Prompt : « Dessinemoi des professeurs qui s’arrachent les cheveux en voyant leurs étudiants utiliser des IA pour faire leurs devoirs » Réponse de DallE : « Voici deux représentations amusantes de professeurs s’arrachant les cheveux en voyant leurs étudiants utiliser l’IA pour faire leurs devoirs. La scène montre bien la frustration des enseignants face à l’attitude détendue des élèves ! »
Ils en sont les premiers utilisateurs : près de 70% des 1824 ans utilisent personnellement les intelligences artificielles génératives (IAG) selon le baromètre Ifop pour Talan, Les Français et les IA génératives, publié en avril 2024. En pointe sur le sujet Neoma reçoit le 9 octobre prochain un colloque de l’AACSB (Association to Advance Collegiate Schools of Business) intitulé « Leverage Generative AI Tools for Teaching, Research, and Administration » pour faire le point sur leur utilisation des IAG dans les business schools du monde entier. En France l’ECE entend être dans les leaders en créant « Intelligence Lab » alors que l’ISC Paris a publié un Livre blanc sur leur utilisation par ses étudiants. Et même les SHS s’y mettent comme le prouve l’initiative AISorb de Paris 1 PanthéonSorbonne. Pour la première partie de ce dossier consacré à l’utilisation par les étudiants des IAG dans l’enseignement supérieur, nous sommes également allés à la rencontre de professeurs en classes préparatoires. La semaine prochaine nous nous pencherons plus particulièrement sur la question de la façon dont les IAG font évoluer le travail des professeurs.
« Jamais sans mon IA » disent les étudiants. Dans le cadre d’un Hackathon autour des enjeux sociétaux de l’Intelligence artificielle, une étude sur L’impact des IA génératives sir les étudiants a été réalisée par le Pôle Léonard de Vinci et le groupe Talan auprès de 1 600 étudiants de 4ème année d’études supérieures afin de « révéler la vision et l’utilisation des IA génératives (Chat GPT, Midjourney etc.) par les étudiants mais aussi son impact sur l’avenir professionnel des élèves ». Une enquête qui fait écho au dernier baromètre Ifop pour Talan, Les Français et les IA génératives publié en avril 2024.
Quelques chiffres : 99% des étudiants interrogés utilisent l’IA (contre 60% pour l’ensemble des Français) et 92% en ont une utilisation régulière de l’IA (contre 32% des Français). Ils sont même 51% à indiquer qu’ils « auraient du mal à se passer » de ChatGPT et autant à reconnaître que ChatGPT les « influence dans leurs choix ».
Au-delà de leur utilisation quotidienne, les IA génératives ont également un impact direct sur la pédagogie et la manière de travailler des étudiants. L’IA accompagne désormais les projets, les travaux et toutes les étapes d’apprentissage des étudiants. Parmi les principaux avantages perçus par les étudiants grâce aux IA génératives :
- 83% diminuer leur temps de travail ;
- 79% enrichir leur capacité de résoudre des problèmes complexes ;
- 65% augmenter leur productivité et leur performance ;
- 62% gagner du temps dans la vie quotidienne.
Mais si 72% des étudiants ont une vision positive de l’IA quand 79% des Français se disent inquiets visàvis de leur émergence, ils n’en sont pas moins conscients des dangers que les IA peuvent représenter, tant en termes sécurité des données que de dépendance à des grande sociétés internationales. 49% des étudiants interrogés estiment même que les IA peuvent représenter un danger pour la démocratie. « Nous avons conçu un dispositif pour former nos étudiants à un usage critique de ces IA génératives : utiliser les IA pour enrichir le travail individuel et collectif, mais sans qu’elles ne se substituent à la réflexion, et tout en conservant le discernement face aux risques d’erreurs et de manipulations » insiste Laure Bertrand, directrice Soft Skills, Développement Durable et Carrières au Pôle Léonard de Vinci.
Un bon « secrétaire particulier ». Les IA s’inscrivent également dans un registre relativement faible en culture générale. « En littérature et philosophie, les IA se fondent sur un petit nombre de grands textes. On retrouve des extraits des « Misérables » dans toutes les dissertations », regrette Agathe MezzadriGuedj, professeure de littérature au lycée Michelet de Vannes. Ce que confirme Charlotte Audiard, professeure d’anglais en ECG et en hypokhâgne au lycée Stanislas à Paris et en classe préparatoire hors contrat WeiD : « ChatGPT donne toujours en exemple les mêmes films ou ouvrages en se trompant souvent sur le nom des acteurs et des réalisateurs comme sur les dates. En fait il faut surtout l’utiliser pour faire des synthèses de documents ».
Une opinion que partage Johanne Favre, professeure d’histoire, géographie et géopolitique du monde contemporain en ECG au lycée GeorgesClemenceau de Reims, qui a fait venir un professeur d’informatique de l’université Reims Champagne Ardenne dans sa classe pour expliquer à ses élèves les limites de la logique des IA. Sa conclusion après 18 mois d’utilisation : « ChatGPT est un bon secrétaire particulier pour réaliser une revue de presse et faire des synthèses afin de construire un raisonnement plus ou moins élaboré ensuite. De même il peut améliorer la prise de note de nos élèves ».
Des essays à l’anglaise. « D’un seul coup mes élèves se sont mis à écrire en anglais dans un très beau style, et sans faute, en se disant qu’on ne s’en rendrait pas compte », s’amuse Charlotte Audiard, professeure d’anglais en ECG et en classe préparatoire hypokhâgne au lycée Stanislas à Paris et dans l’établissement hors contrat WeiD, en se souvenant des premiers pas des IA fin 2022. Comme beaucoup de professeurs elle a rapidement proposé à ses élèves de tester ChatGPT en lui faisant écrire une dissertation sur la « civilisation américaine et les limites à la liberté d’expression ». Leur note ? 12/20. « Nous avons analysé les réponses très consensuelles, le style, la construction, l’argumentation et les exemples. En résumé : ChatGPT produit un texte qui concentre tout ce qu’il ne faut pas faire pour intégrer une bonne école ! Pas de prise de risque, pas d’humour, pas d’ironie, pas de créativité ! »
Fondées sur la méthode d’« essay » à l’anglo-saxonne, les IA comme ChatGPT trouvent toute leur limite dès l’ordre qu’il s’agit d’écrire une dissertation. Agathe MezzadriGuedj a ainsi fait tester ChatGPT à ses élèves lors d’un atelier « IA je t’aime moi non plus » : « Nous recevions des essays à l’anglaise. J’ai décidé d’écrire des prompts plus longs et cela s’est amélioré. De plus nous avons testé cinq outils d’IA différents et constaté combien les résultats varient selon l’IA et le prompt ». Tout un processus qu’elle a présenté en 2024 lors du Colloque annuel de l’Association française des acteurs de l’éducation et dont elle tire quelques conclusions : « Dans nos disciplines la grande angoisse est celle de la page blanche, Avec l’IA on peut obtenir un point de départ à critiquer ensuite mais sur un sujet comme « Rester soimême » jamais l’IA ne commencera par se demander si le moi existe contrairement à un philosophe ».
Des limites en dissertation en français comme en anglais comme le remarque Charlotte Audiard : « ChatGPT n’arrive pas à se plier à une construction de dissertation française. De plus il est très consensuel afin de ne blesser personne. Il est très difficile d’obtenir une opinion et ce n’est donc pas exploitable dans les concours en ECG qui demandent de prendre en position pour convaincre les écoles les plus prestigieuses. En fait ChatGPT n’a pas de point de vue critique ». En revanche, observe la professeure, il a parfois des « emballements à l’américaine – tout est toujours formidable ! sans pour autant avoir le processus de réflexion qu’on attend d’un étudiant français ».
Quelle utilisation des IAG dans l’enseignement supérieur de gestion ? La Fnege (Fondation nationale pour l’enseignement de la gestion des entreprises) vient de publier une étude Regards croisés sur les IA Génératives dans l’Enseignement Supérieur en Gestion : Panorama des pratiques et perspectives réalisée par Alain Goudey, directeur général adjoint du numérique de Neoma, Philippine Loupiac, professeure à TBS Education et Bernard Quinio, maitre de conférence hors classe de l’Université Paris Nanterre. L’étude dresse un état des lieux des pratiques actuelles liées aux IAG dans l’enseignement supérieur en gestion et proposer des pistes de réflexion pour une adoption critique, positive, éthique et rigoureuse des IAG par les étudiants et les professeurs.
ChatGPT et les maths : « un étudiant très savant mais qui ne comprend pas ce qu’il fait ! » Parmi toutes les disciplines académiques les mathématiques semblent celles les moins intéressées par les IA génératives. « Dès le début, j’ai essayé par curiosité de soumettre à ChatGPT des équations assez simples. Les résultats étaient assez médiocres mais ils s’améliorent au fil du temps avec parfois des raisonnement assez bizarres », explique Thomas Peteul, professeur de mathématiques en seconde année d’ECG au lycée au lycée Saint Louis de Gonzague à Paris, qui constate surtout que l’IA ne parvient pas à résoudre un exercice inventé : « Sur un exercice non référencé il tâtonne, donne quelques informations, peut suggérer mais en aucun cas le résoudre ».
Aujourd’hui il voit plutôt en l’IA aujourd’hui un « excellent moteur de recherche pour obtenir beaucoup d’informations, malheureusement non sourcées ». Un outil qui pourrait donc l’aider à préparer un cours mais qui ne le convainc pas dans sa pertinence mathématiques : « ChatGPT parvient à résoudre des exercices bien connus mais c’est avec un raisonnement de compilation, pas un raisonnement de mathématicien. C’est un peu comme si nous avions en face de nous un étudiant très savant mais qui ne comprend pas ce qu’il fait ».
L’un des problèmes spécifiques aux mathématiques que doit résoudre l’IA est également de passer par le prisme d’une photo qu’il transforme ensuite en langage LaTeX, langage dans lequel il répond mais que ne connaissent que très peu d’élèves. Avec le danger également pour ces mêmes élèves d’utiliser des données qui ne sont tout simplement pas dans le programme. « J’ai demandé à ChatGPT de reprendre son raisonnement avec seulement les programmes appris en ECG mais il n’en a pas été capable », remarque le professeur.
Adapter l’enseignement : l’exemple de Neoma, l’ECE et Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Dans ce contexte d’utilisation quotidienne des IA par les étudiants les établissements d’enseignement supérieur se sont rapidement adaptés. Neoma a ainsi autorisé l’ensemble de ses étudiants à utiliser les IA dès septembre 2023 et en a déjà formé 6 000 soit, 60% d’entre eux, et 80% de ses professeurs, notamment pour les préparer à ne pas avoir une confiance aveugle dans les outils d’IA. « Les étudiants ont les mêmes soucis que les digital natives avec l’informatique. Certes ils utilisent les IA, généralement en mode freemium, mais sans forcément un usage récurrent. Interrogés, les étudiants parlent pour plus de la moitié d’entre eux de seulement une fois par mois et seulement 5 à 6% très régulièrement en utilisant les bons outils et en apprenant à bien prompter » , commente Alain Goudey, directeur général adjoint en charge du numérique de Neoma. Nous les formons donc à comprendre ce que peuvent ou pas faire les IA, quand c’est efficace ou, au contraire, quand les IA produisent ce qu’on appelle des hallucinations, des inventions d’information qui propagent des erreurs. »
Les école d’ingénieurs spécialisées dans l’informatique sont naturellement en pointe sur ces sujets. Doté de cartes électroniques haut de gamme et d’un accès très haut débit à des ressources de calcul dans le cloud, l’Intelligence Lab qu’a lancé l’ECE en juin 2024 est la première plateforme pédagogique de recherche et d’innovation exclusivement dédiée à l’IA générative en France. « Depuis plusieurs années les IA sont enseignées dans nos programmes. Tous les étudiants de l’ECE acquièrent un socle de compétences en ingénierie en IA générative indispensable à son insertion professionnelle, une fois diplômé. Avec cette plateforme nous allons encore plus loin, explique François Stephan, le directeur de l’ECE. Nous voulons proposer du matériel physique pour montrer à nos étudiants les ressources nécessaires au développement des IAG audelà du cloud ».
Et les IA ont leur place dans toutes les disciplines. Même les SHS (sciences humaines et sociales) et même au sein de la vénérable université Paris 1 PanthéonSorbonne « on s’en saisit à bras le corps » affirme sa présidente, Christine NeauLeduc. L’institution, fondée sur des siècles de tradition académique, entame en effet un tournant audacieux en élargissant son champ d’études aux intelligences artificielles. En juin dernier, dans le cadre du plan France 2030, l’université a obtenu 5 millions d’euros pour mettre en œuvre son projet innovant de formation : AISorb. L’enjeu de la création d’un collège de l’IA est double : permettre aux étudiants en SHS de bénéficier d’une formation pluridisciplinaire dans le but de les « acculturer aux systèmes de l’IA » mais il s’agira également d’« essayer de les alerter sur l’impact de l’IA sur les métiers d’avenir auxquels ils sont formés ici » souligne la présidente qui met en avant des problématiques de régulation, comme celle du plagiat, et d’enjeux éthiques.
Les exemples sont innombrables et le champs des possibles immense. La semaine prochaine nous consacrerons justement plus particulièrement la suite de ce dossier à comment les professeurs s’en emparent pour mieux préparer leurs cours ou innover pédagogiquement