ECOLES DE MANAGEMENT

«  Je veux faire émerger des systèmes d’éducation au management de haut niveau »

Olivier Rollot : Vous allez bientôt quitter la direction de Rennes School of Business pour rejoindre l’Université Internationale de Rabat (UIR). Pourquoi ce changement alors que tout se passait très bien à Rennes ?

Olivier Aptel : Je m’étais fixé 10 ans de direction. J’étais à onze ans et il était temps de passer à autre chose. Et j’ai choisi de le faire sur de nouveaux horizons car cela ne m’emballait pas de poursuivre ma vie par un poste comparable en France.

O. R : Rennes School of Business vient de vivre onze années de croissance remarquables. Quel bilan en tirez-vous ?

O. A : Il y a onze ans Rennes SB était encore une école très jeune, au stade de l’adolescence puisque créée en 1990. Nous avons travaillé pour en faire une école qui possède des caractéristiques très fortes à commencer par sa dimension internationale : aujourd’hui 91% de nos professeurs permanents et 53% de nos étudiants (2300 sur 4300) sont internationaux. Notre recherche en management est d’un haut niveau. Le tout reconnu par un triple accréditation EQUIS/AACSB/AMBA. Rennes SB est également autonome financièrement ce qui est un atout important dans un contexte difficile pour beaucoup d’écoles de management. Cette autonomie nous donne d’ailleurs aujourd’hui la capacité à finaliser pour septembre 2017 l’un des plus beaux campus de France avec 4 bâtiments, une résidence pour étudiants et des terrains de sport, soit en tout 23 000 m2 sur 3,5 ha de verdure.

O. R : Rennes SB est maintenant bien ancrée dans le top 10 des meilleures écoles de management françaises ?

O. A : Et même 7ème dans le classement des business schools du Financial Times. En dix ans notre recrutement d’élèves issus de prépas est passé de 100 à 300 par an. Le tout en faisant régulièrement progresser notre barre d’admissibilité. Nous pouvons demain nous classer 6ème dans le Sigem.

D’autant que Rennes SB n’est pas encore à son asymptote. Elle a le potentiel pour se positionner derrière les trois « parisiennes », Edhec BS et emlyon BS. Les clignotants sont au vert qu’il s’agisse de son attractivité, sa singularité ou encore son autonomie financière qui l’a met à l’abri de toute décision politique. Rennes SB s’autofinance et dégage des marges de manœuvre sans aucune subvention.

O. R : L’international c’est vraiment votre modèle !

O. A : Tous nos programmes sont dispensés en anglais avec un modèle éducatif multiculturel à 100% qui nous permet de faire venir sur notre campus des étudiants du monde entier et de les recevoir au mieux. Mon successeur n’aura qu’à dérouler le modèle.

O. R : Votre modèle est fondé sur l’internationalisation des cursus mais sans pour autant ouvrir des campus partout dans le monde.

O. A : Mieux vaut faire venir des étudiants internationaux à Rennes que de payer des infrastructures à l’international dans le cadre d’un business model qui n’est absolument pas convaincant. Toutes les écoles de management sont sollicitées pour ouvrir des campus en Chine mais à quoi cela sert-ils quand on peut être partenaire d’institutions étrangères qui apportent la même chose, plus des doubles diplômes, pour un coût nul ?

O. R : Pourquoi partir à Rabat quand on vous imaginait à bien d’autres postes ?

O. A : J’avais besoin de nouveaux challenges, et de mettre à profit mon expérience dans le cadre d’un nouveau défi : celui de contribuer à faire émerger des systèmes d’éducation au management de haut niveau dans un pays qui se développe rapidement et dans lequel il faut préparer des cadres, des managers, des leaders capables d’accompagner ce développement économique et d’y prendre toute leur part.

C’est pourquoi j’ai décidé de poursuivre ma carrière dans l’un de ces pays, le Maroc. Je vais rejoindre l’Université Internationale de Rabat pour piloter un projet de création de trois nouvelles business schools dans les principales villes du pays ainsi que dans plusieurs pays d’Afrique. Ce projet de 200 millions d’euros (rien que pour la partie marocaine) est soutenu à la fois par le gouvernement marocain et par des investisseurs privés.

Je m’engage dans un projet ambitieux, toujours dans le cœur de métier que je connais, l’enseignement supérieur du management, mais dans un contexte culturel et politique différent. Dans une Afrique dont il faut accompagner l’impressionnant développement démographique.

O. R : Quelle est la structure de l’Université Internationale de Rabat ?

O. A : L’UIR est la première université marocaine fonctionnant sous un modèle de partenariat public/privé. Les terrains où elle est implantée lui ont été donnés par l’Etat marocain et des entreprises lui apportent ses moyens de fonctionnement. Elle est composée de différents collèges (architecture, institut d’études politiques, etc.) qui travaillent en partenariat avec des institutions d’enseignement supérieur du monde entier : Sciences Po Grenoble pour son IEP, l’Université de Lorraine pour son école d’ingénieurs, Yale pour le droit, etc. C’est vraiment une création du roi du Maroc qui l’a voulu dans sa capitale pour doter son pays de grandes infrastructures éducatives. Nos développements dans le reste de l’Afrique sont maintenant conditionnés d’accords à venir dans le cadre de l’Organisation des Etats africains au sein de laquelle le Maroc vient de faire son retour.

O. R : On le voit dans les classements internationaux, on le constate dans les opinions positives qu’ont pour elles les entreprises, les écoles de management françaises ont la côte. Pourtant la puissance publique ne semble guère leur prêter d’attention. Pourquoi ?

O. A : Les Grandes Ecoles de management françaises font parties des fleurons de l’industrie des services et de l’enseignement supérieur français : elles sont toujours en tête des classements internationaux et sont souvent citées en référence par les universités étrangères. On parle davantage des secteurs du luxe ou du vin, de l’aérospatiale, beaucoup moins de la réussite des Business School françaises qui est bien réelle.

Elles ont également su aborder un virage culturel majeur dans les années 90 en suivant les guidelines des grands systèmes d’accréditation de l’EFMD et de l’AACSB qui les ont aidées à passer du stade d’« écoles de commerce » souvent régionales, sortes de « gros BTS »,  à celui de business schools internationales. Elles l’ont fait avec peu de moyens mais en s’appuyant sur leurs forces : les classes préparatoires aux grandes écoles, des territoires souvent engagés à leur côté, une proximité « naturelle » avec les entreprises.

Pour autant elles n’ont effectivement par le soutien de la puissance publique. Tout au contraire, elles pâtissent de la disparition des subventions publiques ou parapubliques. Il y a donc une nécessité impérieuse de redéfinir le business model des écoles en s’affranchissant peu à peu du réflexe de s’appuyer sur des moyens publics et passer au mode entrepreneurial, en assumant un statut d’autonomie financière et en définissant de nouvelles cibles. Il faut pour cela que les systèmes de gouvernance des Grandes Ecoles de Management leur assurent l’agilité nécessaire pour être en capacité de réussir.

O. R : Quels sont les leviers de croissance dont peuvent encore bénéficier les écoles de management françaises ?

O. A : Tout d’abord, en France le vivier des classes préparatoires n’est pas en diminution, mais va continuer à croître régulièrement dans les 10 ans qui viennent. La grande inertie de ce milieu ne doit pas être un obstacle, car la qualité y paie toujours. Les admissions sur titres, ensuite : de plus en plus d’étudiants, face aux insuffisances de l’Université publique, souhaitent rejoindre les BS, notamment après une licence, où ils savent qu’ils vont recevoir une éducation au management compatible avec les attentes des entreprises.

Mais les principaux leviers sont à l’international : l’Unesco annonce un doublement du nombre d’étudiants en mobilité dans le monde dans les vingt prochaines années. On parle de près de 10 millions de candidats, dont beaucoup seront concernés par des études de management. Il y a là un vivier pour les Grandes Ecoles françaises, pour peu qu’elles sachent les attirer et les accueillir. Et ce n’est pas la même chose que d’avoir quelques étudiants étrangers dans un programme, ou dans une « track » qu’il leur est réservée, que d’en accueillir 500 ou 1000. Il faut dans ce cas que l’Ecole soit culturellement configurée pour cela : tout le monde doit parler anglais, l’administration comme les professeurs, tous les cours être dispensés en anglais, il faut aller chercher les candidats et les accompagner dans leurs démarches d’expatriation… Toutes les écoles ne peuvent pas le faire aujourd’hui, mais elles doivent s’y préparer, ou elles perdront leur leadership. C’est une question de survie pour elles et une source de richesse et d’apprentissage pour les étudiants français d’avoir la chance de découvrir les sciences de gestion en baignant dans un univers multiculturel. Bien sûr, ce modèle ne peut exister que dans le cas d’une économie ouverte où les étudiants et les professeurs du monde entier sont les bienvenus chez nous…

O. R : Vous n’avez pas pensé faire de Rennes SB un établissement d’enseignement supérieur consulaire (EESC) ou un EESPIG (établissement d’enseignement supérieur privé d’intérêt général) ?

O. A : Rennes SB est déjà une association et n’est donc pas soumis à des règles de comptabilité publique très contraignantes. Or je ne vois pas encore quels moyens supplémentaires les EESC ont apporté aux écoles qui ont adopté le statut. Pour HEC il a essentiellement s’agi de se débarrasser de sa tutelle. Quant au label EESPIG, nous n’allons pas changer de système de gouvernance uniquement pour obtenir une hypothétique subvention.

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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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