C’est un coup de tonnerre : il n’y aura pas de cours en face à face à l’Université de Cambridge en 2020-21 en raison du coronavirus. Selon le communiqué que publie l’université « étant donné qu’il est probable que la distanciation sociale continuera d’être requise, l’université a décidé qu’il n’y aura pas de cours en face à face au cours de la prochaine année académique ». Pour autant « il sera peut-être possible d’accueillir de plus petits groupes d’enseignement en personne, pour autant que cela soit conforme aux exigences de distanciation sociale ». Entre enseignement 100% distanciel et distanciation l’enseignement supérieur tente de trouver un équilibre.
Etudier en ligne cela en vaut-il la peine ? Le débat aux Etats-Unis
En Amérique du Nord le recours à l’enseignement en ligne sera la norme à la rentrée 2020. Et justement la perspective du 100% en ligne peut en rebuter plus d’uns quand on sait à quel point les relations informelles – dans les multiples activités des campus comme au pub le soir outre-Manche – font partie intégrante de l’expérience étudiante à l’anglo-saxonne. Dans un article USNews révèle ainsi qu’un récent sondage fait auprès des futurs étudiants américains montre que, si 17% envisagent de retarder leur inscription jusqu’au printemps 2021 et 16% une année sabbatique, c’est d’abord parce qu’ils sont réticents à l’idée de suivre leur trimestre d’automne uniquement en ligne.
Aux Etats-Unis, les étudiants ne veulent pas payer le prix fort pour des cours en ligne titre ainsi Le Monde relevant que des « poursuites en justice ont été engagées contre 26 établissements pour obtenir un remboursement partiel des frais d’inscription et des dépenses de pensionnat ». Pour l’heure, « considérant que leurs diplômes conservent toute leur valeur, les universités refusent de rembourser même partiellement les frais d’inscription. Beaucoup se contentent de reverser aux familles une partie des dépenses pour les chambres et la restauration ». Will lawsuits for tuition refunds succeed? It depends, experts say résume le site Education Dive.
- Voir la plainte déposée contre New York University https://assets.documentcloud.org/documents/6891688/Rynasko-et-al-v-New-York-University.pdf
A distance ça marche !
Le BNEI (Bureau national des élèves Ingénieurs) a sondé plus de 11 000 étudiants répartis dans 165 écoles, sur les conséquences de la crise du Covid-19. Il ressort notamment de leur étude que seulement 14,3% ont suivi l’intégralité de leurs cours et 55% en « grande partie ». Parmi les quelques 9,6% qui n’ont suivi leurs cours que « parfois » c’est à 42% par « manque de motivation ». Par ailleurs si plus de 72% ont accès à l’ensemble des logiciels à distance, 22% n’ont accès qu’à une partie et que près de 6% en manquent beaucoup. Pour autant ils sont plus de 57% à estimer que « l’enseignement à distance est différent mais pas plus dur ».
Un enseignement à distance certes opérationnel mais dont les conditions sont loin d’être optimales. « Il faut aussi être conscient que les cours à distance tels que nous les délivrons maintenant sont des modalités exceptionnelles de crise. Ce n’est pas ce type de distanciel que nous pratiquons dans d’autres cadres », remarque le vice dean de Skema BS, Patrice Houdayer dont les équipes se réunissent chaque semaine afin de se « réinventer et de faire en sorte que tout soit prêt pour la rentrée, et ce, dès le mois de juillet ».
Pour autant 72 % des enseignants-chercheurs interrogés par News Tank et Adoc Mètis dans l’étude Confinement : comment les E-C découvrent la formation à distance et s’adaptent (accès libre) se disent satisfaits par les outils numériques mis à disposition par leur établissement. Un chiffre d’autant plus signifiant que les deux tiers des enseignants interrogés n’avaient jamais utilisé le distanciel. « Les outils existent, les universités en disposent, mais ils ne sont pas ou peu utilisés. Ils sont sous-investis, soit par le manque d’appétence des enseignants-chercheurs, soit encore par l’impression de ne pas pouvoir transposer les spécificités de sa propre discipline à distance, soit encore parce qu’ils n’en percevaient pas l’opportunité et la plus-value ou qu’ils se sentaient en déficit de compétence concernant leur usage », commente Hugo Gaillard, enseignant-chercheur à Le Mans Université quand le directeur général d’Audencia BS, Christophe Germain, remarque : « Nous avons progressé quatre fois plus vite qu’en période normale. Là où il existait des réticences vis à vis de l’enseignement à distance elles se sont tues. »
A distance mais pas seulement !
La semaine dernière c’est le puissant président de Sorbonne Université, Jean Chambaz, qui se disait opposé à sa généralisation. Cette semaine le doyen de la faculté de droit de l’université de Reims Champagne-Ardenne, Julien Boudon, a même lancé une pétition en ligne pour s’y opposer. Dans l’Union il argumente : « « On semble accepter, comme si cela allait de soi, qu’on enseigne à distance. Je veux rappeler que ce n’est pas du tout un équivalent de l’enseignement en présence des étudiants. J’ai trouvé très utile de pouvoir utiliser les outils numériques pendant le confinement mais il ne faudrait pas que l’État profite de cette crise sanitaire pour instaurer, l’air de rien, l’enseignement à distance pour les universités. La tentation de faire des économies de locaux et de personnel pourrait guider ce choix ».
De même un collectif d’enseignant-chercheurs publie une tribune dans Libération : Universités : contre un enseignement «100 % à distance» : « L’enseignant doit pouvoir échanger avec le public qui lui fait face. Pour le dire trivialement, il doit «se passer quelque chose» en amphithéâtre (au «théâtre») ou en salle de classe et, soyons-en certains, il se passe quelque chose. Le recours au numérique est donc un complément très utile, mais il ne sera jamais qu’un complément ». Ce à quoi Frédérique Vidal répond le 20 mai pour tenter d’éteindre ces polémiques : « Nous avons beaucoup appris de cette période en termes d’innovation pédagogique. Pour éviter des amphis bondés à la rentrée, les établissements pourront proposer qu’une partie des cours soit dématérialisée. Il y aura aussi du présentiel, c’est important de renouer le lien »,
Examens : comment éviter la triche?
De nombreux articles s’en sont émus ces dernières semaines : le passage des examens à distance serait la porte ouverte à toutes les triches : cours à portée de main, accès à Internet… Le Figaro titre ainsi Examens en ligne à l’université: quand la triche devient la norme. Car il reste difficile pour la plupart des établissements, faute d’outils idoines, de savoir si oui ou on leurs étudiants trichent une fois livrés à eux-mêmes. « Si certains veulent tricher, on ne peut pas y parer. Au fond, nous avons comme un contrat moral avec eux: ils doivent se montrer responsables car ce n’est pas dans leur intérêt de ne pas jouer le jeu», espère la vice-présidente formation de l’université de Bordeaux, Sandrine Rui.
Parce que la confiance ne suffit sans doute pas l’université Rennes 1 a décidé de recourir à un logiciel qui, via la caméra de l’ordinateur du candidat, doit permettre de surveiller l’identité de celui-ci mais aussi de dénicher les tricheurs (France Bleu Armorique). « Il faut absolument que les épreuves nous permettent de bien vérifier que l’étudiant a acquis les connaissances et les compétences qu’il doit acquérir. Cela permettra de ne pas dévaluer les diplômes de cette année », signifie Caroline Tahar, maître de conférences et directrice déléguée à la formation, à l’innovation pédagogique et au numérique à l’IGR à Rennes 1. le logiciel devrait aussi détecter les recherches internet inappropriées dans la situation, l’utilisation d’un second écran ou encore la présence d’une autre personne dans la pièce.
Mais il est aussi possible de transformer la nature même de l’examen en ligne. C’est ce que conseille l’université de Strasbourg en établissant que l’évaluation doit « évaluer plutôt le niveau de raisonnement, de maîtrise, de compétence de l’étudiant, sans perdre de vue que l’évaluation ne doit jamais être une sanction, mais plutôt la reconnaissance de l’investissement de l’étudiant dans ses études ». « J’ai changé ma perspective : plutôt que leur demander s’ils savent courir le 100 mètres, je vais vérifier qu’ils se sont bien entraînés. Donc, évaluer le travail fourni plutôt que le résultat final », explique ainsi Basile Sauvage, maître de conférences en informatique.
Comment faire découvrir son école sans les oraux ?
On le sait, les oraux ne sont pas qu’un moyen de sélectionner les candidats. Dans la plupart des écoles de management ils sont même essentiellement un moyen de découvrir une école, un campus, le travail des « admisseurs ». Au point que beaucoup de candidats en viennent à finalement choisir une école à laquelle ils n’avaient pas forcément pensé initialement, mais qui les a particulièrement séduits, une fois les oraux passés. C’est dire si les écoles de management rivalisent d’imagination pour se présenter sous les meilleurs atours à leurs candidats virtuels. NEOMA Business School propose ainsi aux candidats une visite virtuelle de chacun de ses campus (Reims, Rouen et Paris) guidée par Léo, étudiant « avatar ». Mais le réel reste primordial et des rencontres « live » ont également lieu les interlocuteurs clés de l’école, qu’il s’agisse de webinars « Programmes » et « Trajectoires professionnelles » ou encore des « insta-live » portés par les étudiants « admisseurs ».
La question du recrutement est bien évidemment encore plus prégnante quand il s’agit de recruter à l’international. ParisTech recrute ainsi chaque année une centaine d’élèves à l’international. Dans ce cadre des représentants de ses écoles se rendent traditionnellement au printemps de chaque année dans les établissements partenaires pour se présenter aux étudiants intéressés et rencontrer leurs partenaires. Covid-19 oblige, elles ont préparé cette année une campagne de promotion en ligne. Les étudiants pourront également découvrir les écoles de ParisTech et le concours international en avant-première dès le 20 mai lors d’un webinaire organisé en simultané dans tous les pays partenaires. Mais viendront-ils ? Minh-Hà Pham, vice-présidente de PSL en charge des relations internationales, s’interroge : « Certains de nos partenaires internationaux, essentiellement anglo-saxons, pourraient ne pas forcément être favorables à laisser partir leurs étudiants pendant un an, voire six mois, et ainsi ne pas toucher de frais de scolarité. Peut-être vont-ils alors préférer développer des mobilités plus courtes, pendant l’été, dès le bachelor ».