ORIENTATION / CONCOURS

Anonymisation, choix des spécialités au bac : l’orientation postbac fait sa révolution

D’ici quelques semaines les élèves de seconde vont devoir choisir leurs spécialités de première. L’angoisse est palpable dans les familles : en quoi ces choix vont-ils influer sur le futur choix des filières ? Le ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation a beau insister pour que ces choix ne soient pas déterminants et a fait signer une charte pour les perspectives d’orientation vers l’enseignement supérieur en ce sens aux principaux acteurs, personne n’imagine qu’on puisse oublier les mathématiques pendant deux ans et ensuite choisir des études scientifiques avec quelque chance de réussite. Ce n’est pas le seul débat du moment : une anonymisation des candidatures est-elle souhaitable / envisageable dans le cadre de Parcoursup ?

Parcoursup et anonymisation. C’est paradoxal quand des établissements comme Sciences Po se détournent des épreuves écrites dans leur concours – anonyme – pour privilégier les oraux. C’est compliqué lorsqu’on mesure que le ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation n’y tient pas et que les représentants des filières sélectives s’y opposent formellement. Le débat sur l’anonymisation des candidatures sur Parcoursup pourrait bien trouver son épilogue dès cette année selon Le Figaro.

Rappelons les faits : dans un avis rendu le 21 janvier, le Défenseur des droits, Jacques Toubon estime que « le recours au critère du lycée d’origine pour départager les candidats peut être assimilé à une pratique discriminatoire s’il aboutit à exclure des candidats sur ce fondement ». Souhaitant « plus de mobilité et de mixité sociale », il se dit donc « favorable à l’idée d’anonymiser les candidatures déposées dans Parcoursup afin que le lieu de résidence ne soit pas visible ». Si la Conférence des présidents d’université n’a pas d’avis officiel sur la question et « souligne les divergences de points de vue au sein de ses membres », sa vice-présidente, Christine Gangloff-Ziegler, n’en considère pas moins que « l’anonymisation n’est pas un souci en soi si l’on pense qu’il existe des biais inconscients. Cela pourrait être un test, notamment pour voir si certaines populations seraient mieux représentées dans les effectifs étudiants »

Nom, prénom, sexe, lieu de résidence et nationalité seraient ainsi anonymisés. Mais pas le nom du lycée d’origine. Une idée qui était particulièrement mal venue selon l’APLCPGE (Association des proviseurs de lycées à classes préparatoires aux Grandes écoles) et son président et proviseur du lycée Louis-Le-Grand, Jean Bastianelli, réunis dans ce même lycée pour leur congrès annuel le 26 janvier : « Cette mesure ne ferait que répondre à la pression de quelques politiques qui pensent faire bien alors qu’en fait les élèves ne sont pas défavorisés. Quels que soient leur lycée d’origine nous nous appliquons à regarder tous les dossiers ! » Et d’analyser : « Cela aurait une influence sur l’harmonisation des notes en lycée qui serait alors déterminante sur les filières demandées. Ce n’est pas souhaitable. D’autant qu’un certain nombre d’établissement ont recours à des épreuves écrites et orales qui ne sont forcément pas anonymes ! »

Au travers du recrutement y a implicitement une notion de contrat rappellent les proviseurs : l’élève choisit son établissement et vice-versa. « On ne pilote pas à l’aveugle. Bien au contraire il faut connaître le lycée d’origine de chaque élève pour l’accompagner. Si les taux d‘accès en CPGE des boursiers en classes préparatoires progressent c’est grâce par exemple aux Cordées de la réussite pour lesquelles il nous faut des éléments. » Dans les bulletins scolaires il y a des informations indirectes qui apparaissent. Des rubriques à expression libre qui sont importantes avec les appréciations, projet de motivation qui fait une part réelle au parcours. Il existe de nombreux salons, JPO qui font que des rencontres ont lieu. L’APLCPGE demande donc « la création d’un Observatoire des orientations et des parcours pour de ne pas piloter à l’aveugle ». Sans répondre précisément sur le sujet le directeur de cabinet de la ministre, Philippe Baptiste préconise lors de ce même débat« un examen des dossiers approfondi même si la question de l’anonymisation doit être traitée ». Cela semble avoir été fait.

Promouvoir la diversité des profils. Les représentants des instances représentatives de l’enseignement supérieur (CPU, Cdefi, CGE, APLCPGE) ont signé une sorte de « charte de bonne conduite » actant leur volonté de ne pas privilégier telle ou telle combinaison de spécialités pour recruter les futurs bachelier issus de la réforme à partir de 2021. Ceux-ci s’engagent notamment à « promouvoir la diversité des parcours scolaires, le décloisonnement des disciplines et l’égale valeur des enseignements de spécialité et des filières d’enseignement ». « Nous nous sommes engagés collectivement à prendre en compte l’esprit de la réforme du lycée et du bac général dans nos futurs recrutements postbac en école ou en classes préparatoires avec l’APLCPGE (Association des proviseurs de lycées à classes préparatoires aux Grandes écoles). Nous ne nous focaliserons pas sur la seule combinaison de spécialités mathématiques et physique-chimie. Les écoles ont d’ailleurs déjà bien élargi leur base de recrutement en recrutant des profils différents. Alors que nous pratiquons de plus en plus l’enseignement par projets, recruter des profils différents a un effet gagnant pour tout le monde », souligne Laurent Champaney, directeur des Arts et Métiers et président de la commission « amont » de la Conférence des grandes écoles (CGE) à ce titre en charge des questions de recrutement dans les Grandes écoles.

Un débat qui va plus loin pour Philippe Baptiste : « Les voies traditionnelles d’excellence que sont les classe préparatoire sont challengées par de nouvelles voies comme l’EPFL en Suisse qui reçoit aujourd’hui 35% d’élèves français. Il y a dix ou quinze ans, ils seraient allés sans se questionner en classe préparatoire ». « Oui mais nous recevons également beaucoup d’étudiants étrangers », lui répond le directeur général de Centrale Lyon, Frank Debouck alors que Jean Bastianelli note : « En CPGE, nous accueillons des élèves internationaux, pour une moyenne qui se situe autour de 10% chaque année! » 

Le casse-tête des spécialités. On voit mal aujourd’hui comment les fameux « attendus » de Parcoursup pourraient ne pas prendre en compte le niveau en maths à l’entrée en médecine ou en classes préparatoires scientifiques. Inspecteur général en charge des classes préparatoires, Olivier Sidokpohou est formel : « On fera forcément des mathématiques et de la physique pour entrer en classe préparatoire scientifique. On ne peut pas passer un trimestre entier de première année de classe préparatoire les remettre à niveau en maths les élèves si l’ambition est d’entrer à l’Ecole polytechnique. Je n’imagine pas qu’on veuille abaisser le niveau en CPGE avec le nouveau bac ».

Du côté des classes préparatoires économiques et commerciales (EC) le président de l’APHEC (Association des professeurs), Alain Joyeux estime : « Nous pourrions recevoir tous les candidats pour peu qu’ils aient suivi au moins une année une spécialité maths en première et terminale. Il n’est pas envisageable d’abandonner les mathématiques dès la fin de la seconde et d’intégrer ensuite une classe préparatoire EC. Pas plus que de s’inscrire en médecine sans avoir fait des maths et des SVT ». Il conseille aux lycéens et parents qui s’interrogent en seconde cette année de « choisir une spécialité mathématiques et d’y associer celle qu’ils préfèrent, que ce soit « histoire géographie, géopolitique et sciences politiques », « sciences économiques et sociales » ou même « arts » ». Après tout aujourd’hui on sélectionne en EC des bacheliers S qui ont suivi des cours de mathématiques à haute dose mais peu d’histoire-géographie et cela ne pose aucun problème. Sans parler de l’intégration des élèves issus de classe préparatoires littéraire. « Nous recrutons des élèves issus de classe préparatoires littéraires qui n’ont pas fait de mathématiques depuis la seconde et ils réussissent même si ce n’est pas toujours facile. Nous ne recrutons pas que des étudiants qui ont fait énormément de maths », insiste également Eloic Peyrache, le directeur délégué d’HEC Paris.

Quelles spécialités pour quelles filières ? « Pourquoi n’y aurait-il qu’une seule voie d’excellence ? Choisir informatique en plus des mathématiques pourquoi ce ne serait pas aussi bien que mathématiques et physique ? Il faut ouvrir le champ des possibilités ! », insiste Philippe Baptiste. Alors que le MESRI ne veut plus voir les meilleures classes préparatoires littéraires ne recruter que des bacheliers S comme c’est le cas aujourd’hui, la place des SVT pose particulièrement problème dans la mesure où seules deux spécialités sont autorisées en terminale. « Nous craignons que ce soit la discipline qui souffre le plus », s’inquiète le proviseur du lycée du Parc à Lyon, Pascal Charpentier. Un sujet qui préoccupe bien sur tout particulièrement le directeur de Agro ParisTech, Serge Trystram : « Cela paraît difficile de recruter des élèves n’ayant jamais fait de biologie en BCPST mais nous recrutons déjà beaucoup plus largement aujourd’hui. Je ne vois pas pour autant de problème majeur de recruter des élèves ayant opté pour des combinaisons scientifiques autres. Les écoles devront s’adapter plus ou moins fortement en fonction des prépas ». Faire Agro ParisTech sans avoir suivi d’enseignement de SVT en terminale pourrait donc devenir très banal.

Le retour en grâce de la physique, en réjouit en tout cas plus d’uns comme Frank Debouck  : « Je suis très content de voir la physique reprendre des couleurs dans le cadre de la réforme. Le socle scientifiques solide que donnent les classe préparatoires garantit la valeur de nos formations. Mais c’est effectivement plus simple de ne prendre qu’une seule « tranche » d’élèves, du même niveau tout en étant géographiquement éclatée ». Et on ne parle encore que des spécialités. On imagine que le choix des options de terminale aura également un impact. « Mathématiques expertes » sera-t-elle une option obligatoire pour entrer dans les meilleures classes préparatoires scientifiques ou même EC ?

Quel avenir pour les prépas ? Des prépas BCPST qui risquent d’avoir du mal à recruter assez d’élèves ayant choisi la spécialité SVT en terminale, des prépas scientifiques auxquelles on demande de ne pas forcément recruter en fonction de leurs propres intitulés mais surtout des prépas EC dont la dichotomie ESC-ECE perd son sens à l’heure de la fin des filières ES/L/S, les classes préparatoires s’interrogent sur leur avenir. Pascal Charpentier les rassure : « On est certains que les acronymes ECS et ECE vont disparaître mais pas les filières correspondant ». Dans cet esprit il devrait donc voir naître une prépa EC avec des options : soit mathématiques à un niveau élevé et géopolitique, soit mathématiques à un niveau modéré et ESH (économie, sociologie et histoire du monde contemporain). « On peut même envisager une modularité en fonction des établissements et de leurs viviers de recrutement pour ne pas figer ces couplages. Une possible fin de l’interclassement aux concours pour garantir la diversité et l’équilibre des profils et des options choisies n’est pas taboue même si le sujet reste à débattre entre les écoles », estime Alain Joyeux. « Le problème c’est de ne pas se retrouver essentiellement avec des étudiants qui passent tous l’examen le plus facile en mathématiques pour maximiser leurs chances de réussite. Pour l’éviter faudra-t-il établir des quotas ? », s’interroge encore Eloic Peyrache. Autant de sujet sur lesquels Olivier Sidokpohou botte en touche : « Il y aura en temps voulu une réflexion sur le contenu des programmes de classes préparatoires mais nous attendons au moins que les programmes de terminale soient parus ».

Olivier Rollot (@ORollot)

à Lire le document officiel En route vers le bac 2021 et les Nouveaux programmes des voies générale et technologique en seconde et première. Le site de l’Onisep Horizon 2021 donne des pistes d’orientation selon les choix de spécialités en première.

à Les signataires de la Charte pour les perspectives d’orientation vers l’enseignement supérieur, s’engagent à :

  • accompagner les établissements scolaires et d’enseignement supérieur pour favoriser la bonne compréhension des enjeux associés à une orientation progressive des lycéens, en particulier les plus jeunes ;
  • favoriser la construction progressive de parcours choisis au lycée et à promouvoir la diversité des parcours scolaires, le décloisonnement des disciplines et l’égale valeur des enseignements de spécialité et des filières d’enseignement ;
  • développer des dispositifs pour accompagner la réussite de lycéens qui sont motivés pour s’engager dans une voie de formation, même lorsque leurs études secondaires n’y conduisaient pas spécifiquement ;

mettre en place des temps d’information et de formation associant les équipes de direction et les équipes pédagogique et éducative de l’enseignement secondaire et supérieur, pour faciliter l’information des lycéens et de leurs familles

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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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