ALTERNANCE / FORMATION CONTINUE

Formation professionnelle : le temps des ajustements après le « big bang » de 2018

Carole Grandjean prononce le discours d’ouverture L’Université d’hiver de la formation professionnelle

L’Université d’hiver de la formation professionnelle (UHFP) se tenait à Cannes du 25 au 27 janvier. L’occasion de traiter de très nombreux sujets liés à la formation professionnelle. Après deux années qui ne leur avaient pas permis de se rencontrer suite à la crise Covid, les 1 500 participants de cette grande messe annuelle avaient beaucoup de questions en tête. Après les questions sur la réforme, une certaine euphorie financière à peine ternie par les abus du CPF (compte personnel de formation), de nombreux ajustements sont en effet en cours.

Alors qu’on attend à ce que le nombre de contrats d’apprentissage signés en 2022 soit encore en hausse, avec de 830 000 à 850 000 contrats signés, la question du financement de l’apprentissage est particulièrement sensible pour France Compétences dont le déficit cumulé depuis 2020 atteint ainsi les 11 milliards d’euros. Pour mieux réguler ces dispositifs le ministère de l’Enseignement et de la Formation professionnels va proposer une nouvelle loi alors que France Compétences publie son premier « Rapport sur l’usage des fonds de la formation professionnelle ».

Bientôt une nouvelle loi. Des réflexions qui se sont tenues en présence de la ministre déléguée chargée de l’Enseignement et de la Formation professionnels, Carole Grandjean, qui a révélé sa volonté de produire une nouvelle loi et doit encore rendre des arbitrages sur l’avenir du CPF (compte personnel de formation) – y aura-t-il bien un « reste à charge » pour les apprenants ? – comme sur le financement de l’apprentissage. De plus la ministre a annoncé qu’un diagnostic de l’ensemble des dispositifs de formation allait être engagé et que « certains pourraient être supprimés ». En revanche elle s’est prononcée « contre une fusion entre les contrats de professionnalisation et d’apprentissage ».

Mais pourquoi une nouvelle loi ? « Beaucoup de points dépendent de la législation. D’où la nécessité de produire une nouvelle loi après celle de 2018 », répond Éliane Debernardi, conseillère formation professionnelle et apprentissage au sein du cabinet de la ministre chargée de l’Enseignement et de la Formation professionnels, qui insiste : « Nous assumons notre investissement dans le financement de l’apprentissage, avec un taux d’emploi des jeunes au plus haut auquel contribue son expansion, comme dans le Plan d’Investissement dans les Compétences que toutes les entreprises n’ont pas les moyens de mettre en œuvre ».

Comment se feront les arbitrages financiers à venir ? « Sur l’apprentissage c’est open bar mais sur le CPF, où les dérives financières sont bien moindres, on se réveille soudainement », critique Jean-Patrick Gille, vice-président de la région Centre-Val de Loire et grand spécialiste des questions de formation professionnelle, lui-même président d’un CFA qui « roule sur l’or grâce à la réforme ».

Autre débat : la volonté affichée de la ministre de remettre en cause le recours massif à la sous-traitance. « Les intervenants extérieurs sont des ressources pédagogiques essentielles », remarque Pierre Courbebaisse, le président des Acteurs de la Compétence, la fédération des entreprises de la formation.

  • Le développement de la validation des acquis de l’expérience (VAE) importe aussi à la ministre, qui la juge « encore trop peu utilisée ». Carole Grandjean entend donc « réaliser un « big bang de la formation VAE pour multiplier par trois le nombre de bénéficiaire d’ici la fin du quinquennat ». Autre nouveau dispositif, le conseil en évolution professionnelle (CEP) a bénéficié en 2022 à 150 000 personnes. Enfin Carole Grandjean juge la refonte des titres et diplôme « trop lente avec seulement une centaine ces deux dernières années sur 1200 ». D’où la création d’une task force avec l’Afpa pour faire avancer plus vite le dossier.

Financement de l’apprentissage : la ministre repousse les arbitrages. « Nous avons déjà fait un pas pour financer les contrats d’apprentissage au juste prix tout en prenant garde à bien donner les moyens aux opérateurs de garantir la qualité de leurs formation », explique la ministre déléguée chargée de l’Enseignement et de la Formation professionnels, Carole Grandjean. Elle va maintenant « prendre quelques semaines de plus de réflexion pour avancer sur le juste prix du coût contrat tout en permettant à l’Etat de maîtriser ses dépenses ».

Les décisions de révision des coûts contrat sont donc repoussées d’avril à juillet 2023 confirme le président de France Compétences, Stéphane Lardy, qui explique pourquoi il préfère prendre plus de temps : « Nous avons parfois observé de grands écarts entre les coûts observés par les 216 commissions paritaires nationales de l’emploi (CPNE) dans les CFA et les coûts que nous estimons justes. Nous constatons parfois des marges brutes qui peuvent être importantes et cela demande un travail complémentaire pour les analyser. Nous pouvons d’ailleurs revisiter notre doctrine de prise en charge. Il ne s’agit pas pour nous d’interdire les marges mais de savoir comment elles sont réinvesties ».

Mais comment fixer le juste prix ? Directeur emploi formation de l’Union des industries et métiers de la métallurgie (UIMM), David Derré répond que « France Compétences a toujours le dernier mot car les CPNE ont l’obligation de répondre positivement à ses remarques ». Sur la méthode de fixation du niveau de prise en charge, il explique : « Nous avons établi nos niveaux de prise en charge en fonction de nos besoins de recrutement et des niveaux d’attractivité de chaque formation. Nous ne prenons pas en compte les coûts des CFA. C’est aux CFA d’adapter leur niveau de coût aux priorités que nous fixons ».

Il existe justement tout un débat sur la « convergence » des coûts de formation, l’une des missions initiales de France Compétences, dont ne veulent pas entendre parler la plupart des acteurs, dont l’UIMM, s’insurge David Derré : « Si on veut revenir au contrôle des prix d’avant 1980 il faut nous le dire. Nous considérons au contraire que des pédagogies différentes doivent exister ».

Conseiller formation professionnelle et apprentissage au sein du ministère délégué chargé de l’Enseignement et de la Formation professionnels, Axel Cournède rappelle les objectifs du gouvernement : « Nous nous sommes fixés des objectifs ambitieux avec un million d’apprentis. Nous devons fixer des régulations qui permettent de l’atteindre et donner ainsi une pérennité au système ». Et de mettre en perspective : « Nous devons mieux contrôler les CFA pour favoriser des apprentissages de qualité. On ne peut pas nier qu’il y ait des effets d’aubaine mais il est aussi normal que les CFA dégagent des marges pour s’adapter ». Et de conclure sur la pérennité de l’investissement de l’Etat : « Même si on dépasse le million d’apprentis la philosophie de la loi de 2018 prévaudra toujours car c’est un dispositif de formation efficace ».

  • Maxime Dumont, conseiller confédérale en charge de la formation professionnelle continue et de l’apprentissage de la CFTC, recommande qu’on « mette plus de moyens dans la pédagogie » : « Le taux d’échec de 28% qu’on constate aujourd’hui pourrait être résorbé si on formait mieux les maîtres d’apprentissage dans les entreprises à accueillir les apprentis ». Il n’en souligne pas moins les « très bons chiffres d’insertion professionnelle des apprentis » tout en regrettant qu’un « nombre important de jeunes quitte les CFA en situation d’échec – et n’obère donc pas les statistiques d‘insertion des CFA – pour intégrer un lycée professionnel ».

CPF : les abus ont été réduits. Depuis 2018 la Caisse des Dépôts gère la formation professionnelle avec le cœur du système qu’est le CPF (compte personnel de formation) et ses « rejetons », selon les termes de Michel Yahiel, le directeur des politiques sociales de la Caisse des dépôts en charge du dossier, que sont le Passeport compétences et le Passeport prévention. Un travail considérable a été effectué en 2022 pour réduire les nombreux abus constatés, même si leur montant reste mesuré : 44 millions d’euros auraient ainsi été financés de manière frauduleuse sur 2,6 milliards d’euros dépensés.

Du côté des organismes de formation, près de 10 000 formations accessibles dans le cadre du CPF ont ainsi été fermées, faisant passer leur nombre de 25 000 à 15 000. « Tout le travail avec Qualiopi a permis la mise en place d’un filet à moyenne et petite maille quand nous n’avions ici que de grosses mailles qui laissaient passer toutes les formations. Les critères d’accès ont également été renforcés avec notamment l’obligation pour les organismes d’être à jour de ses obligations fiscales. On s’est rendu compte qu’énormément de formations étaient en dehors du cadre », commente Michel Yahiel. Du côté des salariés, un accès sécurisé au CPF, France Connect +, a été mis en place en octobre 2022.

Effet de cette offre réduite et plus difficile d’accès, on est passé de 6,5 millions d’euros par jour d’échanges en 2022 sur la plateforme à 5 millions en janvier 2023. « Il n’y avait pas toujours de réflexion auparavant. De plus l’accès est un peu plus compliqué et certains doivent s’y prendre à plusieurs fois », remarque le directeur. « L’absence quasi-totale de démarchage, suite au décret interdisant le démarchage agressif, aura sans doute également contribué à réduire les demandes », précise Laurent Durain, le directeur de la formation professionnelle et des compétences de la Caisse des Dépôts.

Une enquête menée auprès de 25 000 bénéficiaires par la Dares pour comprendre l’adéquation des formations et des postes devrait être publiée en mars 2023. Enfin le débat sur la contribution des salariés au financement de leur CPF, le « reste à charge », déjà voté mais dont les décrets d’application n’ont pas été publiés, reste encore d’actualité.

  • La Caisse des dépôts gère également la partie libre – 13% – du versement de la taxe d’apprentissage par les entreprises et mettra bientôt en place une plateforme qui gérera les 400 millions d’euros qui passent aujourd’hui un système « assez artisanal » selon Michel Yahiel.

Formation professionnelle : France Compétences fait ses comptes. L’apprentissage est rentable pour les CFA (centres de formation d’apprentis) avec un taux de marge moyen de 11% en 2021, soit un total d’un peu plus de 700 millions d’euros. France Compétences publie son premier « Rapport sur l’usage des fonds de la formation professionnelle ».

Dans le détail 90% du coût de revient d’un apprenti correspondent aux charges moyennes de fonctionnement. Entre 4 et 6 % aux dotations aux amortissements. 3% aux frais annexes (transport, hébergement, restauration). Le reste de la composition du coût est dédié aux charges non incorporables. Un coût de revient qui augmente avec le niveau de certification : de près de 6 500 € pour un apprenti de niveau 3 à plus de 8 600 € au niveau 7.

En 2021, le taux de marge moyen des CFA est de 11%, en hausse de 2,7 points par rapport à 2020. Les CFA déclarent vouloir utiliser près de 90 % de cette marge pour leur activité d’apprentissage, dont la moitié pour des investissements et l’autre moitié pour constituer un fonds de réserve. Ce taux de marge concerne la majorité des CFA, six CFA sur dix présentant un résultat excédentaire. Les CFA publics et du privé sont plus que rentables que les CFA consulaires ou associatifs.

 

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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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