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Stratégie « Bienvenue en France » : que ressort-il de la concertation ?

Stratégie Bienvenue en France

A la stupéfaction générale, le Premier ministre avait annoncé le 19 novembre 2018 le lancement d’un plan d’attractivité des étudiants étrangers appelé « Bienvenue en France » comprenant une sévère augmentation des droits de scolarité des étudiants étrangers (de 170 € à 2770 € en licence, de 240 € et 380 € en master et doctorat à 3770 €). Devant le tollé général que provoque cette mesure, une mission de concertation lancée par Frédérique Vidal a remis son rapport le 18 février 2019.

La hausse différenciée des droits a très majoritairement suscité de « vives oppositions ». La plupart des personnalités auditionnées ont exprimé l’attachement à un système français de financement de l’enseignement supérieur par l’impôt. Les comparaisons internationales, notamment avec le modèle anglo-saxon, conduisent à la plus grande prudence quant à la hausse des droits : outre la dynamique fortement et globalement haussière qui s’enclenche généralement une fois que « le verrou » des frais bas a sauté, le modèle économique des systèmes nord-américain et britannique fait figure de repoussoir au vu de l’encours de la dette étudiante.

La vocation redistributive du plan ne convainc pas plus les acteurs auditionnés par la mission. Les difficultés juridiques et pratiques de la prise en compte de la situation sociale individuelle des étudiants étrangers ont été relevées. En outre, des études ont « montré que le pouvoir redistributif d’un système fondé sur des frais élevés couplés à des bourses était inférieur à celui d’un système fondé sur l’impôt ».

L’idée d’un signal-prix adressé à des candidats qui estimeraient de meilleure qualité une formation coûteuse n’apparaît pas non plus pertinente. Aucune des parties prenantes interrogées n’a en effet considéré que le système français d’enseignement supérieur était aujourd’hui défavorisé par un signal-prix défavorable.

Un autre argument parfois invoqué pour justifier la mesure, l’argument d’équité fiscale, n’est pas davantage partagé : en effet, les candidats étrangers n’ayant pas été financés par la collectivité française pour leurs études secondaires et contribuant à l’activité de recherche française lorsqu’ils sont en doctorat, « l’impact net de leur présence en France n’est pas nécessairement défavorable aux finances publiques, même avec le niveau de droits actuel ».

Préserver les doctorants. Environ 45 % des doctorants dans l’enseignement supérieur français sont étrangers. La tendance générale témoigne d’une baisse du nombre global de nouveaux doctorants, les doctorants étrangers freinant cette diminution. Face à ce rôle central des doctorants dans la recherche, la légitimité de faire payer aux extracommunautaires des frais d’inscription importants est remise en cause avec vigueur par de nombreux acteurs. Le coût de la formation, qui constitue l’assiette affichée des nouveaux frais, est ainsi estimé très faible pour les doctorants, ceux-ci suivant peu de cours. Leur participation souvent majeure à la mission d’enseignement en licence fait au contraire d’eux des contributeurs nets au système de formation.  De plus les pays ayant des niveaux de frais d’inscription élevés pour leurs étudiants et/ou pour les étudiants internationaux traitent souvent le doctorat de manière spécifique : par exemple en Australie, les étudiants nationaux paient l’équivalent d’environ 4000 € en licence et 7000 € en master, mais moins de 300 € en doctorat.

Le MESRI a annoncé qu’une réflexion était en cours pour assurer la prise en charge des nouveaux frais d’inscription des doctorants par les organismes financeurs publics, notamment l’ANR. Les représentants des doctorants et des docteurs sont « sceptiques sur l’effectivité de ces dispositifs » : l’éligibilité de ces frais dans des projets déjà contractualisés, la possibilité ou non de les faire prendre en charge dans les projets européens, les réticences prévisibles du côté des entreprises ont été soulignées. Le risque de discrimination a été également relevé, les financeurs et les porteurs de projets « pouvant être tentés de privilégier des doctorants nationaux pour des raisons financières ».

Exonérer ? Dans la limite de 10 % des effectifs, et en excluant les bourses d’enseignement supérieur accordées par l’État et les pupilles de la Nation, le conseil d’administration de chaque établissement peut décider des critères permettant d’exonérer de droits certains étudiants (article R. 719-50 du Code de l’éducation). Cette disposition est le principal moyen juridique permettant aujourd’hui aux établissements de définir leur politique d’accueil. Encore faut-il que le taux d’exonération maximal de 10 % actuellement prévu par la réglementation leur « donne la flexibilité suffisante pour déterminer cette politique en toute autonomie, c’est-à-dire en ayant la capacité d’exonérer tout ou partie des étudiants étrangers non communautaires qu’ils accueillent ».

Afin de tester la capacité des établissements à mettre en œuvre leur politique d’accueil dès la rentrée 2019, la mission de concertation a fait réaliser par la DGESIP des simulations permettant d’estimer le taux d’étudiants concernés si chaque établissement décidait de recourir à une exonération totale des étrangers non communautaires. Celle-ci fait apparaître que, pour la rentrée 2019, la totalité des établissements, à l’exception d’un cas particulier (Université de La Rochelle, d’ores et déjà au-dessus des 10% prévus par le Code avec 15,8% et une projection à 21,2% pour 2022), peut mettre en œuvre une politique autonome d’accueil des étudiants étrangers non communautaires, avec une capacité d’exonération pouvant aller jusqu’à la totalité de ces derniers. La contrainte exercée par le taux d’exonération maximal de 10 % serait toutefois croissante au cours des années suivantes : 7 établissements ne disposeraient plus d’une faculté d’exonération totale en 2020, 18 en 2021 et 27 en 2022.

En conséquence, la mission constate qu’il n’est pas strictement indispensable d’adapter pour la rentrée 2019 le taux de 10 %.  Pour les années suivantes, la mission recommande de « faire du taux d’exonération l’un des éléments de la discussion entre les établissements et le gouvernement, afin de conforter la possibilité pour ces derniers de mener une politique autonome d’accueil des étudiants étrangers non communautaires ». À terme, il apparaît « raisonnable à la mission de recommander que ce taux soit fixé à 15 %, de manière à préserver tant de l’autonomie des établissements dans la définition de leur politique d’accueil que leurs ressources propres ». Ainsi au lieu d’apporter des ressources supplémentaires aux établissements la mesure leur… en enlèverait de manière exponentielle.

  • Les différentes stratégies d’accueil. Les États-Unis ne comptent en proportion de leurs effectifs étudiants qu’une faible part d’étudiants étrangers : un peu plus de 4% du total. Ils sont concentrés dans les universités dont la notoriété est la plus importante et s’y inscrivent essentiellement dans les niveaux master et doctorat. Le Royaume-Uni et l’Australie représentent un deuxième modèle : avec une part d’étudiants étrangers supérieure à 20% du total, ces pays ont fait de leur offre internationale d’enseignement supérieur une activité économique à part entière. On estime ainsi que l’enseignement supérieur y représente un secteur économique dont la contribution au PIB est de l’ordre de 1,5%. Un tel choix « suppose que ces pays aient développé une attractivité internationale tournée aussi bien vers les niveaux premier cycle que vers le master et le doctorat ». La France se situe à mi-chemin de ces deux modèles : avec des étudiants étrangers représentant 12% des effectifs totaux, elle n’est « ni dans la logique de masse qui caractérise les modèles australien et britannique, ni dans celle plus sélective qui caractérise le modèle américain ».

 

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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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