EMPLOI / SOCIETE

« L’échec scolaire pourrait se régler en 10 ans » : François-Afif Benthanane (Zup de Co)

Trop de jeunes quittent le système scolaire sans diplôme ni qualification, avec les répercussions économiques et sociales désastreuses que l’on connaît. Convaincus que le décrochage scolaire n’est pas une fatalité, Zup de Co agit depuis plus de 10 ans pour accompagner les jeunes issus des quartiers populaires. Pour poursuivre son action et accompagner un nombre croissant de jeunes, l’association vient de lancer sa nouvelle campagne de recrutement et appelle à la mobilisation 2000 étudiants bénévoles et 200 volontaires en service civique. « Si 5% des étudiants étaient mobilisés, nous pourrions réduire drastiquement le décrochage scolaire en France », explique le fondateur de l’association, François-Afif Benthanane.

Francois-Afif Benthanane

Olivier Rollot (@ORollot) : En 2005 vous avez eu l’idée de monter l’association Zup de Co pour venir en aide aux élèves du collège en difficulté. Rappelez-nous dans quelles conditions ?

François-Afif Benthanane : Je suis un pur produit de l’échec scolaire. Je n’ai pas eu mon bac, mais cela ne m’a pas empêché de me lancer dans l’entrepreunariat et de créer des entreprises dans le Datamining et les technologies. En 2003, j’ai voulu faire une parenthèse pour m’intéresser aux acteurs de l’entrepreneuriat social puis, en 2005, après les émeutes qui ont révélé au grand jour le sentiment d’abandon des banlieues, je me suis demandé comment je pouvais contribuer, à mon niveau, à agir positivement dans les quartiers populaires.

C’est là que je rencontre un monde associatif passionnant par son engagement mais auquel il manque la culture du résultat qui me semble nécessaire pour se fixer, atteindre voire dépasser ses objectifs.

Pour moi « le talent n’a pas de domiciliation » et je pousse des jeunes à aller plus loin, à créer leur entreprise ou à penser aux grandes écoles et aux universités. Sur Beur FM, je fais même une émission pour montrer de belles réussites. Mais un jour une mère m’interpelle : « C’est bien d’exciter nos enfants mais que faire après ? » C’est là que, suite à différentes rencontres, nait l’envie d’agir et de s’impliquer activement dans l’éducation.

O. R : Comment expliquez-vous les taux d’échec dans les quartiers en difficulté ? Ces 100 000 jeunes qui sortent chaque année du système scolaire sans diplôme.

F-A. B : Bien heureusement, l’échec scolaire n’est pas un phénomène qui concerne exclusivement les quartiers populaires. Il y a de nombreuses raisons qui peuvent l’expliquer mais j’en distingue trois principales : la difficulté de la relation parents/enfants face aux devoirs à faire à la maison, l’inégale présence associative sur le terrain dans les quartiers et le manque de stimulation alors qu’on est entouré de précarité.

C’est pour cela que nous agissons à travers tout le territoire, au plus près des familles, pour proposer aux élèves en difficultés un accompagnement scolaire, au sein même de leur établissement.

O. R : Mais comment faites-vous pour entrer dans les collèges ?

F-A. B : Aujourd’hui nous sommes présents dans 42 collèges REP et accompagnons gratuitement plus de 2200 collégiens à travers des dispositifs d’accompagnement individuel et d’aide aux devoirs. Finalement, après 10 ans d’expérience, notre plus belle carte de visite est celle des familles qui nous recommandent et nous sollicitent. La qualité et l’efficacité de notre dispositif sont reconnus par l’Education Nationale qui parraine notre action.

Nous intervenons à deux niveaux : chaque soir, à la fin des cours, pour aider les collégiens à faire leurs devoirs. Et pour les élèves qui connaissent de plus grandes difficultés, nous intervenons de manière individuelle, à raison de deux heures par semaine.

Les étudiants et les jeunes en service civiques qui nous accompagnent sont décisifs pour mener à bien notre mission. Une façon constructive de rendre à la société ce qu’elle leur a donné tout en vivant une expérience riche d’enseignements. C’est une action citoyenne et solidaire qui peut même leur apporter des crédits ECTS.

O. R : Vous venez en relais des professeurs ?

F-A. B : Il n’y a pas besoin de réfléchir longtemps pour comprendre que 716 000 professeurs ne peuvent pas avoir une relation individuelle avec 12 millions d’élèves. Ils ont été formés à gérer un « groupe classe » et nous intervenons individuellement, en étroite collaboration avec le corps enseignant, pour empêcher les décrochages. Avec 2 h d’accompagnement par semaine pendant quatre ans, de la 6ème à la 3ème, nous arrivons à 83% de réussite au brevet.

Songez que chaque élève qui sort du système scolaire sans qualification coûte 230 000€ à la collectivité tout au long de sa vie. Le seul fait de « raccrocher » 10 000 jeunes ferait économiser 2,3 milliards d’euros à la France sur 40 ans, soit près de 60 millions d’euros par an !

Plutôt que d’être considérés comme un coût, ces jeunes devraient être perçus comme un gain pour la collectivité en termes de croissance et d’emploi. Mais pour cela, il faut à la fois former des jeunes aux qualifications de plus en plus élevées pour notamment affronter le monde numérique qui les attend et arrêter de dénigrer les lycées professionnels. On ne peut pas « remplir » les lycées professionnels sans valoriser les métiers auxquels ils mènent. Personne ne doit subir son orientation.

O. R : Comment travaillez-vous avec les étudiants bénévoles ?

F-A. B : D’un côté nos responsables secteurs dans les réseaux d’éducation prioritaire (REP) vont à la rencontre d’étudiants qui viennent à parité des grandes écoles et des universités. De l’autre, nos coordinateurs dans les collèges proposent aux élèves en difficulté de travailler avec nos bénévoles. Dans ce processus, nous insistons beaucoup sur l’implication des parents, gage de succès. Chaque année, ils doivent par exemple venir à trois réunions mais surtout être présents au quotidien, faire un bon petit déjeuner chaque matin, encourager leurs enfants et s’assurer qu’ils dorment chaque soir à 22 h 30. C’est leur mission et nous sommes clairs : ils sont parties prenantes dans la réussite de leurs enfants.

Par ailleurs, nous mettons à disposition des étudiants des plateformes numériques afin d’assurer un suivi efficace des actions engagées au sein des établissements et une totale traçabilité des séances effectuées par les binômes étudiant/collégien. Indispensable, cet outil permet aussi bien d’obtenir des statistiques fiables et des chiffres précis sur le nombre de séances effectuées à l’échelle d’un binôme ou d’un collège que d’avoir de la visibilité sur la progression des élèves accompagnés. Au-delà, il favorise la remontée d’éventuels problèmes, questions ou difficultés susceptibles d’entraver la motivation des collégiens.

O. R : Aujourd’hui vous voulez également inciter les collèges à faire réaliser les devoirs dans l’établissement, pas à la maison.

F-A. B : Le handicap majeur des collégiens en difficulté c’est de ne pas avoir quelqu’un à la maison pour les aider. Nous disons donc « Les devoirs, c’est à l’école. Pas à la maison ».

Si 4 à 10% des étudiants venaient aider les élèves à faire leurs devoir à l’école nous résoudrions l’échec scolaire. Il y aujourd’hui 1089 collèges dans les REP et il faudrait 80 étudiants par collège, soit 80 000 au total pour couvrir les besoins de chaque établissement.

Si on met ces chiffres en perspectives avec les 12 000 étudiants aujourd’hui en formation en ESPE (École supérieure du professorat et de l’éducation), des aspirants enseignants potentiellement désireux de passer de la théorie à la pratique, cela laisse songeur…

L’échec scolaire pourrait se régler en 10 ans si on s’en donnait les moyens…

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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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