CLASSES PREPAS, ECOLE D’INGÉNIEURS, ECOLES DE MANAGEMENT, POLITIQUE DE L'ENSEIGNEMENT SUPERIEUR

Qui veut la peau des prépas ?

Aujourd’hui 9 décembre les professeurs de prépas vont sans doute descendre très nombreux dans la rue pour défendre leur pouvoir d’achat face aux menaces que fait peser dessus le ministre de l’Education nationale, Vincent Peillon. Au nom de l’équité et d’une meilleure reconnaissance des enseignants de ZEP, c’est essentiellement la question de la suppression de une à deux heures de décharge hebdomadaire des 7000 à 8000 enseignants de classes préparatoires qui est en cause. Si elle était appliquée cette mesure amènerait en effet selon les syndicats des pertes de rémunérations de 10 à 20% pour les enseignants de prépas. « Je ne vois quel salarié accepterait subitement de voir sa rémunération amputée de 15% qui peut par exemple impliquer une renégociation de prêt », s’insurge Sylvie Bonnet, la présidente de l’Union des professeurs de spéciales qui pense aussi aux « plus jeunes qui ont choisi cette voie plutôt que le privé parce qu’ils savaient qu’ils bénéficieraient de bonnes conditions matérielles ». Vincent Peillon lui rétorque qu’on ne peut pas à la fois dire « 8 heures, je ne peux pas faire plus, je suis surchargé, et faire 8 heures supplémentaires »…

De nouveaux horaires hebdomadaires

Dans le projet porté par le ministère de l’Education nationale, l’obligation réglementaire de service des enseignants de classes préparatoires serait portée à 10 heures hebdomadaires pour tous contre 8 heures (en deuxième année) et neuf heures (en première année) aujourd’hui. Une heure d’enseignement en classe préparatoire vaudrait en effet 1,5 heure et ce volume de 10 heures permettrait ainsi d’atteindre les 15 h hebdomadaires de service que doivent réaliser les agrégés.

Pour prendre en compte le travail spécifique lié à des classes qui peuvent atteindre cinquante élèves, donc autant de copies à corriger, le ministère a également proposé que soit versée une indemnité de 3 000 euros annuels pour les enseignants de classes préparatoires exerçant au moins 4 heures devant plus de 35 élèves. Pour répondre à la situation particulière des enseignants effectuant moins de 10 heures, il leur a enfin été proposé d’intégrer jusqu’à deux heures d’interrogations orales (dites « colles ») pour compléter leur service hebdomadaire. Comme l’explique Vincent Peillon, ces mesures répondent à un objectif de clarification, d’harmonisation, de transparence et de justice au sein même des classes préparatoires, où des disparités considérables ont été reconnues par la Cour des Comptes, par les organisations syndicales et par les associations professionnelles ».

Des rémunérations pointées par la Cour des Comptes

Il y a quelques mois dans leur rapport sur la gestion des enseignants les magistrats de la Cour des Comptes révélaient que la rémunération nette annuelle des enseignants de prépas atteignait en moyenne entre 10 et 20 ans d’ancienneté 49296€ pour les agrégés et 63470€ pour les chaires supérieures. Le tout avec des maxima beaucoup plus élevés: 79677€ pour les agrégés et 97979€ pour les chaires supérieures de la même tranche. Cela alors que le traitement net annuel des agrégés hors CPGE (dans l’échantillon des cinq académies étudiées par la Cour des Comptes) était de 38 589€ en moyenne à 15 ans d’ancienneté… « Ce sont des maximas alors que les jeunes enseignants démarrent à 2000 euros par mois. S’il y a des abus, des heures payées et non effectuées, il faut que l’administration s’en empare, sinon on ne peut pas plus reprocher à un enseignant de travailler beaucoup qu’à un médecin généraliste par exemple », rétorque Sylvie Bonnet.
En moyenne, toujours selon le rapport de la Cour des comptes, les heures supplémentaires annuelles (HSA) perçues par les agrégés représenteraient elles entre 8228€ et 8537€ selon l’ancienneté (très au-dessus donc des 3000€ que propose le ministre). Les heures d’interrogation individuelles, « heures de colle », participent également à cet écart. Il était ainsi relevé par la Cour que certains enseignants percevaient plus de 30 000€ par an au titre des heures d’interrogation. Pas forcément de quoi provoquer la solidarité nationale – ni même celle des autres enseignants – en ces temps de disette budgétaire. Pour autant le montant des économies que permettrait de réaliser la réforme ne dépasserait sans doute pas les 10 millions d’euros.

Une attaque contre les grandes écoles ?

Dans un climat où les grandes écoles s’estimaient déjà peu soutenues par le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, c’est tout le système des grandes écoles qui se sent aujourd’hui stigmatisé par cette charge contre les enseignants de prépas. La Conférence des Grandes écoles ne s’y est pas trompée en appelant ainsi «l’attention du gouvernement et de toutes les parties prenantes du débat sur la nécessité de mesurer les conséquences des décisions qui seront prises à l’égard des professeurs de classes préparatoires». La Conférence des directeurs des écoles françaises d’ingénieurs demande elle au gouvernement de se «concerter avec les associations représentatives des professeurs des classes préparatoires pour aboutir à un accord ne mettant pas en péril l’excellence de la  formation dispensée dans les  classes préparatoires scientifiques ».

« Il est clair que si nous sommes démobilisés par des mesures purement vexatoires c’est tout le système qui va en pâtir », constate Sylvie Bonnet, qui conclut : « Nous entraînons en quelque sorte des sportifs de haut niveau avec lesquels nous sommes exigeants mais qui sont également très exigeants avec nous. Cela demande un investissement considérable que le ministre ne veut aujourd’hui plus reconnaître. »

Olivier Rollot (@O_Rollot)

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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

1 Comment

  1. Article renseigné, chiffres exacts, mais la façon dont il est écrit est partiale: l’accumulation de revenus très élevés finit par donner une idée globale que tous les profs de prépa sont extraordinairement payés. L’article n’aborde pas le rapport revenu/heures totales travaillées, mais seulement le nombre minimal d’heures avec les étudiants: 8 heures, donc sans tenir compte des préparations de cours, des corrections et des entretiens oraux personnalisés. Or les collègues qui ont le service de huit heures ont un revenu de 40000 euros au bout de 10 ans. Ceux qui ont les gros revenus font 15 heures en classe, ce qui suppose beaucoup plus de travail à côté. L’article n’aborde pas non plus précisément le mode de sélection des profs de prépa et leurs missions: l’éducation coûte cher? essayez l’ignorance.
    Je suis évidemment prof en prépa.

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