Le passage de témoin entre Sylvie Retailleau et Patrick Hetzel au au ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche (Photo : MESR)
Voilà qui va mettre du baume au cœur de présidents d’université inquiets des perspectives budgétaires. « Notre enseignement supérieur et notre recherche sont un investissement, pas une dépense », a établi Patrick Hetzel lors de la passation de pouvoir au ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche (MESR). La nomination d’un spécialiste est en tout cas un signe positif pour les acteurs du secteur. Dans un communiqué France Universités se « réjouit ainsi de la reconduction d’un ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche de plein exercice, confié à Patrick Hetzel, universitaire reconnu et très bon connaisseur, par son parcours, de ces sujets ». Président da Conférence des Grandes écoles (CGE), Laurent Champaney salue « ce choix d’un expert de l’écosystème de l’Enseignement supérieur et de la Recherche ».
Un expert qui a maintenant devant lui quelques dossiers épineux dont le principal est la clôture du budget qui, s’il est d’investissement, n’en attise pas moins les convoitises de Bercy. En partant de son ministère Sylvie Retailleau a d’ailleurs clairement dénoncé les coupes potentielles envisagées par le précédent gouvernement.
Des coupes qui semblent devoir toucher encore plus le ministère du Travail et de l’Emploi. Là aussi un nouveau ministre au courant des dossiers a été nommé : Astrid Panosyan-Bouvet. En revanche Anne Genetet ne semble pas vraiment maitriser les dossiers de l’Education nationale à son arrivée au ministère.
Patrick Hetzel : le chantre de la LRU au MESR. Son nom rime avec la LRU (loi relative aux libertés et responsabilités des universités) dont il a dirigé la mise en œuvre de 2008 à 2012 en tant que directeur général de l’enseignement supérieur et de l’insertion professionnelle aux côtés de la ministre de l’Enseignement supérieur, Valérie Pécresse, puis de son successeur, Laurent Wauquiez. Auparavant Patrick Hetzel, 60 ans cette année, fut de 2007 à 2008 conseiller éducation, enseignement supérieur et recherche du Premier ministre François Fillon.
Diplômé de l’IECS (EM Strasbourg aujourd’hui, école dont il est le président depuis 2017), il poursuit son parcours universitaire par un DEA (diplôme d’études approfondies) puis un doctorat en sciences de gestion à l’université Jean-Moulin Lyon 3. Après avoir enseigné à Strasbourg puis à Lyon en tant que maître de conférences, il devient professeur à Paris 2 Panthéon-Assas en 1999. Il est également chef du service des études de défense au sein de l’Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN) de 2001 à 2004. De 2005 à 2007 il s’ouvre à l’ensemble du système éducatif en devenant recteur de l’académie de Limoges. Dans le même temps il préside en 2006 une commission sur l’insertion professionnelle des étudiants qui va jeter les bases de la LRU.
Depuis 2012 il est député Les Républicains du Bas-Rhin. A ce titre il est l’auteur d’une proposition de loi visant à interdire le port de signes religieux dans l’enseignement supérieur en 2018. Cette année il a co-signé une proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête relative à « l’entrisme idéologique et aux dérives islamo-gauchistes dans l’enseignement supérieur ».
Un budget de l’ESR à défendre. Alors qu’il a souvent critiqué la politique gouvernementale en matière d’enseignement supérieur et la recherche ces dernières années, voilà Patrick Hetzel au pied du mur d’un budget qui s’annonce délicat. Les Echos titrent d’ailleurs l’article annonçant sa nomination Gouvernement Barnier : Patrick Hetzel en première ligne pour défendre le budget de la Recherche. Proche de Michel Barnier, qu’il a soutenu lors des primaires de la droite en 2022, il va en effet être confronté à un projet de budget que Sylvie Retailleau jugeait « irréaliste, voire dangereuse » : dans une lettre envoyée le 4 septembre à Gabriel Attal, dont Le Monde a eu copie.
La ministre démissionnaire dénonçait un budget 2025 qui prévoyait une baisse de 300 millions d’euros pour le périmètre de l’enseignement supérieur et de la recherche. Même si ce document n’engage par le nouveau gouvernement il n’en est pas moins une base de travail préoccupante pour les acteurs de l’ESR. L’effort fait jusqu’ici pour financer la recherche semble en effet particulièrement touché. « Trois cent vingt millions d’euros de crédit ainsi que la création de 250 emplois font défaut au plafond que vous m’avez adressé », établit Sylvie Retailleau dans sa missive. Le financement de la Loi de programmation de la recherche (LPR) semble ainsi mis en cause. « Les universités et les organismes sont déjà sur une trajectoire financière délicate, les lois de finance pour 2024 et pour 2025 ne prévoyant qu’une compensation à 50 % des mesures salariales de juin 2023, soit plus de 150 millions d’euros de surcoût annuel à absorber en sus de l’inflation », attaque encore Sylvie Retailleau.
Un message relayé par les présidents des universités de recherche réunis au sein d’Udice. « Nous voyons les premiers fruits positifs d’une politique de soutien à la recherche avec la LPR, il faut que l’effort soit poursuivi. Au mieux aujourd’hui on a le sentiment que le vaisseau va s’arrêter en pleine mer », insiste son président et président de l’université de Strasbourg, Michel Deneken, alors que les présidents d’université puisent dans leurs fonds de roulement pour équilibrer leurs budgets. « Patrick Hetzel a été un soutien à la construction de l’université de Bordeaux et de la LPR qu’il ne jugeait «pas assez ambitieux », rappelle Dean Lewis, président de l’université de Bordeaux et vice-président de France Universités avant de s’interroger : Quelles seront ses marges de manœuvre alors que les dotations pourraient baisser drastiquement selon le budget prévisionnel auquel il manque les 500 millions de la phase 2 de la LPR comme de la revalorisation des bourses ? »
« Une dynamique de réforme est en cours et il faut absolument la poursuivre et ce n’est pas qu’une question de budget, demande Yassine Lakhnech, président de l’université de Grenoble, inquiet de voir la recherche française en difficulté dans les années à venir avec les départs à la retraite nombreux ». Ce qui soulagera mathématiquement les finances des universités… dans quelques années.
Astrid Panosyan-Bouvet : une spécialiste des questions sociales au Travail et à l’Emploi. Si son nom n’est pas connu la députée Renaissance de Paris depuis 2022 et nouvelle ministre du Travail et de l’Emploi, Astrid Panosyan-Bouvet, 53 ans, est une vraie spécialiste des questions du travail qu’elle suivait particulièrement à l’Assemblée nationale dont elle est députée à Paris depuis 2022. Diplômée de HEC, Sciences Po et de la Harvard Kennedy School of Government, elle a été cadre dirigeante dans l’assurance (Groupama) et l’immobilier commercial (Unibail-Rodamco). Elle fait également partie des fondateurs d’En Marche en 2016 aux côté d’Emmanuel Macron après avoir milité au parti socialiste. Un engagement aux côtés du président qui ne l’a pas empêché de critiquer l’actuel projet de réforme de l’assurance chômage ces derniers mois. Elle est l’épouse du regretté Laurent Bouvet, professeur de science politique à l’université de Versailles – Saint-Quentin-en-Yvelines et un des fondateurs du Printemps républicain, décédé en 2021 de la Maladie de Charcot.
Astrid Panosyan-Bouvet va maintenant être confrontée à un projet de budget du ministère du Travail et de l’Emploi très serré. Ses crédits pourraient en effet baisser de 2,3 milliards d’euros, soit 6,9 %, par rapport à 2024. Il était notamment envisagé de réduire les primes à l’embauche des apprentis « pour cibler les contrats pour lesquels le soutien public est le plus efficient » en divisant l’aide par deux pour les apprentis de niveau master et plus selon la Revue des dépenses de formation professionnelle et d’apprentissage, publiée par l’Igas le 5 septembre dernier. Une revue dans laquelle on pouvait lire que « le soutien public à l’apprentissage dans l’enseignement supérieur apparaît disproportionné au regard de ses effets sur l’insertion dans l’emploi, certes positifs mais quantitativement décroissants avec le niveau de qualification ».
Anne Genetet : une novice à l’Education nationale. Si les deux nominations précédentes ont été plutôt bien accueillies le moins qu’on puisse dire c’est que celle d’Anne Genetet, 61 ans, à l’Education nationale ne soulève pas l’enthousiasme. « Il n’y a aucun bon point dans ce profil, ça ressemble à une erreur de casting au regard des enjeux pour l’école » proteste ainsi Sophie Vénitay, la secrétaire générale du Snes-FSU. Députée Renaissance des Français de l’étranger depuis 2017, Anne Genetet est médecin de formation. Elle a notamment exercé au sein de la Croix-Rouge et comme journaliste médical. Installée à Singapour à partir de 2005 elle y a été médecin consultant en risques sanitaires pour le groupe international d’assistance SOS.
Comme ses deux collègues elle va devoir affronter la difficile équation d’un projet que la ministre de l’Education démissionnaire, Nicole Belloubet, considérait « ne pas correspondre à nos besoins qui devraient a minima être sanctuarisé ». Selon elle les plafonds proposés par Gabriel Attal « contraindraient à une particulière rigueur en raison notamment du GVT (glissement vieillissement technicité) ». Trois ministres, trois défis différents, trois arbitrages difficiles…