C’est une question qui se pose depuis 30 ans en France et que vient de remettre au gout du jour le rapport remis à Patrick Hetzel et Marc Ferracci, ministre délégué chargé de l’Industrie, pour mieux valoriser le doctorat. Sous le titre Recommandations pour la reconnaissance du doctorat dans les entreprises et la société, Sylvie Pommier, ancienne présidente du Réseau national des collèges doctoraux, et Xavier Lazarus, directeur associé du fonds d’investissement spécialisé dans la Tech, Elaia, y mettent notamment en lumière le retard de la France, en comparaison avec ses partenaires internationaux, en matière d’insertion professionnelle des docteurs.
En France, les docteurs ne représentent que 1% de la population des 25-34 ans, un chiffre inférieur à la moyenne de l’OCDE (1,3%) et bien en deçà de la Suisse (3%) ou des États-Unis (2%). Leur présence dans le secteur privé reste également limitée, avec seulement 11% des chercheurs en entreprise, comparé aux ingénieurs qui constituent 56% de cette population. Une situation qui appelle selon les auteurs à « un changement culturel, visant à valoriser davantage, au-delà du monde académique, le doctorat en France, grâce à des actions coordonnées sur les aspects structurels, la formation et la perception des docteurs par les acteurs économiques ».
De même l’ANRT (Association nationale de la recherche et de la technologie) appelle à la mise en œuvre d’un Grand plan national pour le doctorat.
Un peu d’histoire. Depuis ses origines médiévales, le doctorat est passé par plusieurs mutations. Le modèle, dit « Humboldtien », répondant à un « idéal de création de connaissances pour le bien public », a émergé au début du 19ème siècle, avec la création du PhD à l’Université de Berlin. Ce modèle a ensuite diffusé aux États-Unis et, plus tard, en Grande-Bretagne. C’est seulement au cours du 20ème siècle, que ce modèle s’est progressivement imposé dans les pays anglo-saxons, puis dans l’Europe occidentale. S’il a également été adopté à la fin du 19ème siècle en France, c’est avec des différences importantes selon les disciplines, l’unification n’aboutissant qu’en 1984 avec la Loi Savary. « Toute la difficulté de faire émerger le doctorat en France date du XVIème siècle quand l’université a commencé à être perçue comme un contre-pouvoir. En 1571 a lieu la création par Charles IX de la première École d’hydrographie à Marseille. Cette création fait de cette école la plus vieille école supérieure de France après le Collège de Francs. Ensuite Louis XVI fonde une école de la botanique, Napoléon Ier toute une kyrielle d’écoles et la IIIème République le CNRS en 1938. Jamais le pouvoir n’interagit avec l’université comme il le souhaiterait et préfère créer des Grandes écoles, notamment d’ingénieurs, dont les directeurs sont nommés par le gouvernement et non pas élus », analyse Clarisse Angelier, déléguée générale de l’ANRT.
Dans son rapport l’ANRT rappelle que « la question de la reconnaissance du doctorat renvoie à la perception de la science et de l’Enseignement supérieur par la société. Le diplôme le plus élevé n’est pas porté par la société française qui doute de la recherche scientifique. A quoi s’ajoute un positionnement historique des grandes écoles au sein de tous les secteurs socio-économiques, alors que les universités ont privilégié une posture plus introvertie au service d’une recherche fondamentale pure ». Résultat : peu de décideurs sont docteurs. Selon l’ANRT, le gouvernement Attal comptait avec 5 docteurs parmi ses 45 ministres ou secrétaires d’État, soit 11%. Les entreprises françaises sont également en retrait, au sein du CAC 40 les présidents (ou PDG) sont 6 à détenir un titre de docteur, soit 15%, et parmi les 18 entreprises internationales qui recrutent le plus de docteurs on ne compte pas de groupe français. Or en promouvant la thèse pour passer, comme le souhaitait Sylvie Retailleau, de 13% à 25% de jeunes ingénieurs poursuivant en formation doctorale, on « stimulerait le cercle vertueux entre les grandes écoles et les universités qui ont vocation à travailler ensemble ».
Encore trop peu de docteurs parmi les chercheurs. Entre les années 2009 et 2019, les effectifs de chercheurs en France ont progressé de 34% avec un taux de croissance annuel des effectifs sur 10 ans de 3%. Bien au-dessus des 0,4% au Japon et même des 2,4% des Etats-Unis mais bien loin des 6,2% chinois, 6,6% suisses et même 7,6% aux Pays-Bas. Une augmentation qui a principalement concerné le secteur de la R&D en entreprise. Pour autant seulement 11% des chercheurs en entreprise sont aujourd’hui docteurs. L’ANRT indique ainsi dans son rapport que, sur 10 ans entre 2011 et 2020, si le nombre de docteurs a crû de 43% en Chine, de 19% en Inde et de près 7% aux Etats-Unis, il a diminué de 17% en France.
En effet, le doctorat « souffre encore d’une trop faible valorisation sur le marché du travail, en particulier comparativement au diplôme d’ingénieur seul, même s’il y a eu des améliorations » souligne le rapport remis aux deux ministres. Des transformations encore relativement « récentes » vis-à-vis de l’échelle de temps des carrières professionnelles qui peuvent « expliquer en partie la persistance d’une vision du doctorat comme un diplôme servant d’abord à renouveler les générations d’universitaires, tandis que le diplôme d’ingénieur servirait d’abord à répondre aux besoins de formations des cadres de l’industrie ». Des transformations que Clarisse Angelier date de 2004 avec toutes les conséquences du mouvement Sauvons la recherche qui a donné naissance aux Instituts Carnot, IRT, pôle de recherche et maintenant aux agences de programme : « On peut affirmer que nous avançons dans la bonne direction mais encore faut-il que les entreprises soient conscientes des compétences particulières que leur amènent les docteurs ».
Une timide hausse en 2023. Selon le RERS 2024, le nombre de docteurs diplômés a augmenté de 9,6% en 2023 à 15 200, soit le plus haut niveau depuis la mise en place de l’enquête en 2009 mais qui résulte en partie d’un effet de rattrapage des conséquences de la crise sanitaire.
En tout les 289 écoles doctorales accréditées par le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche accueillaient 69 600 doctorants à la rentrée 2023, soit une diminution de 1,5% par rapport à 2022. Le nombre d’inscrits en première année est quant à lui de 16 400, en hausse de 4,6%. Cette évolution s’observe partout sauf en « sciences humaines et sociales ». Elle est particulièrement marquée en « chimie et sciences des matériaux » (+ 17%), en « sciences agronomiques et écologiques » (+ 14,8%), ainsi qu’en « sciences de la Terre et de l’Univers » (+ 13,7%). Le nombre de premières inscriptions en « sciences humaines et sociales » recule de 2,2% par rapport à l’année précédente (- 5,5% en 2022).
Par ailleurs 79,2% des doctorants en première année bénéficient d’un financement dédié pour leurs travaux de recherche, en augmentation de 0,6 point par rapport à ceux de la rentrée 2022. La situation financière des doctorants demeure cependant très différente selon le domaine scientifique : les doctorants en « sciences exactes et leurs applications » ainsi qu’en « sciences du vivant » sont très largement financés (respectivement 97,1% et 85,3%), contre 50% des doctorants en « sciences humaines et sociales ». En tout l’ANRT gère ainsi chaque année entre 2 000 et 2 200 dossiers de Cifre dont le salaire minimal par an brut annuel est de 25 200€ et atteindra 27 600€ en 2026. « A l’issue de leur Cifre les trois quarts de nos docteurs travaillent dans les entreprises et à 75% en recherche et développement. Grâce à eux de nombreuses petite entreprises ont l’occasion de faire de la recherche. Après c’est parfois difficile de passer à la phase industrielle, notamment si elles n’ont pas de chercheurs dans leurs équipes », spécifie Clarisse Angelier.
Le taux de poursuite en doctorat des ingénieurs est proche de celui des titulaires d’un master, et représente environ 6% des 46 000 ingénieurs diplômés chaque année, soit près de 2 800 nouveaux ingénieurs-doctorants par an. En 2022-2023, selon les statistiques du Système d’information et études statistiques (SIES), 11,6% des doctorants en 1ère année sont titulaires d’un diplôme d’ingénieur français, soit 1 729 ingénieurs-doctorants. Ce qui implique qu’un bon tiers des ingénieurs qui poursuivent en doctorat le font à l’étranger alors que, par ailleurs environ 35 % des inscrits en doctorat en France sont des étudiants étrangers.
Ce que recommande le rapport ministériel. Parmi leurs recommandations, Sylvie Pommier et Xavier Lazarus proposent notamment de créer un « Indice d’intensité doctorale » permettant à une organisation de « valoriser la présence de doctorants et de docteurs, parmi ses personnels cadres, parmi ses cadres dirigeants et dans son conseil d’administration ».
Autre mesure phare : la création d’une plateforme nationale du doctorat et de l’emploi des docteurs comparable à ce qui existe, par exemple, en Allemagne.
Beaucoup plus impactant, ils proposent d’engager une réflexion avec tous les acteurs concernés sur le crédit d’impôt recherche (CIR), pour reconnaître, à travers les critères du CIR, le doctorat comme un diplôme certifiant l’aptitude des personnels à mener des travaux de recherche et apportant ainsi des garanties supplémentaires sur la qualité de travaux de recherche présentés au CIR : « Cela pourrait par exemple prendre la forme d’une procédure simplifiée d’expertise des travaux de recherche présentés au CIR lorsque ces travaux sont dirigés par une personne titulaire du diplôme de doctorat ».
Les ministres ont notamment retenu les mesures suivantes :
- valoriser le doctorat en proposant une Journée européenne du doctorat permettant de mettre en avant les parcours d’excellence, les réussites et les opportunités de formation dans tous les établissements d’enseignement supérieur et de recherche européen ;
- améliorer le lien entre la formation doctorale et l’emploi : en créant une plateforme nationale dédiée au doctorat et à l’emploi des docteurs, en ajustant le cadre de la formation doctorale pour favoriser les relations avec les secteurs économiques et en associant plus efficacement les représentants des secteurs d’emploi aux collèges doctoraux,
- approfondir les liens entre les formations d’ingénieur et la recherche : en encourageant les parcours pré-doctoraux pour les étudiants en ingénierie et en facilitant leur intégration dans l’écosystème national de recherche.
« Aujourd’hui les entreprises considèrent qu’elles doivent rétribuer un ingénieur docteur comme un ingénieur avec trois ans d’expérience. C’est bien mais cela ne reconnait pas l’apport du doctorat. C’est un peu comme si vous embauchiez vos ingénieurs au prix d’un titulaire d’une licence avec trois ans d’expérience », stigmatise Clarisse Angelier. Un sujet sur lequel les experts missionnés par le MESR se sont prudemment abstenus de se prononcer…
- Lire aussi le rapport de l’Igésr Le doctorat en France : du choix à la poursuite de carrière (2021) et celui du Réseau national des collèges doctoraux Le doctorat en France. Regards croisés des doctorants et de leurs encadrants (2023)