L’innovation pédagogique a toujours été une priorité à Grenoble INP. Responsable de l’équipe chargée d’aider les enseignants à perfectionner leurs formations, Perform, Florence Michau conduit également aujourd’hui la réalisation d’un MOOC (cours en ligne gratuit ouvert à tous). Deux sujets au cœur de l’actualité de l’enseignement supérieur.
Olivier Rollot : Vous êtes en train de créer le premier massive open online courses (MOOC) de Grenoble INP qui sera consacré à « l’aménagement des rivières ». Comment se déroule cette première expérience ?
Florence Michau : Ce MOOC intitulé «des rivières et des hommes» est une co-construction menée dans trois pays avec l’Ens Lyon, l’université catholique de Louvain (UCL), l’Institut polytechnique de l’Ho Chi Minh University of Technology au Vietnam et l’Institut de Recherche et Développement (IRD) dans le cadre du réseau d’universités francophones Rescif. Ce cours d’hydrologie appliquée, co-construit par sept experts, introduit les concepts disciplinaires en s’appuyant sur des cas d’études authentiques dans des pays du Sud et du Nord.
Il présente et illustre également des méthodologies utilisables par les professionnels sur le terrain dans des contextes divers, pour proposer des diagnostics d’évolution du milieu et des solutions d’aménagement. Une coordination complexe avec différents points de vue à organiser ensemble. Nous devrions être prêts pour diffuser l’ensemble des séquences (des vidéos de 12 minutes) pendant cinq semaines à partir de novembre 2014 sur la plateforme FUN.
O. R : Des cours filmés ouverts à tous c’est bien, mais pas révolutionnaire. Qu’apportent en plus les MOOCs ?
F. M : D’abord il ne s’agit pas que de cours filmés avec seulement un enseignant en plan fixe. Nous diffuserons également de nombreuses cartes ou animations. Mais ce qui est vraiment nouveau avec les MOOCs c’est la possibilité pour ceux qu’on appelle les « apprenants » d’échanger ensemble sur les forums et de créer ainsi un réseau qui leur servira longtemps. Cette nouvelle façon de partager le savoir est vraiment ce qu’il a de plus enthousiasmant dans les MOOCs.
O. R : En fait il y a bien longtemps qu’on peut suivre des cours à distance à Grenoble INP ?
F. M : En formation continue nous avons inauguré une année entièrement à distance d’un programme appelé DUT+3 en 1998. Les techniciens titulaires d’un diplôme de niveau bac+2 peuvent suivre un cycle menant au diplôme d’ingénieur qui dure trois ans et dont la première année est quasi entièrement à distance. Nous leur fournissons même une tablette qui leur permet d’écrire de façon manuscrite – c’est très utile dans les sciences – pour répondre aux questions posées. Plus largement, nous mettons aujourd’hui également de plus en plus de cours en ligne dans les langues de spécialité comme l’anglais ou le français scientifique.
O. R : Vous n’avez pas peur que l’enseignement à distance tue le lien entre l’enseignant et l’étudiant ?
F. M : Il faut développer des usages hybrides pour que le numérique ne se résume pas à un travail chez soi seul face à son ordinateur. L’université doit rester un lieu de lien social et d’apprentissage du travail en équipe. Mais il faut également penser à des publics qui ont absolument besoin de pouvoir se former à distance, par exemple les sportifs de haut niveau. Dans le cadre de la prépa des INP, une classe préparatoire commune aux quatre INP, des cours peuvent également concerner plusieurs prépas et être filmés pour être diffusés à tous. Autre illustration d’un besoin : certains travaux pratiques sont très coûteux à organiser et il peut être intéressant de les filmer pour les diffuser au plus grand nombre.
O. R : Les MOOCs révolutionnent tout mais l’amphi a encore de beaux jours devant lui. Comment travaillez-vous à le rendre plus efficace ?
F. M : Nous voulons que les étudiants soient plus actifs en amphi. Par exemple en leur distribuant des boîtiers qui permettent de leur poser des questions toutes les vingt minutes pendant le cours. L’anonymat des réponses permet à tous de s’exprimer sans être influencés par les autres. L’enseignant peut ainsi mesurer tout de suite si son cours a été ou non compris et en débattre avec les étudiants. Si deux opinions très divergentes émergent, il peut leur demander d’en discuter puis de revoter.
O. R : Quelles méthodes utilisez-vous pour aider vos enseignants à améliorer leurs méthodes d’enseignement ?
F. M : D’abord en faisant des mini enquêtes auprès de leurs étudiants pour savoir ce qui passe ou pas et s’il y a une vraie adéquation entre l’enseignement dispensé et son évaluation. Ensuite les enseignants sont libres ou pas de consulter nos experts pédagogiques. Ce service mené en mode confidentiel est offert en parallèle et indépendamment de l’évaluation systématique des enseignements mis en place par toutes nos écoles.
Cette évaluation systématique est utilisée comme un« détecteur de fumée » pour déceler des soucis éventuels et instaurer, si le degré de satisfaction n’est pas très bon, un premier rendez-vous entre le directeur des études et l’enseignant. Les soucis ne sont d’ailleurs pas forcément liés à l’enseignant, cela peut également être un problème d’horaire par exemple.
O. R : Comment se déroule le travail entre l’enseignant et le conseiller pédagogique?
F. M : C’est un dialogue qui permet à l’enseignant de trouver des solutions mais aussi de filtrer les remarques des étudiants : un enseignant peut être très sensible à une remarque banale et sans impact réel alors qu’un signal plus faible doit être lui absolument traité. Nous proposons également à nos enseignants de participer à des ateliers comme « Réussir son premier cours », « Rendre les étudiants actifs » ou encore « Énoncer ses objectifs pédagogiques ». Beaucoup d’enseignants reviennent régulièrement.
O. R : Pourquoi la France semble-t-elle très en retard sur de nombreux pays dans le développement de la pédagogie dans l’enseignement supérieur ?
F. M : Dans la sphère francophone ce sont clairement les québécois, les belges et les suisses qui ont les premiers développé des services d’accompagnement à la pédagogie universitaire. Peut-être ont-ils une approche plus pragmatique que nous? De plus, les enseignants sont d’abord jugés sur la qualité de leurs travaux de recherche. La pédagogie ne doit pas être le parent pauvre de l’évaluation. Aujourd’hui l’enseignant qui prend du temps à adapter sa pédagogie le fait en plus du reste. Pour autant cela peut se révéler pour lui un excellent investissement de départ qu’il n’aura pas à remettre chaque année en cause.
O. R : On travaille vraiment très différemment ailleurs en Europe ?
F. M : Un exemple : à la faculté des sciences de Louvain les étudiants sont amenés à travailler en groupe sans la présence d’un encadrant. On peut imaginer que l’enseignant soit essentiellement présent pour répondre aux questions de ses étudiants. Pour rendre les étudiants actifs, la pédagogie par « projet » ou par « problème » a également le vent en poupe. Résoudre un problème en groupe est un excellent entraînement au travail collectif qu’on demandera demain aux ingénieurs que nous formons.