ECOLE D’INGÉNIEURS, ECOLES DE MANAGEMENT, POLITIQUE DE L'ENSEIGNEMENT SUPERIEUR, UNIVERSITES

Quelle(s) stratégie(s) développer face à la pénurie d’étudiants qui s’annonce ?

Des étudiants de l’université Gustave-Eiffel

L’avantage de la démographie c’est que c’est une science exacte ! Stagnantes aujourd’hui les cohortes d’élèves sortant du bac devraient baisser après 2030. Et connaitre une chute majeure dans les années 2040 avec la forte baisse de la démographie que nous connaissons aujourd’hui. Face à cette baisse inexorable les établissements d’enseignement supérieur imaginent un certain nombre de stratégies. « Personnaliser les cursus, aller chercher d’autres publics dans des villes différentes, offrir des services aux entreprises qui veulent recruter des profils particuliers, renforcer notre modèle d’écoles à taille humaine renforcées par le groupe » détaille par exemple José Milano, le président exécutif d’Omnes Education.

L’état des lieux

Les effectifs du second degré devraient diminuer sur la période 2024-2028. Selon une note de la DEPP ils devraient d’abord baisse faiblement en 2024 et 2025 et plus fortement à partir de 2026. La prévision intermédiaire retient une baisse de 13 800 élèves en 2024 et de 9 800 élèves en 2025 puis de 30 000 à 40 000 élèves de 2026 à 2028.

Si les tendances en termes d’orientation et de poursuite d’études des bacheliers se prolongent, l’enseignement supérieur pourrait compter 3,03 millions d’étudiants en 2026, puis revenir à 3,02 millions en 2031 du fait de la démographie selon la note du SIES Projections des effectifs dans l’enseignement supérieur pour les rentrées de 2022 à 2031.

Entre 2021 et 2031, le nombre de bacheliers devrait en effet baisser de 1%, soit 35 000 bacheliers de moins. Les bacheliers professionnels enregistreraient la plus forte baisse (- 12,2%), devant les bacheliers généraux (- 3,9%). Les bacheliers technologiques connaîtraient quant à eux une légère hausse de leurs effectifs (+ 1,2%).

À l’université, l’évolution serait de – 4,7 % entre 2021 et 2031, soit – 13 000 entrants néo-bacheliers. Les effectifs de néo-bacheliers poursuivant en CPGE connaîtraient eux une baisse modérée entre 2021 et 2031 (- 0,3 %). Environ 4 000 néo-bacheliers de moins seraient inscrits en STS par rapport à 2021 (- 2,5 %).

Les écoles de commerce gagneraient 0,2 point sur les taux de poursuite, entraînant une hausse de 1 000 poursuivants entre les rentrées 2021 et 2031 (+ 5,2 %). Les formations artistiques et culturelles gagneraient également 15,9% d’évolution, pour 1 000 poursuivants supplémentaires. Enfin les écoles d’ingénieurs verraient leurs effectifs de néo-bacheliers stagner sur la période (- 0,6 %).

Mais projetons-nous un peu plus dans l’avenir : selon d’autres statistiques de la DEPP le nombre d’élèves dans le premier degré s’établirait à 6 273 000 à la rentrée 2024, en baisse de 66 900 élèves après une diminution de 82 900 élèves observée entre les rentrées 2022 et 2023. La baisse du nombre d’élèves devrait se poursuivre aux rentrées suivantes, pour atteindre un effectif prévisionnel de 5 993 100 élèves à la rentrée 2028, soit 346 800 élèves de moins qu’à la rentrée 2023. Avec une hypothèse de 80% d’une classe d’âge titulaire de bac on tendrai donc vers une baisse des effectifs bacheliers de 55 000 à l’horizon 2036.

Que faire ? : faire venir plus d’étudiants internationaux

C’est la solution la plus évidente et d’autant plus potentiellement efficace pour la France que nombre de pays « importateurs » d’étudiants – Royaume-Uni, Etats-Unis et même Australie – restreignent aujourd’hui leur accueil d’étudiants internationaux. En France ces étudiants internationaux ne connaissent pas de rejet et peuvent donc toujours être accueillis à bras ouvert. Une solution intéressante pour peu qu’ils soient solvables. Mais comment les attirer s’ils ne peuvent pas intégrer ensuite des entreprises françaises, alors que beaucoup ne parlent pas assez bien français pour cela. « Nous sommes peut-être allés trop loin pour accueillir le maximum d’étudiants internationaux en leur donnant des cours en anglais et en demandant aux étudiants français de leur parler en anglais », s’interrogeait la semaine dernière Manuelle Malot, la directrice l’Edhec NewGen Talent Centre, lors du colloque annuel de la Conférence des directeurs des écoles françaises de management (Cdefm).

Que faire ? : devenir des acteurs mondiaux de l’éducation

Quand on interroge une école multinationale comme Skema sur la baisse programmée des cohortes d’étudiants français la réponse fuse « C’est aussi pour cela que nous sommes multi-implantés. S’il y a moins d’étudiants français nous aurons plus d’étudiants chinois ou brésiliens sur nos campus internationaux ».

Une stratégie qu’on retrouve dans les école d’ingénieurs du côté de l’Icam – largement implantée en Afrique et maintenant en Amérique du Sud – ou des Insa mais qui prend du temps. Beaucoup de temps pour implanter sa marque et, Graal ultime auquel vient d’accéder ESCP au Royaume-Uni, pouvoir remettre son diplôme au même titre qu’un établissement autochtone. Mais attention aux changements de réglementation et à la géopolitique : un tweet malheureux et vous voilà boycotté en Chine ou en Inde…

Que faire ? : investir plus sur la formation continue

Une idée déjà ancienne et qui, pour l’instant, profite essentiellement aux leaders du marché. Des leaders qui capitalisent sur leur marque en l’offrant à ceux qui n’ont pas pu en profiter dans leur jeunesse et passent une sorte de « certificat de rattrapage en formation continue ». Hors des leaders point de salut ? Certains imaginent donc donner une sorte d’abonnement à leurs étudiants dès leur formation initiale à utiliser ensuite tout au long de leur vie.

Que faire ? : devenir des acteurs globaux de l’éducation.

Ecole d’ingénieurs l’Efrei propose de plus en plus de formations au digital au sens large. « Nous travaillons sur plusieurs océans concurrentiels dans la tech bien sûr mais aussi sur d’autres univers digitaux face à des écoles de management qui ne se sont pas non plus interdites de créer des coding schools », résume le directeur de l’Efrei, Frédéric Meunier.  Directeur du groupe Igensa, Stéphane de Miollis va encore plus loin en imaginant une école de 0 à 99 ans fondée sur la pédagogie développée par Maria Montessori à laquelle son groupe s’est associé : « La pédagogie développée par Maria Montessori peut s’appliquer à tous les âges. Aux plus jeunes comme aux 18-24 ans et pourquoi pas au grand âge dans une logique d’autonomie. Des formations de 0 à 99 ans pourquoi pas ? Pour lutter contre la maladie d’Alzheimer, la méthode Montessori peut être efficace. ».

Que faire ? : développer toujours plus l’apprentissage

Bonne idée mais totalement liée aux politiques publiques. Jusqu’où peut monter l’apprentissage ? Un million d’apprentis et pas plus ? L’Etat semble vouloir limiter son effort à cet étiage tout en baissant peu à peu ses financements. Les écoles, qui espèrent quasiment toutes avoir plus d’apprentis, risquent de s’y casser les dents…

Que faire ? : augmenter ses frais de scolarité

Attention : stratégie réservée aux plus riches, à ceux qui sont sur les podiums de leur spécialité ou dans le top 10. A ceux donc qui peuvent se permettre de voir leurs effectifs stagner, voire baisser, en le compensant par des hausses des frais de scolarité tant leurs marques promettent carrières au top et salaires à l’avenant.

Que faire ? : Diminuer ses coûts

Soupe à la grimace garantie mais passage obligé parfois comme aujourd’hui chez Junia. Seulement… les directeurs qui s’y collent peuvent le payer cher comme le rappelle le court passage à la tête de l’école d’ingénieure lilloise de Laurent Espine.

Que faire ? : Faire partie de grands groupes

Peut-on encore être une école privée sans faire partie d’un groupe ? « Une restructuration est nécessaire. Une école de management de 3 000 élèves seule ce n’est pas viable. On ne peut pas aujourd’hui investir sans une certaine taille », prévient José Milano, à la tête du groupe Omnes Education dont le chiffre d’affaires est aujourd’hui de 400 millions d’euros et pourrait bien investir dans de nouvelles écoles dans les années à venir.

 

 

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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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