NEOMA Business School est née de la fusion à la rentrée 2013 de Rouen BS et Reims MS. Un peu plus de six mois après Frank Bostyn, son directeur général, trace un premier bilan positif tout en s’interrogeant sur ce qui fait aujourd’hui la qualité et l’attractivité d’une école de management.
Olivier Rollot : Vous êtes satisfait de votre fusion ?
Frank Bostyn : J’ai déjà réalisé une fusion à l’école de management de l’université d’Anvers où il n’y avait aucun problème lié à la distance et pourtant de vrais problèmes culturels entre les deux facultés de sciences économiques. J’ai pu constater que la proximité des cultures entre Rouen et Reims est au contraire très forte et a permis une bonne intégration. Cela fonctionne aussi parce que les deux écoles se connaissent bien pour avoir créé ensemble un campus commun en executive education à Paris dès 2009. Enfin beaucoup de travail a été fait en amont et depuis entre les managers des deux sites pour bien les intégrer.
J’ai pour ma part été particulièrement attentif à ce que les managers passent suffisamment de temps sur chaque site pour bien connaître tous ceux avec lesquels ils allaient maintenant travailler. Il faut d’abord harmoniser les modes de travail puis passer aux programmes. Le programme grande école sera strictement le même sur nos deux sites à la prochaine rentrée. Même chose pour le bachelor et le MBA. Ensuite il restera encore des synergies à trouver sur d’autres programmes mais l’essentiel aura été fait.
O. R : Le secret d’une fusion réussie c’est de prendre du temps?
F. B : Je ne vous dirai pas qu’il n’y a jamais eu de tensions mais effectivement il faut prendre le temps d’expliquer tout en expliquant bien que la fusion n’est pas un but en soi. Le projet de NEOMA Business School c’est de s’internationaliser et de former des profils avec un nouveau type de leadership fondé sur l’innovation, ce qu’on appelle le « leadership transformationnel ». C’est un discours pas forcément révolutionnaire mais je constate que peu d’écoles sont cohérentes quand il faut passer à une organisation différente pour l’appliquer.
O. R : On reproche parfois aux business schools d’être devenues trop académiques. Vous qui avez travaillé aux États-Unis comme en Europe, comment jugez-vous les écoles de management françaises ?
F. B : Aux États-Unis il y a eu une pression énorme après la Seconde Guerre mondiale pour que les business schools adoptent un plus grand sérieux académique. En France ce modèle a commencé à s’imposer très récemment avec la pression des classements internationaux et des accréditations. Le résultat c’est que nous sommes à mi-chemin et c’est très bien car le modèle américain est allé trop loin dans l’académisme. Les écoles de gestion françaises ont su ne conserver le lien qui les unit au monde économique.
O. R : Mais les écoles n’ont-elles pas trop souvent recruté des professeurs au profil académique excellent, capables de publier dans les meilleures revues, mais qui n’étaient pas forcément de grands enseignants ?
F. B : La recherche est cruciale dans une école de premier rang mais c’est très difficile de construire une école si on investit sur des professeurs qui ne font pas ou presque pas de formation. On ne peut pas se contenter de recruter des profils uniquement sur leur CV sans savoir s’ils vont s’intégrer dans un projet. Le grand défi que nous avons à relever est de bien relier recherche et formation. Nous nous appuyons par exemple sur notre chaire « Nouvelles carrières » pour développer nos formations.
Les écoles de gestion ressemblent beaucoup à des cabinets de conseil comme McKenzie. Comme eux elles ont des activités de recherche qui sont alignées avec la stratégie et utilisées dans leurs activités. Comme eux, elles ont besoin de recruter des profils ouverts à la recherche comme à l’entreprise.
O. R : Les enseignants ne sont-ils pas de plus en plus challengés par des modes d’apprentissage alternatifs, comme lnternet bien sûr mais dorénavant également les massive open online courses (MOOC), ces cours en ligne gratuits ?
F. B : Le problème de la valeur ajoutée des cours a toujours existé. Il y a bien longtemps qu’on décrit des connaissances qui sont accessibles par des livres qui créent la norme. Aujourd’hui on considère que si les étudiants connaissent l’essentiel du cours avant de venir c’est mieux. La valeur ajoutée de la salle de cours vient de l’interaction avec l’enseignant et les autres étudiants, notamment par le biais de cas pratiques.
Le professeur est un facilitateur de création de valeurs fondées sur la théorie. L’étudiant permet d’animer le débat et on apprend aussi beaucoup de ses erreurs. Dans les écoles de gestion cette façon de travailler est plutôt entrée dans les mœurs. L’objectif est d’aller vers ce que les Américains appellent l’« assurance of learning » et opposent au seul « teaching ». L’étudiant est le point de départ et il faut lui apprendre à être compétent en connaissant sa dynamique pour déterminer la pédagogie.
O. R : Intéresser les étudiants c’est plus que jamais difficile à l’heure de la génération Y ?
F. B : Il y a une certaine perte de discipline mais il faut tout simplement les intéresser si on veut les motiver. Nous, ceux qui sont nés avant l’Internet, réfléchissons de manière purement cartésienne quand les plus jeunes sont beaucoup plus capables de gérer des informations venues par des canaux multiples.
Comment apprend-on maintenant ? Par l’interaction, l’interprétation, la nécessité d’assimiler vite des masses d’informations et de trancher. Cela l’expérience nous l’apprend mais les jeunes ont également des capacités à interpréter l’information plus fortes. Malheureusement, ils manquent aussi parfois d’esprit critique. Quant à l’esprit de synthèse cela reste une force des étudiants américains quand les Européens se perdent encore souvent dans de longs débats.
O. R : Classée 39ème, le Master in Management de NEOMA Business School a perdu des places dans le dernier classement des Masters in Management du Financial Times par rapport aux classements précédents des deux écoles membres. Comment l’expliquez-vous ?
F. B : Plusieurs éléments l’expliquent, notamment le fait que le Financial Times prenne en compte NEOMA Business School comme une toute nouvelle école. Là où les autre business schools ont leurs résultats lissés sur trois ans les nôtres sont pris sur une seule année : or nous avons souffert, comme tous, d’une baisse des salaires à l’embauche des jeunes diplômés en 2009 qui nous a impacté entièrement quand les autres écoles pouvaient bénéficier d’une moyenne sur trois ans.
C’est en tout cas dommage que les business schools n’arrivent pas à se mettre d’accord pour trouver des règles communes avec les différents « classeurs ». Cela éviterait par exemple que le meilleur master en management classé par le Financial Times, à Saint-Gallen, ne compte que 50 étudiants. Si nous ne prenions en compte que les 50 meilleurs élèves de notre master grande école nous aussi nous pourrions nous classer tout en haut.
O. R : En tout cas les écoles de management françaises occupent une place de choix dans les classements. Pour autant elles sont constamment critiquées en France. Cela vous choque ?
F. B : Mais pourquoi l’État ne reconnaît-il pas l’apport des écoles de management ? Les écoles du top 10/15 font un travail remarquable et ne reçoivent pour la plupart rien de l’État. Les parents de nos étudiants payent des impôts et une deuxième fois des frais de scolarité. Je voudrais que l’État subventionne les étudiants – pas les écoles – et les respecte. On nous reproche d’être élitistes mais si certains sont exclus de nos écoles c’est parce qu’on ne nous permet de les recevoir. C’est vraiment dommage de ne pas donner l’opportunité à tous de nous rejoindre et il reste un grand réseau de compétences à faire s‘épanouir.
O. R : Les établissements d’enseignement supérieur sont appelés à rejoindre ce qu’on appelle les ComUE (communauté d’universités et d’établissements). Où en êtes-vous ?
F. B : Nous sommes prêts à travailler avec les universités de Rouen et Reims mais pas de l’une sans l’autre. L’important pour nous est de ne pas perdre notre autonomie et notre gouvernance, de ne pas être vassalisés.
O. R : Vous avez beaucoup d’accords à l’étranger et le développement de votre dimension internationale est au cœur de votre projet. Pensez-vous aller un jour plus loin en ouvrant par exemple un campus à l’étranger ?
F. B : Il y a déjà beaucoup à faire avant d’y penser. L’important est de maîtriser la réputation de l’école et la qualité des programmes partout où on les organise. Comment s’en assurer à 8000 km ? Une réputation prend très longtemps à se construire et très peu de temps à se détruire. Aujourd’hui si nous comptons 35% d’étudiants étrangers (dont 15% dans le programme grande école) c’est parce qu’ils sont séduits par notre positionnement et notre réputation même si le changement de marque a pu un temps les dérouter.
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