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IA et enseignement supérieur, une relation qui s’installe : 2. un corps professoral à convaincre et à former

Prompt : « Dessine moi des professeurs d’université qui enseignent à leurs étudiants en utilisant des IA »

Alors que les étudiants se sont tous emparés des intelligences artificielles génératives (IAG), du côté du corps professoral règne parfois l’indifférence, parfois la crainte, souvent un enthousiasme… contenu. L’Institut Mines Télécom (IMT), s’est ainsi particulièrement investi dans la formation de ses professeurs en créant des groupes de travail pour l’ensemble de ses écoles. La plus investie parmi celles-ci, l’IMT BS a lancé les « Jeudi de l’IA » et même créé une « Charte de l’IA ». « L’IA et notamment l’IAG révolutionne les métiers dans les entreprises, quel que soit le secteur. Nous accompagnons bien évidemment cette révolution, grâce à une expertise établie de longue date au sein de notre Faculté, et nous renforçons les innovations pédagogiques depuis l’arrivée massive de l’IA générative », établit ainsi Herbert Castéran, le directeur d’IMT Business School.

Des utilisations plus empiriques ont lieu dans les classes préparatoires comme en témoigne Fatima Aït Saïd, professeure d’économie, sociologie et histoire de chaire supérieure en ECG au lycée Saint Louis de Gonzague à Paris : « L’IA a de nombreux usages pour moi, qu’il s’agisse de préparer des cours inversés, des cours audios, de sortir un script d’une durée idéale ou de démultiplier mes cours ou mes exercices pour s’adapter à ce qui a été compris ou pas. Je l’ai aussi utilisée pour, avoir pris une copie en photo, la modifier légèrement pour la présenter aux élèves qui préfèrent ne pas travailler sur leurs propres copies ».

Engager la faculté

Au sein de l’Institut Mines Télécom (IMT) l’engagement dans les IA se fait de manière relativement informelle au travers d’un travail global avec l’ensemble des écoles pour comprendre les enjeux et les services possibles avec une série de séminaires. Sessions de formation destinées aux enseignants, les « Jeudi de l’IA » de l’IMT BS proposent aux enseignants des découvrir des solutions « susceptibles de transformer leur métier » comme générer des évaluations automatisées (QCM, tests), créer des scénarios de cours avec ChatGPT, des outils de feedback… Les échanges au sein du groupe portent également sur l’éthique et le rôle de l’IA dans le développement de l’esprit critique chez les étudiants. Les « Jeudis de l’IA » permettent de renforcer l’expertise des enseignants et sont complétés par d’autres dispositifs innovants tel qu’un chatbot intégré à la plateforme d’apprentissage Moodle. Alimentés par les ressources pédagogiques des enseignants, ils permettent aux étudiants de poser des questions à tout moment, renforçant ainsi leur autonomie dans l’apprentissage.

Kedge BS laisse également la liberté à ses enseignants d’intégrer l’IA dans leurs cours et de définir le cadre de son utilisation selon le profil des étudiants (postbac, master…). Les professeurs s’engagent à établir des consignes d’usage précises afin de « s’assurer que l’IA complète et ne remplace pas l’apprentissage ». Dès la sortie publique de ChatGPT en 2022, un groupe de travail a été créé au sein de la faculté de Kedge pour identifier et cartographier les impacts de cette technologie sur l’enseignement. Dans cette optique, la direction Prospective et Idéation de l’école a lancé à la rentrée 2024 un parcours sur les intelligences artificielles conversationnelles : le « Generative Bootcamp ». Ouvert dans un premier temps aux étudiants primo-entrants, ce dispositif pédagogique vise à terme à former l’ensemble de ses communautés aux fondamentaux de l’IA, à l’art du prompt engineering et à une meilleure compréhension des usages et limites des IA conversationnelles. Plusieurs autre cours sont dispensés au sein de différents programmes. Les cours « Trust me I am an IA » et « IA & Business », enseignés aux 1 000 étudiants en M1 du PGE. I, visent ainsi à accompagner les étudiants dans la compréhension du fonctionnement des IA.

Dans sa pratique Fatima Aït Saïd utilise quant à elle également Wooflash et Quiz Wizard pour générer des QCM et des flashcards, parfois à partir de vidéos : « Beaucoup d’élèves tapent leurs cours et c’est un bon exercice de mettre ces cours dans l’appli pour qu’ils puissent en sortir des exercices et vérifier qu’ils ont bien compris les définitions. Ils peuvent aussi interroger l’IA comme s’ils étaient professeurs ». Et elle les incite à se rendre sur le site character.ai pour rencontrer des personnalités réelles virtuellement reconstituées afin de discuter avec de grands économistes comme John M. Keynes ou Milton Friedman…

Des outils adapté à chacun

La nature des activités fait qu’il est possible de faire appel à différentes solutions. En informatique le site Github, utilisé par la majorité de ceux qui font fu logiciel libre, a par exemple créé un outil d’IA spécifique au développement de code logiciel. Toute personne faisant partie d’une université, professeur comme étudiant, y a accès gratuitement et cela change véritablement la vie des développeurs.

Charlotte Audiard, professeure d’anglais en ECG et en hypokhâgne au lycée Stanislas à Paris et en classe préparatoire hors contrat WeiD, utilise également les IA de bien des façons. Glarity lui permet par exemple de résumer des vidéos : « J’ai pu ainsi résumer des milliers de vidéos postées sur YouTube sur la guerre civile américaine. En revanche ChatGPT n’est pas très douée pour les traductions. DeepL est bien meilleure ». Éline de Mathuisieulx, professeure de langue en classes ECG et PSI au lycée Saint-Etienne de Strasbourg, utilise quant à elle l’IA pour traduire des termes techniques utilisés lors des travaux pratiques ou pour proposer des exercices de grammaire avec du vocabulaire spécifique aux sciences : « Ensuite je peux demander à chaque élève de faire un exercice différent que l’IA m’aide à produire. ChatGPT aide également à fabriquer des plans de cours ou un podcast ».

Faire évoluer les évaluations

L’évaluation est « point central à travailler » selon Didier Paquelin, professeur titulaire de la Chaire de Leadership en pédagogie de l’enseignement supérieur de l’Université Laval du Québec, qui conduit depuis plus d’une trentaine d’années des études et des recherches sur la transformation des pratiques d’enseignement et d’apprentissage en contexte numérique : « A l’université de Laval nous tenons à maintenir des devoirs à domicile. Mais faut-il seulement rabâcher ce que dit le professeur ? Les changements dans les pratiques ne sont durables que si les évaluations sont modifiées. Des évaluations qui sont garantes du fonctionnement du système. Parce que le moment où on apprend c’est l’évaluation. C’est le moment auquel je fais appel à ce que j’ai appris pour aller chercher ce que j’ai compris. Pour résoudre. C’est bien différent de la simple mémorisation ».

Mais comment évaluer le travail des élèves à domicile quand une dissertation prend une seconde à écrire ? « Non seulement l’IA est capable de produire une dissertation, mais surtout, elle en produit une différente à chaque nouvelle demande, rendant la recherche de plagiat par le professeur difficile : un cliché stylistique, une référence malmenée peuvent être des signes de son utilisation, mais à quoi bon la débusquer, au fait ? », s’interroge Agathe Mezzadri-Guedj, professeure de littérature au lycée Michelet de Vannes. « Aujourd’hui je ne compte plus les notes à domicile dans les moyennes de mes élèves et ils se servent donc sans doute moins des IA », répond Charlotte Audiard, qui constate que beaucoup de ses collègues ont totalement arrêté les devoirs maison. C’est partiellement le cas de Johanne Favre : « Cela remet en cause certaines évaluations car nous ne parvenons pas toujours à distinguer ce qui est écrit pas nos élèves. Pour se faire une opinion il faut absolument pouvoir passer par une interrogation orale ou écrite en classe ».

Quant à Fatima Aït Saïd, elle a depuis longtemps arrêté de demander à ses élèves de réaliser des devoirs à la maison : « Ce que nous évaluons c’est de la créativité dans les connaissance. Aujourd’hui nous savons repérer les copier-coller, nous sommes devenus plus exigeants, demain nous devons l’être encore plus en demandant aux élèves d’afficher leurs sources et de présenter tout un dossier ». « Quand un élève très médiocre rend soudainement un très bon devoir fait à la maison on peut facilement vérifier que la structure a été générée par l’AI avec une écriture spécifique et le recours à de grandes généralités », souligne Éline de Mathuisieulx.

Mais les IA peuvent également avoir des effets délétères sur la façon dont les étudiants jugent leur évaluation. Cécile Godé, professeure de management à Aix-Marseille Université a quant à elle constaté que ses étudiants donnaient leurs copies à tester à ChatGPT quand ils n’étaient pas satisfaits de leurs notes et venaient se plaindre ensuite quand « l’IA avait accordé un 15/20 quand je ne notais de 9/20 en demandant des explications ».

Des « hallucinations » qui sont des freins persistants à l’utilisation des IA

C’est assez fascinant mais les IA peuvent répondre à toutes les questions même absurdes pour peu que les bases de données sur lesquelles elles sont fondées aient des réponses adaptées. Avec ce qu’on appelle des « hallucinations » on a récemment pu faire répondre à l’IA de Google que des « chats étaient allés sur la Lune » ou que les « baleines pondaient des oufs ». « Pas la peine de réessayer le test aujourd’hui, les IA se nourrissent des erreurs que nous leur remontons », prévient Alain Goudey, directeur général adjoint en charge du numérique de Neoma (lire son entretien). Éline de Mathuisieulx a quant à elle pu constater, après avoir demandé à ChatGPT de trouver des poèmes écrits par des scientifiques que l’IA les avait totalement inventés : « Elle s’est excusée, a promis qu’elle ne « le referait plus » après que j’ai prompté « Ne raconte pas n’importe quoi ». En fait l’IA déteste ne pas savoir ! » Pour éviter ces biais Fatima Aït Saïd propose donc à ses élèves au début de chaque année de suivre un cours « Que doit-on faire de l’IA » pour leur apprendre à les manier avec une distance critique : « Certains résultats de recherche sont tout à fait vraisemblables mais en fait n’existent absolument pas ! »

Des erreurs qui sont aussi des freins à l’utilisation des IA souligne Isabelle Ryl, vice-présidente intelligence artificielle de l’université PSL dans un entretien au Monde où elle décrypte les enjeux liés au déploiement de l’IA dans les universités.: « L’IA est un outil qui peut apporter beaucoup – en termes de gain de temps, d’exploration –, mais qui n’est pas exempt d’erreurs. La question est donc : comment l’insérer correctement dans les cursus ? Afin qu’elle puisse remplacer ce qui est remplaçable, sans se substituer à la formation globale de l’étudiant. Plus vous avancez dans une discipline, plus il faut de connaissances de base pour juger de la qualité de ce qui est proposé par l’IA. Un risque très important serait d’oublier que l’IA n’est qu’un outil à base de statistiques ».

Pour autant une évolution vers une utilisation de plus en plus large des IA semble également inéluctable pour Fatima Aït Saïd: « Nous sommes passés de la bibliothèque à Internet et là à l’IA. Il faut prendre chaque outils comme une aide supplémentaire à l’apprentissage pour être plus créatifs avec ses connaissances. Les très bons candidats ne sont pas ceux qui recrachent leurs cours mais ceux qui savent le faire. Les IA peuvent faire gagner du temps et il faut s’y investir avec des élèves qui n’ont qu’un an et sept mois pour se préparer ».

Mais attention « ce qui est traitre avec l’IA générative c’est qu’elle fournit une réponse syntaxiquement impeccable et donc très crédible alors que, surtout si on pose une question courte comme on en a l’habitude sur Google, on risque d’avoir une réponse aberrante », analyse Jean-François Pillou, CEO du site around.us lors d’une intervention au colloque annuel de l’Arces en juin 2024, qui conseille : « Il faut mieux lui donner beaucoup de contenu et qu’il fasse une excellente synthèse et là il est excellent alors que sinon il n’a pas de souvenir de ses sources. N’importe qui qui sait bien expliquer les choses, et là l’avantage est aux littéraires, peut obtenir des résultats excellents de la machine. Savoir écrire un prompt c’est juste savoir s’exprimer ! » CQFP (ce qu’il fallait prompter)…

Peut-on construire une IA aux normes françaises ?

En avril 2024, le Premier ministre Gabriel Attal, présentait « Albert », une intelligence artificielle développée par l’équipe DataLab de la Direction interministérielle du numérique (Dinum), chargée de la transformation numérique de l’État. Sa mission : aider les agents de l’administration à mieux répondre aux demandes avec un entrainement pas des Français. « C’est une IA dont les réponses sont validées par des Français et pas dessinée par des Américains puis entrainée par des non Français qui apportent chacun leur vision du monde », établit Erwan Paitel, inspecteur général de l’éducation, du sport et de la recherche er rapporteur de la commission sur l’intelligence lors du colloque annuel de l’Arces en juin 2024. « On est toujours confrontés aux questions d’éthique dès qu’on touche à l’IA. Nous travaillons sur une charte d’utilisation de l’IA dans notre université », le conforte Valérie Bouba, directrice de la communication de l’université Paris-Dauphine PSL.

Sciences Po, Sorbonne Université, le CNRS et l’organisation Make.org viennent justement de lancer le programme de recherche « Communs Démocratiques » qui vise à̀ « exploiter le potentiel de l’IA générative pour préserver et renforcer les fondements de la démocratie dans un monde confronté à une crise de confiance institutionnelle sans précèdent et à une guerre informationnelle croissante ». Le programme « Communs Démocratiques » réunira plus de 50 chercheurs et ingénieurs sur une période de deux ans. Son objectif principal est de développer et de partager en open source un cadre scientifique de détermination des principes démocratiques appliqués à l’IA, un modèle d’évaluation des biais des LLM (large language model, modèles de langage) par rapport à ses principes et des plateformes de participation citoyenne conformes à̀ ces principes.

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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

1 Comment

  1. Cet article a-t-il été écrit avec une IA ? Il comporte plusieurs erreurs de langue… Tous ces usages pédagogiques de l’IA me semblent passionnants, mais je m’interroge sur l’avenir de l’écriture longue et autonome, qui est une compétence majeure dans la construction d’une pensée. L’art du prompt ne peut en aucun cas la remplacer.

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