CLASSES PREPAS, POLITIQUE DE L'ENSEIGNEMENT SUPERIEUR

La proximité des établissements d’enseignement supérieur réduit les inégalités

Depuis quelques années un profond mouvement d’implantations d’établissements d’enseignement supérieur de proximité a repris en France. Après les IUT, les sections de BTS et les CPGE (classes préparatoire aux grandes écoles) dans les années 70 et 80 ce sont aujourd’hui essentiellement les établissements privés qui se rapprochent des étudiants. Dans une note publiée en mars 2025, l’Institut des politiques publiques a souhaité posé la question Peut-on réduire les inégalités géographiques dans l’accès aux filières sélectives en France ? Son analyse éclaire les enjeux comme celle des invités de la table ronde « Territoires et expérience étudiante : un lien stratégique pour l’avenir de l’enseignement supérieur » organisée en novembre 2024 dans le cadre du Salon de l’expérience étudiante.

Les collectivités investissent dans la proximité. « L’enseignement de proximité est nécessaire pour offrir des opportunités à des jeunes qui, bien que réussissant leur bac, renoncent souvent à poursuivre leurs études par manque de moyens », expliquait Denis Thuriot, le maire de Nevers, lors de son intervention sur le Salon de l’expérience étudiante en novembre 2024. En implantant des formations locales, comme un BUT, Denis Thuriot cherche à réduire ces inégalités tout en attirant des étudiants d’autres régions.

Lors du même débat Laurent Gatineau, président de CY Université, soulignait également l’importance de proposer une offre de proximité : « Il existe un frein de la part des étudiants à aller dans des territoires éloignés en raison des défis organisationnels et financiers que cela implique ». Il insistait sur le fait que l’enjeu réside dans la nécessité d’une « véritable volonté de la part du territoire, qui ne soit pas remise en cause lorsqu’il y a un changement politique ».

Marc Sciamanna, vice-président de l’Eurométropole de Metz et administrateur national délégué à la vie étudiante (AVUF), insistait justement sur l’engagement des collectivités territoriales dans le soutien à l’enseignement supérieur, soulignant qu’elles apparaissent comme une « solution de recours, voire de première intention » face à la hausse des dépenses universitaires et à leurs ressources limitées. Il évoque l’importance de « sensibiliser les élus aux enjeux de l’enseignement supérieur », en rappelant qu’un « nombre encore insuffisant de collectivités saisissent pleinement l’importance de ce secteur pour le développement des talents régionaux et le rayonnement des territoires ».

Les projets de nouveaux campus reflètent l’essor de l’hybridation. « Nous ne développons plus des campus, mais des coins de quartiers », explique Anil Benard-Dende, directeur général d’Ynov Campus dans une autre conférence du Salon de l’expérience étudiante. Ces espaces incluent salles de cours, logements, incubateurs, co-living et lieux de détente, favorisant l’interaction entre étudiants, jeunes actifs et entrepreneurs. Stéphanie Lavigne, la directrice générale de TBS Education insiste également sur la « nécessité de disposer d’espaces de sport, de restauration, de bien-être, pour transformer le campus en véritable lieu de vie quotidienne ». Ce modèle, plus inclusif et complet, « accompagne l’évolution des attentes étudiantes : diversité, pratiques sportives, engagement citoyen, mobilité, etc. »

Logement et restauration : des préoccupations centrales. On le sait : le logement étudiant, représente un enjeu crucial pour les étudiants et un frein potentiel à leur mobilité. « Nous construisons des résidences en fonction des besoins locaux, des typologies d’étudiants. Des constructions modulaires peuvent être assemblées hors-site pour ériger rapidement des logements pour ne pas manquer la rentrée universitaire », expliquait Gilles Leclerc, directeur général d’Axentia, entreprise sociale pour l’habitat spécialisé lors du Salon de l’expérience étudiante.

Marc Sciamanna insiste sur le fait que tant que cette question du logement ne sera pas résolue, les collectivités ne pourront pas porter pleinement leurs ambitions en matière d’enseignement supérieur, ce qui ajoute une « pression sociale et géographique obligeant les étudiants à se former dans les grandes villes ». Pour répondre à ces enjeux, les collectivités apportent des solutions pragmatiques, comme la création d’observatoires du logement étudiant pour réaliser un diagnostic des besoins et de l’existant.

La restauration universitaire représente aussi un enjeu fort. Denis Thuriot regrette notamment un manque d’accompagnement du CROUS sur cette dimension-là, ce qui l’a conduit à financer directement la restauration universitaire. Une problématique également abordée par Laurent Gatineau : « Les mégapoles attirent l’attention et les financements, mais dans des villes comme Saint-Germain-En-Laye, ils ne servent que 200 repas à un euro, alors qu’il y a 2000 étudiants ».

Laurent Gatineau, a mis en lumière les défis croissants liés aux services étudiants. Si la CVEC (contribution à la vie étudiante et de campus) a permis de tripler l’offre en santé et de regrouper les services comme les assistants sociaux du CROUS, la demande explose : « Plus nous développons de services, plus les besoins augmentent ». Avec une médecine libérale sous tension, les universités portent également une part croissante de l’accès aux soins, mais peinent à être sur tous les fronts avec la baisse de leurs revenus.

Face à cette pression croissante sur les universités, Denis Thuriot souligne que les collectivités locales ne peuvent pas, elles non plus, tout assumer, tout en saluant les initiatives déjà mises en place, comme De la Nièvre aux grandes écoles, qui accompagne les étudiants de son département et les encourage à viser des parcours d’excellence. Si ces efforts contribuent à réduire les injustices territoriales, il rappelle que « le développement d’une offre locale d’enseignement supérieur est d’autant plus essentiel que les étudiants ont tendance à revenir s’installer là où ils ont étudié, ce qui renforce l’attractivité des territoires ».

De son côté, Marc Sciamanna a dénoncé l’installation de formations dans des locaux inadaptés, comme des bureaux commerciaux, où les étudiants peinent à se restaurer ou à se rendre : « Quand les collectivités sont consultées, elles veillent à implanter les campus dans des zones propices à une vie étudiante épanouie ». Mais il reste selon lui un « important travail de sensibilisation à mener auprès des agences d’implantation pour intégrer ces critères dans leurs stratégies ».

BTS / CPGE : une offre de formation géographiquement déséquilibrée. La proportion de diplômés du supérieur varie considérablement selon les régions illustrant plusieurs traits structurels de la géographie française : centralisation autour de Paris, contrastes entre zones urbaines et rurales, et forte disparité de l’offre de formations. La distance à la formation la plus proche peut représenter un obstacle important à la poursuite d’études, notamment au moment charnière de la fin du lycée. Les élèves éloignés des centres universitaires s’inscrivent moins souvent dans l’enseignement supérieur et y obtiennent de moins bons résultats.

L’étude de l’Institut des politiques publiques porte tout sur les CPGE et STS qui ont en commun d’avoir un recrutement géographique très concentré. En 2015, la moitié des lycées généraux et technologiques (GT) ne fournissaient que 16 % des étudiantes et des étudiants des STS. À l’autre extrémité, 21 % des lycées fournissaient à eux seuls la moitié des effectifs. Cette concentration apparaît encore plus marquée pour les CPGE : toujours en 2015 la moitié de leurs effectifs provenait de seulement 18 % des lycées GT, tandis que la moitié des lycées ne contribuait qu’à hauteur de 14 % des élèves inscrits.

Le vivier de recrutement des formations sélectives dans les lycées se concentre non seulement dans un nombre limité de lycées, mais ces derniers sont inégalement répartis sur le territoire. En 2015, parmi les lycées fournissant plus de 50 % des effectifs des CPGE, près de la moitié étaient situés dans des communes de plus de 100 000 habitants et 29 % étaient situés en région parisienne. Pour les STS, ces proportions étaient respectivement de 43 % et 12 %.

L’étude distingue deux groupes : les élèves dont le lycée propose une CPGE ou une STS , et ceux dont ce n’est pas le cas. Les résultats sont sans appel : le taux d’accès en CPGE des élèves de terminale dont le lycée ne proposait pas cette formation s’élevait à 8 %, soit 6,1 points de moins que celui des élèves ayant une CPGE dans leur établissement (14,1 %), ce qui représente un écart relatif de 43 %. Cependant, seuls 33 % de cette différence « s’expliquent par les écarts de performance scolaire, de série du baccalauréat et d’origine sociale entre les deux groupes » selon les auteurs de l’étude. Une différence qu’on retrouve dans le taux de candidature en CPGE des élèves de terminale : 27,4 % parmi les bacheliers issus d’un lycée proposant une CPGE, contre 16,7 % parmi ceux issus d’un lycée sans CPGE. Seuls 30 % de cet écart s’expliquent par des différences dans les caractéristiques observables des élèves, « laissant près de 70 % inexpliqués » selon l’étude.

Le constat est similaire pour l’accès en STS. Parmi les 6,2 points de pourcentage d’écart dans le taux d’accès aux STS entre les élèves ayant une STS dans leur lycée et ceux qui n’en disposent pas, « seuls 40 % s’expliquent par des différences dans les caractéristiques observables entre les élèves ».

CPGE / BTS : l’effet des ouvertures de classe. Au cours des trente dernières années, les effectifs des CPGE et des STS ont connu une forte progression, passant respectivement de 64 000 et 199 000 étudiants en 1990 à 93 000 et 285 000 en 2020. Une croissance qui s’explique en grande partie par une politique d’expansion territoriale visant à développer l’implantation de ces filières, connue sous le nom de « classes de proximité ».

Entre 2007 et 2015, 56 nouvelles CPGE et 144 nouvelles STS ont ainsi été ouvertes dans des lycées qui ne proposaient pas auparavant ce type de formation. Plus de la moitié des nouvelles CPGE sont des CPGE scientifiques, suivies par des CPGE économiques et commerciales (un tiers des ouvertures). Les ouvertures de STS, bien que plus diversifiées, concernent principalement des formations liées au commerce et aux services, notamment dans les domaines de l’hôtellerie-restauration, de la gestion, ainsi que dans les secteurs de la santé et du social.

Environ 39 % des ouvertures de CPGE ont eu lieu dans des villes de moins de 100 000 habitants (hors région parisienne), une proportion qui dépasse 50 % pour les ouvertures de STS. Si les nouvelles CPGE sont plus concentrées géographiquement, les ouvertures de STS sont réparties sur l’ensemble du territoire.

Selon l’étude l’ouverture d’une CPGE augmente en moyenne de 0,6% la probabilité que les élèves du lycée concerné ou des lycées voisins s’inscrivent en CPGE (dans le lycée où la formation a été ouverte ou ailleurs) dans les trois ans suivant leur baccalauréat. Cet effet est légèrement plus marqué pour les ouvertures de STS (0,9%) Dans les deux cas, il correspond à une augmentation relative d’environ 8 % par rapport à l’absence d’ouverture.

L’impact est nettement plus prononcé lorsqu’on se limite aux élèves de terminale du lycée où la nouvelle formation est implantée. L’impact des ouvertures de STS atteint ainsi 2,1% pour les élèves du lycée où elles sont implantées, soit une augmentation relative de 17,6 % par rapport à la probabilité contrefactuelle. « Ces résultats montrent que la politique d’ouverture des classes de proximité a favorisé l’accès aux CPGE et aux STS au cours des deux dernières décennies, contribuant ainsi à la diversifier le recrutement des formations sélectives », conclut l’étude.

  • Olivier Rollot avec Agathe Foubert
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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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