Toute cette semaine nous vous proposons de nous interroger sur les avenirs possibles des écoles de management. A la fois grande école, membre de la Conférence des grandes écoles depuis 2011, et Faculté de gestion de l’université de Liège comptant plus de 2300 étudiants, HEC-ULg est née de la fusion en 2005 de l’école supérieure de commerce HEC-Liège, du département de sciences économiques et de l’école d’administration des affaires. Son directeur depuis 2009, le Français Thomas Froehlicher (@FroehlicherT), revient avec nous sur ce qui pourrait bien être un modèle pour les grandes écoles de commerce et de management françaises.
Olivier Rollot : Les fusions d’écoles de management sont au cœur de l’actualité en France. Vous dirigez vous-même une institution qui est le fruit d’une fusion entre une grande école et une université. Comment expliquez-vous sa réussite ?
Thomas Froehlicher : Avant de venir à Liège j’ai moi-même travaillé à des projets similaires lorsque je dirigeais l’ICN Business School à Nancy, notamment en tant que délégué général d’Artem, l’alliance entre trois grandes écoles de management, d’ingénieurs et d’art. Ici à Liège il s’agissait de créer une institution capable de répondre aux besoins d’une métropole d’un million d’habitants en pleine renaissance. Mais s’il y avait une sorte de « masse critique » à atteindre, les initiateurs du projet ont d’abord pensé qualité de gouvernance. La qualité professionnelle de nos formations est ainsi garantie par un conseil de gouvernance qui compte 25 dirigeants d’entreprise, une organisation interne efficiente et des liens bien huilés avec les autres composantes de l’université. J’ai en permanence la possibilité de concevoir des innovations en formation, en recherche et en expertise avec les doyens des 10 autres facultés que je croise toutes les semaines. Ensemble nous couvrons tous les domaines possibles à l’exception de la théologie.
O. R : Les universités belges bénéficient également d’une autonomie encore inconnue en France, en dépit des réformes.
T.F : Ici on n’a pas à attendre 3 ou 4 ans pour prendre une décision. Le recteur, c’est-à-dire le président de l’université, a une grande latitude pour s’engager. Plutôt que de réfléchir à créer des « mastodontes » de l’enseignement supérieur, généralement pour répondre aux critères du classement de Shangaï, il faut penser à la qualité de la gouvernance. C’est l’une des forces d’universités belges qui comptent au maximum entre 20 et 25 000 étudiants.
O. R : Cette autonomie, cette proximité avec les entreprises, vous permettent également de générer des fonds au-delà de la dotation de l’État belge.
T.F : Nous recevons de l’État 6000 euros par étudiant et par an auxquels s’ajoutent 830 euros de frais de scolarité. Cela représente environ 13 millions d’euros et nous générons huit autres millions avec notre fundraising (3 millions), nos formations en executive education délivrées par une association (2 millions) et les fonds générés directement par les enseignants à travers des recherches commanditées ou de la consultance (3 autres millions). Là aussi l’autonomie dont ils bénéficient permet aux enseignants de développer leur centre de recherche, de générer des postes ou encore de décrocher des fonds fédéraux et/ou européens, voire de créer leur spin-off.
O. R : Qu’est-ce qui vous semble le plus marquant dans votre travail en Belgique par rapport à votre expérience en France ?
T.F : Dès qu’on quitte la France on se rend compte que travailler dans une université dont la business school est un élément moteur correspond à une logique normale. Partout dans le monde, c’est l’université qui est le haut lieu de la sélectivité et de l’excellence. On l’a dit les enseignants sont très autonomes. Mais surtout ils bénéficient de l’aide d’assistants de recherche. A HEC-ULg ils sont soixante pour quatre-vingt professeurs permanents, en plus d’un personnel administratif de support .
O. R : On stigmatise beaucoup les échecs en première année d’université en France. Qu’en est-il en Belgique ? Plus largement, parlez-nous de vos cursus.
T.F : Il n’y a pas non plus de sélection ici et seulement 30% de nos étudiants passent en deuxième année. 50% si on prend ceux qui passent les examens. Ceux qui restent terminent alors ce qu’on appelle un « bachelier », c’est-à-dire une formation en trois ans qui débouche quasi toujours sur un master en 5 ans. Les étudiants ont le choix entre des études de sciences économiques et de gestion et le programme emblématique qu’est « ingénieur de gestion » avec des enseignements renforcés en mathématiques, physique et chimie en bachelier. Nous proposons également notre programme doctoral en sciences économiques et de gestion, premier doctorat accrédité EPAS par l’EFMD.
O. R : Recevez-vous des étudiants français et, plus largement, quelle place occupent chez vous les étudiants étrangers ?
T.F : Les étudiants français n’ont pas encore identifié notre formation comme ce qu’elle est, c’est-à-dire une grande école au prix d’une formation universitaire. Ils sont par contre très nombreux dans les filières médicales. Au total, nous avons 20% d’étudiants étrangers. Liège est la ville francophone la plus loin de France mais seulement à 2 h 15 de Paris en TGV, tout près de Bruxelles, Maastricht ou Aix-la-Chapelle. On nous considère aussi comme l’école de management du Luxembourg. C’est dire si nos diplômés ont beaucoup de débouchés.
O. R : Pour attirer des étudiants étrangers il vous faut des accréditations – vous êtes en voie d’obtenir l’AACSB et avez plusieurs programmes accrédités EPAS (EFMD) -, donc des professeurs permanents sur un marché en tension. Avez-vous toujours les moyens de vos ambitions ?
T.F : C’est bien pour cela qu’il faut être prudent sur l’effet taille. Qui dit nouveaux étudiants dit aussi corps enseignant car il ne faut pas dépasser les trente étudiants par enseignant. Le taux d’encadrement est une variable clé en pilotage de la qualité. De plus, avoir 8000 étudiants sur quatre ou cinq campus c’est très compliqué, même si on croit dans l’efficacité des TIC. Dans nos métiers il n’y a que peu d’économies d’échelles. Cela dit, des fusions comme Kedge ou Skema permettent un effet « branding », une bonne gestion de la marque en terme de rayonnement international. Il me semble qu’ils ont aussi su identifier un projet novateur dans leur positionnement d’écoles internationales.
O. R : Vous identifiez plusieurs types de fusion « positives ».
T.F : On pourrait privilégier deux types de fusions : fusions à effet « taille », plutôt pour des masses critiques soutenant le branding d’un établissement (budget de communication, puissance des réseaux alumni, addition des implantations/réseaux internationaux et réseaux « entreprises ») ou des fusions de complémentarités pour répondre aux enjeux de transversalité (entre management et ingénieur, ou design, ou juristes). Dans les deux cas, il faut en avoir les moyens mais aussi les bons modes de pilotage et donc de gouvernance.
O. R : On dit souvent que les universités belges sont en avance sur la France dans le maniement des nouvelles pédagogies. C’est vraiment le cas ?
T.F : Par rapport aux grandes écoles françaises non, mais par rapport à l’université oui. Par exemple nos cours de langues vivantes – deux sont obligatoires – sont dispensés dans des groupes que ne dépassent jamais les quarante personnes en première année, puis vingt pour les années suivantes, avec différents groupes de niveau. Ensuite tous nos étudiants partent en échange Erasmus et en stage. De plus, nous tenons à ce que tous les travaux de recherche soient connectés aux enseignements de spécialités en master. Ainsi les chercheurs ne fuient pas les situations d’enseignement. C’est d’autant plus facile que nous n’avons pas de dichotomie CNRS/université. Tout cela fonctionne très bien dans le monde entier. Il serait peut-être utile d’en faire autant en France.
O. R : Vous parlez de pédagogie de la réussite.
T.F : Toute notre organisation est fondée sur un cercle vertueux de réussite professionnelle. Passée la première année de sélection nous cultivons le goût de la réussite à travers une proximité entre étudiants, professeurs et assistants. Comme dans les grandes écoles d’ailleurs. Je ne suis pas certain que ce soit toujours le cas dans les universités françaises.
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