Professeur de philosophie et président de l’Université Paris Nanterre depuis 2012, Jean-François Balaudé (@JFBalaude) revient avec nous sur les réformes en cours (sélection en master, création d’écoles universitaires de recherche) tout en s’interrogeant sur le rôle que joue le Commissariat général à l’investissement.
Olivier Rollot : Les effectifs universitaires augmentent d’année en année. Avez-vous déjà une idée de leur évolution pour la prochaine rentrée en première année de licence dans votre université ?
Jean-François Balaudé : Non pas encore mais, dans le cas de Paris Nanterre, les effectifs globaux sont stabilisés depuis 3 ans maintenant aux alentours de 34 000 étudiants. J’observe d’ailleurs que les effectifs de la plupart des grandes universités franciliennes sont dans cette même tendance. Ce sont des universités de plus petite taille qui voient aujourd’hui leurs effectifs grimper.
O. R : La question de l’échec en première année de licence reste importante. Que faites-vous pour y remédier ?
J-F. B : Nos licences sont de plus en plus personnalisées avec la possibilité en première année de bénéficier d’accompagnement et de tutorat. Des ateliers de langue française sont proposés, ainsi que des enseignements de culture générale dans le cadre de ce que nous appelons des « Grands repères » (en culture, histoire, droit, philosophie, etc.). Résultat : depuis 2 ans nous avons constaté une progression de 4 à 5% du nombre de passage directement en deuxième année de licence.
A moyen terme, nous réfléchissons à la création de sortes d’années propédeutiques pour former nos étudiants au travail universitaire. Dans le cadre des « Nouveaux cursus » auxquels nous nous préparons à répondre, nous pourrons créer des parcours à la fois pour les plus fragiles et pour ceux qui en demandent plus.
O. R : De de plus en plus d’étudiants demandent ces parcours « enrichis » ?
J-F. B : Il n’est pas question de déléguer l’excellence aux grandes écoles et aux prépas. Nous recevons beaucoup d’étudiants qui auraient pu entrer en prépa et qui trouvent chez nous un enseignement équivalent sans le stress des concours.
O. R : La réforme de la sélection en master vient d’entrer en vigueur. C’est une bonne réforme ?
J-F. B : Dans notre université en tout cas elle fait l’objet d’un large consensus, à l’exception de quelques étudiants qui ont tenté tardivement de mobiliser contre elle sans y parvenir. Nous y avons travaillé très en amont et il y a assez de places en master pour tous nos étudiants. En fait, cette réforme va surtout avoir des effets immédiats sur les masters en psychologie, le droit restant pour l’instant en dehors. Là où nous sommes encore dans l’inconnu, c’est en ce qui concerne la manière dont le dialogue s’établira avec le rectorat pour recevoir les étudiants de licence sans affectation en master. En théorie l’essentiel des demandes devrait être traité avant la pause estivale, mais cela se fera sans doute plutôt fin août.
O. R : Vous avez résolu la question de l’accueil des étudiants étrangers ? On sait qu’un temps vous avez hésité à les recevoir cette année.
J-F. B : Nous avions imaginé une parenthèse et certains ont cru que nous ne voulions plus recruter d’étudiants étrangers. Un vaste malentendu. Evidemment oui, nous souhaitons recevoir des étudiants étrangers non Européens ! Toute la question est d’organiser leur procédure d’accès en cohérence avec celle des étudiants français. Il serait plus efficace d’intégrer toutes les candidatures dans un outil commun, sinon le risque est que soient de fait défavorisés les étudiants étrangers.
O. R : Un an avant l’anniversaire de Mai 68, où elle a joué un rôle central, comment définiriez-vous l’identité de l’université Paris-Nanterre ?
J-F. B : C’est un sujet que nous avons beaucoup évoqué lors des 50 ans de l’université, en 2014, puis quand nous avons changé de nom pour devenir l’Université Paris-Nanterre en 2016. Nous nous sommes recentrés sur « Paris » et « Nanterre » pour revendiquer notre identité d’une université de Nanterre qui a été extrêmement engagée et a contribué à faire évoluer la société, et qui prétend continuer à le faire.
Notre potentiel de recherche et d’enseignement est considérable puisque nous sommes la seule université à former à l’ensemble des disciplines des sciences humaines et sociales en Ile-de-France. Nous sommes ainsi un acteur de la métropole du Grand Paris dont la responsabilité sociale, en tant qu’université et plus encore en tant qu’université SHS, est forcément importante, d’autant plus dans le cadre des mutations que le territoire connaît.
O. R : Comment l’université Paris Nanterre s’implique-t-elle ?
J-F. B : Nous sommes impliqués dans l’enseignement aux jeunes en prison comme des jeunes réfugiés syriens par exemple. Nous aidons nos diplômés à monter notamment des entreprises à visée sociale, dans le cadre de notre incubateur PEPITE. Beaucoup de nos UMR (unités mixtes de recherche) mènent des recherches de haute qualité sur le tissu social et nous échangeons avec des universités étrangères pour développer cette notion d’engagement social des universités. C’est ainsi que nous faisons évoluer et préservons à la fois « l’esprit de Nanterre » !
O. R : L’université Paris Nanterre fait vraiment partie de sa ville aujourd’hui ?
J-F. B : Cela a longtemps été un problème qui s’illustre par le nom que se donnent nos personnels, les « Nanterrois », quand les habitants de Nanterre sont les « Nanterriens ». Mais aujourd’hui nous nous sommes beaucoup rapprochés. C’est d’autant plus logique pour Nanterre que sa notoriété est en partie liée à son université. L’enjeu partagé est aujourd’hui que Nanterre devienne pleinement une ville universitaire, alors que longtemps nos étudiants ne sortaient pas du campus. En ce moment, tout un nouveau quartier est en train de voir le jour autour de notre gare RER et d’autres aménagements sont en cours auxquels nous sommes associés. Ce n’était pas le cas en 2012 au début de mon premier mandat. Au-delà d’un centre de production académique marqué politiquement nous sommes des acteurs sociaux.
O. R : Les réformes n’en finissent pas de se succéder dans l’enseignement supérieur. Dernière en date : la création d’écoles universitaires de recherche (EUR) pour lesquelles le Commissariat général à l’investissement (CGI) a lancé un appel à projets. Allez-vous y répondre ?
J-F. B : Dans le cadre de la Conférence des présidents d’université, nous avons examiné cet appel qui répond à un certain nombre de nos préoccupations comme renforcer l’articulation enseignement / recherche, l’insertion professionnelle ou notre dimension internationale. Si quelques formations vont obtenir grâce à cela des moyens complémentaires, nous n’en craignons pas moins que cela entraîne une forme de déséquilibre avec d’autres formations présentes sur un même site.
O. R : D’aucuns disent que ces écoles universitaires vont être des « universités dans l’université »…
J-F. B : Les EUR ne doivent pas avoir le statut de composante. Leur côté transversal est très intéressant et va dans le sens des formations pluridisciplinaires et co-diplômes qui se développent aujourd’hui. Notre licence et notre master « humanités » en sont un bon exemple, mais ils ont mis quelques années à bien se mettre en place. Pour parvenir à un résultat positif, les EUR ne devront pas être en opposition avec les UFR ou les écoles doctorales. Elles ne doivent pas être des entités à part. Il faudra trouver la bonne articulation.
O. R : On a aussi un peu le sentiment que ces écoles universitaires ont été portées seules par le CGI.
J-F. B : On peut effectivement s’étonner que le CGI ait défini cette entité sans qu’on l’ait vu poussée par le ministère de l’Education nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche.
O. R : Votre Communauté d’universités et d’établissements (Comue), Paris Lumières, n’a pas été récompensée par un Isite. Comment l’expliquez-vous ?
J-F. B : Le jury des Idex comme le CGI n’ont pas vraiment tenu compte de la diversité des regroupements que permettait la loi ESR. Nous avons clairement été recalés parce que nous ne travaillions pas, avec l’université Paris 8 Vincennes Saint-Denis, dans la perspective d’une fusion. En privilégiant les fusions, le CGI a promu un seul modèle, et c’est dommage.
Si nous faisons le point sur notre action depuis 2012, dans le PRES puis dans la Comue, nous avons en tout cas appris à travailler de mieux en mieux ensemble et à nous projeter conjointement vers des appels à projet européens auxquels nos équipes collaborent. Il n’y a plus de réticence à travailler ensemble dans aucune de nos composantes.
O. R : L’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, qui est en train de quitter la Comue Hesam, pourrait vous rejoindre ?
J-F. B : Nous nous parlons, et pouvons certainement imaginer de nouvelles collaborations au-delà de celles qui existent déjà. J’espère pour ma part que des règles différentes seront posées, afin de permettre le développement des regroupements d’université avec plus de souplesse.
O. R : Le développement de leur formation continue est cœur des projets de beaucoup d’universités. Qu’en est-il pour vous ?
J-F. B : A la prochaine rentrée nous bénéficierons d’un tout nouveau bâtiment dédié à la formation continue. Nous avons complètement repensé notre organisation pour mettre notre service de formation continue au service des composantes et susciter des offres là où elles n’existaient pas avec des postes dédiés dans chacune d’elles. Aujourd’hui c’est encore essentiellement en économie-gestion et en droit que nous proposons des formations. Mais nous commençons à développer d’autres belles offres dans d’autres composantes comme notre DU de rhétorique. Nous progressons de 5 à 10% par an désormais, et cela devrait continuer notamment grâce à la modularisation de nos formations. Notre récent succès à l’AMI Formation tout au long de la vie est à cet égard un bel encouragement.