveau suffisant pour autofinancer la structure, la Fondation est libérée de la contrainte de prélever une part des flux annuels pour son propre fonctionnement.
Les Fondations consacrent l’essentiel de leurs ressources à des projets du moment ; ce ne sont pas des cagnottes pour demain, mais des leviers pour aujourd’hui. Mais le développement des Fondations s’inscrit dans une perspective de très long terme. C’est le travail quotidien intense et obstiné des équipes qui permet aux Fondations de servir les projets actuels et de s’installer dans la durée.
La conscience du temps long ne distrait pas de la recherche de résultats tangibles à court terme. Mais elle invite à se départir de deux risques. Le premier est de pécher par impatience, en brûlant les étapes et en fixant des objectifs inatteignables. Le volontarisme est l’expression avantageuse de l’impatience mais il peut conduire au découragement et au renoncement. Il faut tenir un équilibre entre une forte ambition et des capacités contraintes. Il faut viser haut mais ne pas rêver à brûler les étapes.
Le second risque est le court-termisme, celui qui suggère de ne rien épargner. C’est le biais du flambeur. Il est d’autant plus grisant que l’épargne est longue à se constituer. Tant que le capital accumulé est petit, la tentation est grande de l’affecter à des dépenses immédiates, de sorte que la Fondation n’accumule jamais aucun fond. Au contraire, la Fondation doit avoir l’objectif de constituer un « endowment », quitte à contrarier la satisfaction de besoins urgents, forcément urgents. On entend l’objection, formulée à la manière de Keynes, selon lequel « à long terme nous sommes tous morts… ». Eh bien non. A long terme, nous changeons de génération, mais nous vivons. Dans un pays où la protection sociale est fondée sur la solidarité intergénérationnelle, nous devons nous souvenir que la transmission d’une génération à une autre créé pour chacune d’elles une dette permanente envers sa suivante. Ce que la direction d’une université impulse aujourd’hui, elle le doit aux générations qui l’ont précédé. Il n’est pas illogique qu’à son tour, une direction pense aux générations qui la suivront, à ces générations qui sont formées actuellement, et qui attendront l’âge de la maturité pour rendre à l’université ce que celle-ci leur a apporté.
Ainsi, une Fondation d’université accompagne le développement de son institution dans une perspective intergénérationnelle. Son horizon de temps dépasse celui d’un poste, d’un grade ou d’une carrière, de même que l’institution survit aux expériences individuelles.
C’est l’honneur d’une génération de « fonder » ou « d’instituer » une structure au service des générations qui la suivront : la Fondation a aussi cette valeur symbolique là, une valeur « capitale ». La grandeur du temps des Fondations donne la mesure des ambitions des universités qu’elles servent.
[1] La Fondation Université Clermont Auvergne a pris l’heureuse initiative d’organiser début novembre un passionnant colloque des Fondations issues de la loi de 2007. Qu’elle en soit remerciée.
[2] Prenons le cas d’une Fondation dont le coût de fonctionnement représenterait 15% de ses recettes annuelles moyennes (supposées constantes) et qui consacrerait en outre 20% de ces mêmes recettes à son capital. Admettons qu’un investissement de long terme peu risqué rapporte un rendement annuel de 2%. Sous ces hypothèses, cette Fondation mettrait 37 ans à constituer le capital nécessaire à l’autofinancement de son fonctionnement. Ce nombre d’années se calcule, dans ce « modèle » élémentaire, comme le rapport entre le % de recettes affecté au financement de la structure au numérateur (ici 15%) d’une part, et le produit du taux de rendement long (ici 2%) et du % de capitalisation des recettes au dénominateur (ici 20%) d’autre part.