POLITIQUE DE L'ENSEIGNEMENT SUPERIEUR, UNIVERSITES

L’université de Limoges crée sa Comue : entretien avec Hélène Pauliat, sa présidente

Présidente de l’université de Limoges depuis 2012, Hélène Pauliat est en train d’entreprendre un vaste mouvement de rapprochement avec d’autres universités dans le cadre de la mise en place d’une Comue (communauté d’universités et d’établissements). Elle revient avec nous sur cette création comme sur les spécificités de son université.

Hélène Hélène (photo CPU)
Hélène Hélène (photo CPU)

Olivier Rollot : 2014 est l’année des nouveaux regroupements d’universités. Après avoir appartenu à des PRES (Pôles de recherche et d’enseignement supérieur), les universités vont passer sous le régime des Comue (Communautés d’universités et d’établissements). Sous quels auspices les choses s’annoncent-elles à l’université de Limoges ?

Hélène Pauliat: A l’université de Limoges, avec nos partenaires, nous avons décidé de travailler à un regroupement des universités et d’établissements plus élargi que le précédent PRES. Nous avons choisi d’étendre le périmètre de notre Comue à deux ex-PRES : celui que nous constituions avec les universités de La Rochelle et de Poitiers et celui qui était composé par les universités d’Orléans et Tours.

O. R : Pourriez-vous nous en dire davantage sur les motivations pour un tel élargissement ? Devrait-on y voir votre volonté affichée de concourir les prochaines Initiatives d’excellence (Idex).

H. P : Nous n’avons pas voulu refaire l’erreur qui avait parfois prévalu lors de la création des PRES, où il était question parfois de créer des PRES juste parce qu’il fallait le faire. Nous avons décidé de prendre  le problème dans l’autres sens, en nous  demandant d’abord ce que nous pouvions faire ensemble ; et par exemple en nous interrogeant sur les meilleures conditions à réunir pour concourir efficacement à un Idex. Une telle opération n’aurait pas été pertinente les uns indépendamment des autres ; ce n’est qu’ensuite que nous sommes parvenus à définir une structure.

O. R : Aurait-on pu imaginer un autre groupement ?

H. P : Oui, un autre choix aurait été possible. Nous aurions pu travailler également avec l’université d’Auvergne, avec laquelle nous sommes déjà impliqués dans une SATT (société d’accélération du transfert de technologie)  commune. Cela ne s’est pas fait parce que l’université d’Auvergne a plutôt choisi de s’engager dans une logique de fusion (Clermont I et II). Mais il faut dire que nous avions surtout identifié d’autres apports très importants du côté de nos partenaires actuels. Avec Poitiers et Orléans, nous allons pouvoir construire le premier pôle français de recherche universitaire dans le domaine des matériaux, c’est une raison très motivante.

O. R : Vous en serez donc à une Comue regroupant cinq universités pluridisciplinaires, n’y a-t-il pas des risques de concurrence ?

H. P : Parvenir à une Comue est une démarche longue, réfléchie, où chacun souhaite  apporter  sa contribution. Nous ferons le nécessaire pour coexister dans une logique de complémentarité et nous travaillerons à éviter de nous concurrencer inutilement. Notre objectif est d’exploiter du mieux possible toute la surface que les Comue vont nous dédier, afin d’être à même de valoriser des projets communs et ainsi de répondre efficacement aux appels d’offre européens.

O. R : Revenons à l’Idex, pourrait-on déjà avoir une idée des sujets sur lesquels vous comptez porter vos candidatures ?

H. P : Nous travaillons à trois grandes thématiques de recherche : les composants et matériaux, la santé, et les sciences humaines dans un axe patrimoine et numérique. Nous avons jusqu’à décembre pour déposer des dossiers, dans lesquels nous intègrerons également des formations et une partie dédiée à l’international.

O. R : Une Comue sur trois régions (Centre, Limousin, Poitou-Charentes) est évidemment large et même unique en France, ce qui n’ira pas sans engager diverses contraintes en termes de gestion : comment avez-vous abordé cette question ?

H. P : Nous avons associé très tôt les présidents des trois régions pour les rassurer, et surtout pour leur confirmer que les Comue n’avaient en aucun cas pour objet de faire disparaître les universités – ce qui aurait pu être une crainte légitime -. Nous leur avons expliqué qu’à travers ces nouveaux regroupements et nous rapprochant ainsi, nous cherchions bien au contraire à créer de réelles  plus-values. Le message a été reçu.

O. R : Et de l’autre côté, diriez-vous que tout le monde se sent aujourd’hui concerné, notamment les personnels ?

H. P : Les PRES avaient souffert de ne pas avoir été suffisamment, ou parfois même pas du tout appropriés par tous. Pour cette fois, nous tentons d’associer le plus de personnes possibles pour que la Comue soit comprise par tous et qu’elle ne soit pas simplement considérée comme une structure supplémentaire. Aujourd’hui, il n’y a pas d’opposition de fait, mais parfois des interrogations et un sentiment d’inquiétude sur des mouvements éventuels, par exemples des déménagements, ce ne sera absolument pas le cas car nous ne sommes pas dans une logique de fusion.

O. R : Cela dit, ces dernières semaines, une opposition s’est manifestée dans beaucoup d’universités notamment sur la question des Comue. Était-il vraiment nécessaire de créer de nouvelles structures ?

H. P : C’est vrai que certains ont manifesté leur peur d’aller à marche forcée vers la constitution de « mastodontes ». Je comprends parfaitement ces interrogations. Personnellement, je n’ai pas une vision idyllique des Comue, mais il fallait y parvenir au moins pour concourir à l’Idex, sinon notre gouvernance aurait été jugée  insuffisante.

Maintenant il va bien falloir prendre garde à ne pas commettre la même erreur que dans des intercommunalités qui ont généré des coûts supplémentaires avec des compétences mal définies. C’est pour cela que j’espère que nos statuts seront assez précis et que je préfère prendre du temps pour les définir. C’est justement la rapidité avec laquelle nous devons adopter des statuts qui provoque aujourd’hui des crispations.

O. R : Avez-vous déjà décidé où sera fixé le siège de cette Comue ?

H. P : C’est une question que nous n’avons pas encore abordée, la priorité à ce jour étant à la définition du projet. Néanmoins, compte tenu de la situation géographique de nos implantations, il est fort probable que le choix se porte sur Poitiers ou Tours en position médiane par rapport à nos différents sites, cela permettra de limiter les déplacements. Mais de toute façon, les réunions se tiendront dans l’ensemble des universités membres.

O. R : Pourrait-on savoir où vous en êtes avec les délais du 23 juillet 2014, fixés pour finaliser les statuts de la Comue ?

H. P : Nous allons essayer d’être prêts le 23 juillet, avec au moins déjà une mouture  détaillée.

O. R : Vous êtes responsable de la commission des moyens et des personnels au sein de la Conférence des présidents d’université (CPU). Avez-vous le sentiment d’être collectivement entendus par le gouvernement sur ces sujets ?

H. P : Nous discutons beaucoup sur ces questions avec les différentes directions, la DGESIP, la DGRH. Bien évidemment les choses ne sont pas encore tout à fait claires en particulier quand on considère le fonctionnement des futures Comue. Par exemple faudra-t-il des transferts de compétences obligatoires ? Les Comue auront-elles la possibilité de recruter des personnels ? Peuvent-elles gérer une école supérieure du professorat et de l’éducation (Espé) ? Etc.

O. R : Avec les Comue, le gouvernement souhaite également diminuer le nombre d’interlocuteurs.

H. P : Le secrétariat d’État à l’Enseignement supérieur et à la Recherche, principalement la DGESIP,  dit ne pas être capable de gérer plus de 30 dossiers tous les cinq ans quand sont renégociés les contrats de site. C’est un peu le même argument de « taille critique » qu’on entend aujourd’hui pour les régions. Maintenant qu’est-ce que va vraiment nous apporter une structure de 80 000 étudiants ?

O. R : Il est assez rare aujourd’hui d’évoquer les universités sans parler de leurs finances dégradées. Qu’en est-t-il de l’université de Limoges ?

H. P : Lors du passage à l’autonomie, nous avons eu, pendant un temps, des finances en déficit, du fait de l’effet mécanique dû au rattachement de charges à l’exercice précédent (certification des commissaires aux comptes). Cette période est passée. Aujourd’hui nous sommes à l’équilibre, mais sans plus, ce qui laisse quelques craintes Je m’inquiète par exemple de ne pas avoir toutes les marges nécessaires pour réaliser les travaux de maintenance des bâtiments. La consigne officielle nous invite à jouer d’ajustements pour rester dans notre budget, mais il est difficile de recruter des personnels qui ne doivent pas nous coûter cher sans devoir baisser nos exigences qualitatives.

Bien évidemment, nous sommes conscients de l’importance de la crise budgétaire que traverse le pays, ce qui nous gêne ce sont les décisions qui s’imposent à nous sans que nous y soyons associés. Par exemple, récemment il a été décidé de revaloriser les catégories B et C – ce qui est une très bonne décision – en revanche, dans nos budgets, nous n’avons pas reçu les sommes afférentes. Pour nous, ce sont 200 000 € supplémentaires que nous devons aller chercher dans nos réserves. Voilà le genre de décisions qui font que nous sommes  constamment sur la corde raide.

O. R : L’université de Limoges est une université de proximité pluridisciplinaire. On imagine que vos 14 000 étudiants viennent avant tout de la région Limousin?

H. P : Oui mais avec néanmoins une importante proportion – plus de 30% – qui vient d’autres académies et départements – Indre, Dordogne, etc.. Nous recevons également 2000 étudiants étrangers, essentiellement en masters et doctorats.

O. R : Quelles spécialités de l’université de Limoges vous paraissent les plus en vue ou les plus emblématiques ?

H. P : Avec la filière des matériaux, nous bénéficions d’une reconnaissance internationale très en vue. Nous avons des laboratoires particulièrement renommés en santé. Et nous avons des « niches » qui font souvent parler de nous. Par exemple notre filière Droit et économie du sport, qui permet à ces athlètes de haut niveau de se reconvertir, et qui a diplômé par exemple Zinedine Zidane récemment.

O. R : Quel est lien de l’université de Limoges avec le territoire ?

H. P : Nous sommes présents sur différents sites au sein du territoire, à Brive, Tulle, Guéret, Égletons, notamment. Nous possédons deux écoles d’ingénieurs : l’Ensil, qui est une école interne à l’université, et l’Ensci spécialisée dans la céramique qui y est rattachée. Notre IUT est particulièrement développé. Le tout, je pense, dans une bonne mutualisation des moyens que favorise notre pluridisciplinarité.

O. R : Quels autre atouts a votre université, notamment à destination des étudiants ?

H. P : Nous misons beaucoup sur le suivi des étudiants. Nous travaillons à leur accompagnement vers l’emploi avec des rencontres régulières que nous organisons entre eux et les entreprises. La création d’un institut d’administration des entreprises (IAE) en 2006 a encore renforcé notre envie de diffuser une culture entrepreneuriale à toute l’université. Depuis maintenant dix ans, nous proposons aux étudiants de s’impliquer dans une logique de création d’entreprises notamment avec l’opération Campus Entrepreneurs.

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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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