Jean-Marc Moullet, inspecteur général de l’éducation nationale, du sport et de la recherche et Adeline André, inspectrice pédagogique régionale, docteure en sciences de l’évolution et titulaire
d’un DU de neuro-éducation, entourent Mireille Basso, proviseure du lycée Saint-Louis et animatrice de la rencontre, sous les yeux de Joël Bianco, président de l’APLCGPE et proviseur du lycée Louis-Le-Grand
Dans le cadre du congrès de l’APLCGPE (Association des proviseurs de lycées à classes préparatoires aux grandes écoles), qui se tenait les 17 et 18 janvier au lycée Louis-le-Grand à Paris, une conférence sur l’intelligence artificielle était organisée. Objectif : mieux comprendre les enjeux, les risques et les potentialités pédagogiques de cette technologie.
ChatGPT, Perplexity, Midjourney, Gamma, Synthesia… Depuis plus de deux ans, ces intelligences artificielles se sont peu à peu imposé dans nos vies professionnelles et personnelles. Dans le monde de l’éducation, comme dans bien d’autres secteurs, elles bouleversent les pratiques. D’où l’importance de s’acculturer sur le sujet et d’en débattre. C’est tout l’objectif de l’APLCGPE qui, dans le cadre de son congrès annuel, a pris l’initiative d’organiser une conférence portant sur « L’IA en classes préparatoires : enjeux pédagogiques et éducatifs, enjeux de pilotage».
Les termes du débat
Avant les interventions de Jean-Marc Moullet, inspecteur général de l’éducation nationale, du sport et de la recherche et d’Adeline André, inspectrice pédagogique régionale, docteure en sciences de l’évolution et titulaire d’un DU de neuro-éducation, Mireille Basso, proviseure du lycée Saint-Louis et animatrice de la rencontre, a posé les termes du débat. « L’IA est partout. Elle transforme le rôle du professeur et nécessite de repenser nos pratiques pédagogiques. Elle pose également un certain nombre de défis. Par exemple : comment s’assurer que l’IA ne se substitue pas à l’effort et à la réflexion ? D’où l’importance de débattre des enjeux de pilotage par les équipes pédagogiques et de réfléchir aux usages responsables de l’IA », a-t-telle exposé avant de lire une introduction à la conférence rédigée par ChatGPT. De quoi lui inspirer ce commentaire : « L’IA n’est pas qu’un outil, c’est une révolution qui transforme nos façons d’apprendre ».
Ce n’est pas Jean-Marc Moullet qui dirait le contraire. La preuve en quelques chiffres : « L’IA s’est répandue très vite dans la population. Ainsi, ChatGPT a touché un million d’utilisateurs en cinq jours. A titre de comparaison, il en a fallu 75 pour qu’Instagram atteigne ce chiffre. Autre donnée : en 1985, on recensait moins de 100 articles sur l’IA contre 60 000 en 2021 », avance-t-il. La révolution est donc en marche et il y a urgence à en comprendre la puissance pour mieux anticiper les risques. « L’esprit critique est essentiel quand on utilise cet outil. Il faut former les étudiants à son utilisation, car tous auront à s’en servir dans leur vie professionnelle, et les professeurs. L’IA enrichit les pratiques pédagogiques, ça ne les change pas », résume Jean-Marc Moullet.
Risques et potentialités
Contrairement à de nombreux pays ou régions du monde, l’Union européenne a légiféré sur l’utilisation de l’IA en classifiant ces différents systèmes en fonction de leur niveau de risques pour la diffusion de données personnelles, la protection des droits fondamentaux, le RGPD… Ça, c’est pour le cadre global. Adeline André s’est attachée dans son exposé à établir la pertinence de l’utilisation de l’IA dans le domaine éducatif, en fonction de ce qui est demandé aux élèves, mais aussi les écueils à éviter. « Il y un enjeu sur les travaux menés en classe et hors de la classe. Ainsi pour un apprenant débutant, si le professeur demande un travail personnel, l’IA n’est pas pertinente. Cela revient à déléguer à la machine une tâche à effectuer. Elle ne l’est pas non plus si l’élève ne procède à aucune vérification. En revanche, elle peut l’être quand elle facilite la compréhension, la mémorisation, la structuration… », décrit-elle. Ainsi, l’intelligence artificielle peut aider à définir une problématique dans le cadre d’un TIPE (travaux d’initiative personnelle encadrés), renforcer les apprentissages en corrigeant un texte traduit par un élève et lui suggérer des améliorations ou encore construire un quiz à partir d’un cours afin d’aider un élève à réviser, etc.
Des potentialités qui ne doivent pas faire oublier les points de vigilance que nous rappelle Adeline André : « Les défis de l’IA dans l’éducation sont de prévenir la dépendance, d’assurer l’équité (certains ont accès aux versions payantes, d’autres pas) et la nécessité de maintenir l’interaction entre humains ». Mais là encore, l’IA peut être un atout pour les professeurs et l’encadrement en général. Un certain nombre de tâches peu porteuses de sens peuvent ainsi lui être déléguées afin de consacrer plus de temps à aider des élèves en difficulté par exemple : rédaction et reformulation assistées, synthèse et analyse documentaire, traitement des données, etc. « Il y un cadre commun à créer entre collègues, en sachant que c’est en utilisant l’IA qu’on apprend à l’utiliser », résume la chercheuse.
Des outils incontournables
Dans la salle, les questions et remarques fusent. Un proviseur d’un lycée toulousain témoigne ainsi de la difficulté rencontrée par les professeurs à évaluer les travaux réalisés par les élèves hors de la classe. Jean-Marc Moullet commente : « Le professeur doit passer un contrat avec ses élèves quant à l’usage de l’IA et mener une réflexion en amont sur sa pertinence. Est-ce que l’IA apporte une plus-value en termes d’apprentissage ? Si oui, il faut par exemple faire porter l’évaluation sur la façon dont l’élève s’en sert ». Adeline André abonde : « Cela peut être intéressant d’organiser une séance de révision en travaillant avec une IA chargée de lister des questions, et voir comment les élèves interagissent, jugent les questions proposées, etc. ».
En résumé, selon les experts, la question aujourd’hui, ce n’est plus d’utiliser l’IA ou pas, c’est d’armer les équipes pédagogiques pour s’en servir avec pertinence en se basant sur leur connaissance de la didactique. « Les élèves l’utilisent déjà beaucoup. Les professeurs de classes prépas doivent évoluer avec ces nouveaux outils… au risque d’être rapidement dépassés », insiste Mireille Basso. Et Joël Bianco, président de l’APLCGPE, de conclure : « Nous ne sommes pas dans le gadget. Il est indispensable que nous nous préoccupions de l’IA et que nous travaillions avec les professeurs sur ce sujet à l’aune des perspectives débattues aujourd’hui ».