Un grand établissement nait à Cergy, HEC devient partenaire de l’Institut polytechnique de Paris, Paris-Saclay se recompose, PSL s’impose dans les classements, de grands groupes privés voient le jour. Quelques peu malmenée avec l’échec des Comue (communauté d’universités et d’établissements) la logique des alliances signe un retour en force en ce début 2019. Le tout notamment pour répondre à ce constat fait récemment par les responsables de Paris-Saclay : « L’histoire institutionnelle de l’enseignement supérieur français le tient à distance du modèle d’avenir d’une université humaniste, généraliste et omni-disciplinaires conduisant à l’insertion professionnelle des étudiants, une recherche d’excellence, le tout adossé à un cluster d’entreprises innovantes ». On ne saurait mieux dire…
Des « regroupements » aux universités européennes
Oubliés les PRES, décimées les Comue, l’heure est aux « regroupements » permis par l’ordonnance du 21 décembre dernier relative à « l’expérimentation de nouvelles formes de rapprochement, de regroupement ou de fusion des établissements d’enseignement supérieur et de recherche » parue fin 2018. Le MESRI a fait le choix de « permettre à chacun d’exprimer pleinement sa signature, d’affirmer sa stratégie et son identité », explique Frédérique Vidal. Parmi les universités expérimentales qui verront le jour, certaines investiront particulièrement leur place d’universités de recherche. D’autres affirmeront des priorités différentes ou formuleront leur stratégie d’une autre manière. Et la ministre d’insister : « Cette diversité est indispensable et là aussi, nous n’avons pas à choisir – et je le dis très clairement, le rôle du ministère n’est pas de jouer l’arbitre des élégances, de favoriser tel modèle aux dépens de tel autre. Ma responsabilité n’est pas de faire leur stratégie à la place des établissements. Elle est de m’assurer que cette stratégie est clairement formulée, qu’elle rassemble autour d’elles les forces et les acteurs et qu’elle prend en compte les priorités formulées par l’Etat, dans le respect de l’autonomie de chacun. »
A Cergy-Pontoise l’université et une école d’ingénieurs, l’Eisti, finalisent la création d’une « université cible » qui devrait voir le jour en septembre 2019 sous la forme d’u « grand établissement ». Mais voit encore plus loin avec une alliance européenne portée par la Comue Université Paris Seine, EUtopia, que l’Université de Ljubljana, en Slovénie, est la quatrième après l’Université de Warwick et la Vrije Universiteit Brussel (VUB). En tout une douzaine d’alliances européennes vont ainsi voir le jour dans le cadre de l’appel à propositions de la Commission européenne/Erasmus+ consacré aux universités européennes. Autour de l’Université Paris-Est Créteil, sept « jeunes universités du sud de l’Europe » se sont ainsi réunies pour fonder UNES – University for a New European Society. Avec Eucor – Le campus européen, l’université de Strasbourg a déjà créé un consortium d’universités françaises, allemandes et suisses (Bâle, Freiburg, Haute-Alsace, Karlsruhe Institut für Technologie et Strasbourg). « Plusieurs modèles sont possibles. Le nôtre est celui d’une université transfrontalière dans le cadre d’une structure juridique qui a sa personnalité propre et nous permet de construire une plateforme commune. Nous ne pouvons pas aller jusqu’à une fusion mais nous pouvons proposer des parcours intégrés, des diplômes binationaux ou ouvrir des laboratoires communs », commente le président de l’université, Michel Deneken.
Les Comue se recomposent
Début janvier 2019 les présidents des quatre universités de l’Occitanie Est (Perpignan, Montpellier, Paul-Valéry Montpellier 3 et Nîmes) ont dit leur volonté de sortir de la Comue Languedoc-Roussillon afin de « travailler à un rapprochement de leurs établissements dans un cadre moins rigide » et de s’écarter d’un modèle des Comue « largement obsolète à l’échelle du pays tout entier ». La gigantesque et ingouvernable Comue Université Bretagne Loire est au bord de la dissolution et l’ancien président de la Cdefi, Marc Renner, va tenter de la recomposer dans un périmètre restreint après le départ des universités rennaises. L’Université Bourgogne Franche Comté a elle aussi un administrateur provisoire après la démission de son conseil d’administration. A Paris, après le temps du divorce, vient le temps des familles recomposées. Les dirigeants des établissements membres de l’Université Paris-Saclay se sont ainsi donné pour objectif le 19 février d’avoir construit, au 1er janvier 2020, leur université. Celle-ci portera les accréditations et délivrera l’ensemble des diplômes correspondant aux grades de licence, master, doctorat et habilitation à diriger des recherches. Les établissements-composantes transfèreront leur compétence sur les diplômes nationaux de licence, master et doctorat et habilitation à diriger des recherches. Pour « assurer la cohérence et l’évolution concertée de l’offre de formation », un avis conforme de l’Université sera demandé sur toutes les demandes de grades LM (licence-master) chaque établissement conservant sa personnalité morale pendant une « phase d’expérimentation » de dix ans.
Même dispositions du côté de l’Ecole polytechnique et de son Institut polytechnique de Paris qui agrège quatre Grandes écoles d’ingénieurs autour d’elle avec HEC comme partenaire. « Les relations avec HEC sont fortes depuis longtemps avec chaque année 200 étudiants en commun et une première chaire en commun depuis décembre dernier », note Eric Labaye, président de l’Ecole polytechnique et de l’Institut polytechnique de Paris quand le directeur général d’HEC, Peter Todd, explique qu’il « n’a pas fallu longtemps pour que HEC se projette dans un accord avec New Uni (l’IP Paris) dès le moment où deux pôles se sont constitués à Saclay ».
La force des groupes nationaux
Si les Comue comme les regroupements sont avant tout locaux, des regroupements nationaux ont vu le jour et, au premier chef, l’IMT (Institut Mines Télécom) et ses treize écoles d’ingénieur et de management. « Il est tout à fait possible pour un établissement de contribuer localement tout en ayant une stratégie nationale. On peut être très proche de sa famille tout en vivant en très bonne intelligence avec ses voisins ! Un site se porte mieux si un établissement de l’IMT en fait partie et lui apporte tout son réseau », commente son directeur général, Philippe Jamet, qui a été souvent en butte aux critiques des tenants du « tout territorial ».
Une question qu’on ne se pose pas dans les groupes privés et, au premier chef, l’Inseec BS. « Crea Genève a produit une formation en marketing, Learning 7, que nous utilisons. Nous avons également plusieurs étudiants qui suivent aujourd’hui un spécialisation en ressources humaines à l’Esce. Il existe une vraie fluidité entre les écoles du groupe sans qu’il y ait une véritable concurrence entre elles », commente la directrice de l’une de ses trois grandes écoles de management, l’EBS, Lamia Rouai. « Nous créons une nouvelle plateforme d’enseignement supérieur multidisciplinaire mais ce n’est pas un conglomérat d’écoles. Il y a derrière cette stratégie un projet pédagogique avec, par exemple, des programmes passerelles, des doubles cursus, des actions communes. Les destins de nos 16 écoles sont liés, chacune garde sa marque mais nous défendons des valeurs globales que sont la pluridisciplinarité, l’harmonie, l’employabilité… », précisait ainsi en 2019 dans un numéro spécial de l’Essentiel du Sup réalisé avec la Fnege (« Les 10 grands défis de l’enseignement et de la recherche en gestion ») la présidente d’Inseec U. Catherine Lespine. Aujourd’hui Inseec U. vaut 800 millions d’euros…