ECOLE D’INGÉNIEURS, UNIVERSITES

« Une université de technologie c’est à la fois une université et une grande école »: Christophe Collet, directeur général de l’UTT et président du Groupe UT

Christophe Collet, directeur général de l’Université de technologie de Troyes et président du Groupe UT qui regroupe l’ensemble des universités de technologie

L’Université de technologie de Troyes fête cette année ses 30 ans et est résolument engagée dans son projet d’université européenne. Son directeur général, Christophe Collet, revient avec nous sur cet anniversaire et sur son projet.

Olivier Rollot : L’Université de technologie de Troyes fête cette année ses 30 ans. Quel bilan pouvez-vous tirer ?

Christophe Collet : Le défi initial était de faire venir des étudiants à Troyes en 1994 avec un projet novateur d’Université et de Grande École. Quand j’ai pris la direction de l’UTT en septembre 2022, 28 ans plus tard, j’ai trouvé une université qui avait su conserver cet esprit pionnier avec des personnels très attachés au modèle et à la marque UTT. Aujourd’hui nous entrons dans une phase de départs à la retraite de ces équipes pionnières, avec la volonté de bien conserver cet esprit. Pour attirer ces personnels nous tablons, par exemple, sur la capacité d’accélérer les carrières avec des prises de responsabilités plus rapides, valorisables dans une carrière académique.

Nous possédons également de très beaux laboratoires et développons une Recherche d’excellence en nanotechnologies et calcul quantique (Unité de Recherche Lumière, nanomatériaux & nanotechnologies – L2n – CNRS UMR 7076), Data (Laboratoire Informatique et société numérique – LIST3N) ou encore sur l’interaction Matériaux – Energie. Grâce à eux, 30% de notre budget de 45 M€ est issu de la recherche partenariale, d’activités de valorisation. C’est crucial car nous restons sous doté : 7 500€ par an et par étudiant (source AEF : Dépêche n°704082 du 11 décembre 2023 ) quand nos coûts représentent 12 k€.

Pour nos 3 200 étudiants, venir à Troyes c’est profiter d’un environnement très stimulant – avec 13 000 étudiants en tout, nous avons la même proportion qu’une grande ville universitaire comme Rennes ramené à la population – tout en bénéficiant de loyers attractifs et d’une vie associative très forte. In fine, c’est la promesse de trouver rapidement un emploi : 98% de nos diplômés ont un emploi ; la durée de recherche moyenne du premier emploi est de 0,7 mois et 42 % d’entre eux le décrochent grâce à leur projet de fin d’études.

O. R : Le gouvernement a demandé il y a un an aux écoles d’ingénieurs de former 10 000 ingénieurs de plus par an. Comment envisagez-vous de former plus d’étudiants à l’UTT ?

C. C : Nous recevons en tout aujourd’hui 3 200 étudiants à l’UTT. Pour nous développer, pour former plus d’étudiants, nous travaillons aujourd’hui sur un plan stratégique, UTT 2035, qui va notamment s’appuyer sur le développement de la formation continue et de l’apprentissage et notre projection à l’échelle européenne

Aujourd’hui, la demande de formation continue de la part des entreprises est très forte sur l’Intelligence artificielle (IA), les data ou encore les questions de cybersécurité et nous recevons de plus en plus d’apprenants qui viennent s’y former chez nous.

En apprentissage, nous venons d’ouvrir trois nouvelles filières pour des étudiants titulaires d’un BUT avec une pédagogie en mode projet qui leur correspond mieux, d’autant que beaucoup suivaient déjà un cursus antérieur en apprentissage. La seule limite qu’ils ont c’est de ne pas pouvoir choisir librement leurs Unités d’Enseignement, contrairement au modèle de formation à la carte des autres apprenants sous statut étudiant. 8% de nos étudiants sont aujourd’hui apprentis et nous visons les 20% en 2035 entre l’alternance, la formation continue et les étudiants de l’Université de Technologie Européenne en mobilité à l’UTT.

O. R : Le grand projet de l’UT c’est aujourd’hui la création d’une Université de technologie européenne, EUT+. Pouvez-vous nous en dire plus ?

C. C : Nous devons participer à la réindustrialisation à l’échelle européenne et créer pour cela des universités et des diplômes européens dans les dix ans à venir. C’est une question de souveraineté pour la France, et pour cela nous avons besoin de former davantage d’ingénieurs en Europe. C’est tout l’objet d’EUT+ dont nous sommes chef de file avec huit autres universités partenaires (*) de toute l’Europe (EUT+ regroupe 9 partenaires).

Ensemble nous voulons offrir aux étudiants la possibilité de suivre un semestre dans chaque université partenaire en conservant le même nombre de crédits. Un diplôme de l’UTT plus un diplôme européen tel qu’il sera défini par l’Union européenne.

Ensemble, dans EUT+, nous représentons plus de 100 000 étudiants et plus de 7 000 enseignants-chercheurs avec des ERI (European Research Institute) qui émergeront dans des domaines d’excellence pour être lauréats d’appels à projets européens dont les projets ERC où la France est insuffisamment présente. Les Roumains sont excellents en IA, les Irlandais en Sciences Humaines et Sociales, les Chypriotes en entrepreneuriat : nous misons sur la force d’une telle alliance pour nous développer et élargir la palette d’offres de formation à nos étudiants, et impulser une dynamique plus forte en recherche avec nos partenaires en répondant collectivement aux appels à projets de la commission européenne.

O. R : N’est-ce pas trop ambitieux de demander à tous ces pays de se mettre d’accord sur un système commun ?

C. C : On peut imaginer un système avec un premier diplôme européen pour quatre pays – par exemple l’Allemagne, la France, la Roumanie et l’Espagne – qui sont probablement les plus avancés dans leurs réflexions, avec des universités qui savent qu’elles doivent changer d’échelle pour avoir une force de frappe accrue.

Nous recevons en tout cas un soutien très fort de l’Union européenne, de la commissaire Innovation, recherche, culture, éducation et jeunesse, Iliana Ivanova, comme du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche en France car nous nous préparons à la décennie 2030.

O. R : En plus de la direction de l’Université de technologie de Troyes vous présidez également aujourd’hui le Groupe UT qui réunit également les universités de technologie de Belfort-Montbéliard (UTBL) et Compiègne (UTC). Qu’est-ce qui caractérise les universités de technologie ?

C. C : Le Groupe UT propose un modèle propre avec, par exemple, un choix très libre pour les étudiants de leurs modules d’enseignement. C’est notre ADN. En respectant bien sûr des normes, les étudiants peuvent tester des Unités d’Enseignement et voir si cela leur convient et les intéresse. C’est particulièrement profitable pour eux, après le bac, quand ils démarrent des disciplines dont ils ignorent tout ou presque. De même, il n’y a ni classement – les étudiants doivent valider des crédits – ni redoublement : nous travaillons en semestre et chaque étudiant construit son parcours. C’est une démarche très responsabilisante pour les élèves-ingénieurs.

Nous renforçons cette autonomie avec deux stages longs en entreprises ou en laboratoires durant de leur cursus ingénieur (une mission de 6 mois en début de 4e année, en qualité d’assistant-ingénieur, un projet de fin d’études de 6 mois à 12 mois en dernière année). Ils doivent également bien maitriser l’histoire des sciences et nous les formons à avoir une vision humaniste de la technologie, au service de l’Homme et d’un développement soutenable. C’est essentiel aujourd’hui dans un monde en transition énergétique, sociale, numérique, climatique… A l’UTT, ils ont également la possibilité de suivre un semestre dans l’une de nos universités partenaires au sein de l’alliance EUT+. C’est important.

Enfin, une université de technologie c’est aussi à la fois une université et une grande école qui possède ses propres laboratoires et son école doctorale. C’est-à-dire toute la chaine de la recherche. Il reste pour nous à pousser plus de nos étudiants à aller vers un doctorat : 5% en moyenne à l’UTT, semblable à la moyenne nationale, alors que le souhait du Ministère est de viser les 20%. Pour cela, nous communiquons vers nos étudiants en leur indiquant que le « bac+5 est aujourd’hui un diplôme intermédiaire » et que, pour envisager une carrière à l’international, un doctorat est la norme. Pour cela, nous allons organiser dès cet automne des ateliers à destination des étudiants incluant des témoignages d’alumni et des DRH de groupes industriels internationaux pour présenter le booster que représente la statut de docteur-ingénieur hors de France.

O. R : Le modèle des UT parait optimal. Pourtant elles ne sont que trois à avoir vu le jour depuis la création de la première à Compiègne en 1972. Pourquoi ne sont-elles pas plus nombreuses ?

C. C : En janvier 2024 est également née l’Université de technologie Tarbes Occitanie Pyrénées (UTTOP) mais vous avez raison le modèle ne s’est pas développé comme on aurait pu s’y attendre. Il dépend aussi de volontés territoriales de développement dans des villes de taille moyenne : à Belfort-Montbéliard, l’UT est née de la volonté de Jean-Pierre Chevènement de développer la région ; à Troyes il s’agissait de redonner du souffle à la ville après le départ des industries textiles, et d’avoir sur le territoire des ingénieurs formés et une activité de recherche fondamentale et appliquée répondant au besoin des entreprises. Philippe Adnot, président du département puis sénateur de l’Aube, a eu cette vision.

O. R : On peut vous comparer avec le Groupe Insa qui, comme vous, est public possède des implantations dans toute la France ?

C. C : Nous en sommes effectivement très proches notamment parce que, à nous deux, nous recrutons 57% des élèves qui entrent dans des écoles d’ingénieurs externes post bac. Nous partageons également avec les Insa des valeurs d’inclusivité et d’humanités, tout en nous interrogeant sur les questions d’usage et d’utilisation des technologies, avec des enseignants-chercheurs en sciences humaines et sociales au sein de nos établissements qui travaillent sur ces questions.

O. R : Des usages qui impactent fortement le climat. Que fait l’UTT pour améliorer son bilan carbone ?

C. C : Notre première ambition est d’avoir la maitrise de nos émissions carbone en privilégiant très fortement, par exemple, les déplacements en train en Europe dans le cadre de l’Université de Technologie Européenne – EUT+. Des parkings avec des ombrières pourraient contribuer à 100% de la consommation des salles blanches de l’UTT.

Le calcul de notre bilan carbone est aujourd’hui engagé avec la perspective de délivrer un « passeport carbone » aux étudiants et personnels. Pour cela, nous concevons une plateforme de collecte des données qui sera opérationnelle cette année. Il ne s’agit pas d’être punitifs mais de mesurer, comme doit le faire tout bon scientifique, et d’inciter. Un point sur lequel les étudiants sont très présents et nous challengent constamment. Dans notre projet stratégique UTT 2035, il est prévu que d’ici 5 ans, 5% des crédits ECTS seront accordés à des formations dans le développement durable et le recyclage, soit 375 heures de formation orientées sur les enjeux de soutenabilité et de transition. Il s’agit de former des ingénieurs scientifiquement et technologiquement responsables. C’est une contribution active et concrète à la transition socio-écologique.

Déjà signataires de l’Accord de Grenoble, nous pensons être labellisés DD&RS en 2025.

  • Les 9 partenaires EUT+ sont : La Hochschule Darmstadt, University of Applied Sciences en Allemagne, la Rīgas Tehniskā universitāte en Lettonie, la Technological University Dublin en Irlande, la Technical University of Sofia en Bulgarie, la Cyprus University of Technology à Chypre, l’Universidad Politécnica de Cartagena en Espagne, l’Universitatea Tehnică din Cluj- Napoca en Roumanie, l’Université de technologie de Troyes en France, et l’Università degli studi di Cassino e del Lazio Meridionale en Italie.
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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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