POLITIQUE DE L'ENSEIGNEMENT SUPERIEUR

Quand les questions de pédagogie deviennent un enjeu majeur

Longtemps terrains d’expérimentations plus ou moins isolées, les questions de pédagogie deviennent peu à peu un enjeu majeur pour tout notre enseignement supérieur. Notamment parce qu’il faut bien imaginer comment les 350 000 nouveaux étudiants qui doivent le rejoindre dans les dix ans vont pouvoir y étudier dans des conditions de réussite – et de budget ! – acceptables. 300 millions d’euros vont ainsi être consacrés au développement des pédagogies dans l’enseignement supérieur dans le cadre du PIA 3 (programme d’investissements d’avenir).

Donner le droit à l’expérimentation

« Il faut ouvrir de larges parts d’autonomies pour permettre à l’université d’accueillir le plus grand nombre d’étudiants tout en allant vers l’excellence et cela passe par la pédagogie », confie Jean-Pierre Korolitski, membre du Commissariat général à l’investissement, pour lequel il faut « mieux différencier les cursus licence et master ». Les financements seront largement fléchés vers la question de la réussite en licence. « C’est là qu’il faut le plus innover pour résoudre les problèmes d’échec avec un traitement de l’hétérogénéité des étudiants qui doit être plus différencié en objectifs, rythmes, méthodes… », confie encore Jean-Pierre Korolitski.

Cette hétérogénéité est d’abord visible dans les universités. Le tutorat est la première réponse et les professeurs du secondaire qui viennent enseigner dans le supérieur, les PRAG, permettent de mieux réaliser le transfert des compétences des bacheliers vers le supérieur. « A l’iaelyon nous faisons passer des tests à tous nos nouveaux étudiants en 1ère année de licence pour repérer leurs lacunes et nous recevons individuellement ceux du quartile le plus en difficulté pour leur proposer un coaching. Mais encore faut-il qu’ils soient volontaires – ce sont même souvent d’excellents étudiants qui demandent ce tutorat ! -, et admettent leurs lacunes », commente Jérôme Rive, directeur de l’iaelyon. Autant les étudiants qui se sentent faibles en maths n’ont pas honte de l’assumer, autant c’est difficile quand il s’agit de français ou en culture générale.

Mieux enseigner

« Le plus important c’est de donner du sens au travail des étudiants. Quand nous avons rénové nos méthodes pédagogiques les amphis sont soudain devenus trop petits tant les étudiants se sont mis à y affluer quand on ne les voyait que par grappes avant. » Promoteur de l’introduction des pédagogies actives au sein de l’une des universités les plus novatrices en matière de pédagogies, Louvain-La-Neuve en Belgique, Elie Milgrom vient régulièrement prêcher la bonne parole dans les universités et grandes écoles françaises comme en décembre devant les professeurs de la Communauté d’universités et d’établissements (Comue) Paris Seine, qui compte notamment l’Essec et l’université de Cergy-Pontoise.

Là comme ailleurs, les professeurs se demandent comment mieux enseigner à des étudiants de plus en plus rétifs à un apprentissage « mandarinal ». L’université de Bordeaux met ainsi en action de nouveaux dispositifs et de nouvelles maquettes de formation pour « passer d’une offre centrée sur le contenu disciplinaire lié à la compétence des enseignants à un contenu centré sur les compétences que nous voulons donner à nos étudiants » explique son président, Manuel Tunon de Lara. Financée par son Idex (Initiative d’excellence), une « Mission d’appui à la pédagogie » (MAPI) accompagne les enseignants du site dans la création de nouvelles pédagogies, les aide à mieux délivrer leur message ou à créer de nouvelles formes de cours. « Il faut apprendre à apprendre à des jeunes qui ont peu de patience, qui ne veulent pas perdre leur temps, et demandent du sens dans tout ce qu’ils apprennent », confirme le directeur de Neoma BS, Frank Bostyn, qui refuse pour autant qu’on oublie les fondamentaux : « On est quand même obligés de leur apprendre certaines disciplines « au cas où ». Par exemple nous donnons des cours d’économétrie qui serviront à quelques étudiants qui feront un doctorat en finance en étant conscient que les autres n’y trouveront guère de plaisir. Mais si on stimule leur intérêt en leur montrant comment on analyse les risques grâce aux statistiques, on peut les motiver ».

Et le mouvement n’est pas réservé à quelques universités et grandes écoles particulièrement motivées. Depuis la réforme des programmes du lycée en 2011, les approches ont changé également dans les classes préparatoires, en particulier en sciences avec la montée en puissance des pédagogies par compétences et de formes d’évaluation différentes (par exemple les « résolutions de problème »). « Nos professeurs s’appuient sur ces évolutions pour introduire des modes de travail collaboratifs : deux, trois élèves peuvent ainsi travailler ensemble et rendre un travail commun à la demande du professeur à qui il n’importe pas de savoir qui a fait ou trouvé quoi, mais bien plutôt d’avoir fait chercher et échanger ensemble », assure le proviseur du prestigieux lycée Louis-le-Grand de Paris, Jean Bastianelli.

Enseigner autrement

« Ça y est, depuis le temps qu’on en parle, les digital natives sont parmi nous, sont des zappeurs, ont envie d’être acteurs de leur formation et il faut leur enseigner autrement », professe Armelle Godener, la directrice de la pédagogie de Grenoble EM. « Inspirés, novateurs, sociaux, impliqués, décideurs, entrepreneurs », en un mot « INSIDE » voilà comment Grenoble EM veut que ses étudiants se comportent dans le cadre de sa nouvelle pédagogie « GEM Learning Model » (GLM). Dans le cadre d’un parcours appelé « Ulysse », les étudiants de Grenoble EM ont par exemple suivi une journée sur une chaîne de fabrication de Caterpillar France. « Nous avons pu prendre conscience de plusieurs formes de management, plus ou moins directives, et comment ils impactaient les résultats », se souvient un étudiant.

Alors, demander à un étudiant d’écouter passivement des heures de cours en amphi est-ce encore possible ? Oui bien sûr mais, pour enseigner efficacement à tous les publics, il est souvent indispensable d’inventer de nouvelles méthodes. « Aujourd’hui l’étudiant veut être acteur et constructeur de cours. Nous voulons ramener les outils de la formation continue dans la formation initiale pour mieux enseigner à la Génération Y. Ainsi l’étudiant apprend mieux et l’enseignant s’épanouit », assure ainsi Isabelle Grand, directrice adjointe de l’IAE Caen.

Un étudiant actif apprend mieux

« Quand on donne l’initiative aux étudiants les universités deviennent une vraie marmite d’initiatives. Ils veulent s’installer, coopérer, un incubateur, un accélérateur, un Fablab, autant de lieux qui symbolisent un apprentissage par l’expérience », explique Sophie Pène, professeure en sciences de l’information à l’Université Paris Descartes et vice-présidente du Conseil national du numérique qui préconise la création d’une « Agence nationale pour la pédagogie » sur le modèle de l’Agence nationale de la recherche (ANR), pour laquelle « un professeur doit aujourd’hui dessiner les parcours dans lesquels va s’installer l’apprentissage et accorder de l’importance au savoir des étudiants plutôt que de se contenter de délivrer son cours ».

« Les pédagogies traditionnelles correspondaient à des populations extrêmement obéissantes, prêtes à supporter l’ennui, qui ne sont pas celles d’aujourd’hui et c’est bienvenue car cela correspond également à ce qu’attendent les entreprises », conclut Simone Bonnafous, directrice de la direction générale de l’enseignement supérieur et de l’insertion professionnelle du ministère de l’Education nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche lors du dernier Congrès de la Cdefi.

Apprendre par le projet

Au cœur de la pédagogie des écoles de management depuis leur création, les « cas pratiques » deviennent des cas réels. Le cursus du bachelor d’ESCP Europe comprend ainsi des projets collectifs menés par équipes de cinq/six étudiants désignés par les professeurs pour créer des groupes mixtes garçons/filles et surtout multiculturels dans un cursus qui mêle des étudiants de 20 nationalités différentes. « Nous les formons à comprendre leurs différences pour être demain capables de répondre aux besoins des entreprises », insiste Benjamin Voyer, le directeur académique du programme. Ces projets peuvent même aujourd’hui être traités par des groupes d’étudiants répartis dans le monde entier. « L’esprit collaboratif de groupes virtuels est la nouvelle réalité et change considérablement la sociologie de nos étudiants. Nous devons enseigner dans nos programmes une pédagogie collaborative que les technologies numériques rendent accessible à tous », relève Frank Bostyn.

L’apprentissage par projet ou problème (APP) est aujourd’hui au cœur des enseignements des écoles d’ingénieurs. Dès la première année de son cycle en cinq ans, l’Insa Toulouse propose ainsi à ses étudiants une semaine de cours en APP comme « entrée en matière ». Mais sans exclusive. « C’est une méthode chronophage qui permet d’aller plus en profondeur dans l’appropriation des savoirs – on se souvient longtemps de ce qu’on a appris – mais peut réduire l’étendue des connaissances dispensées », remarque Bertrand Raquet, son directeur. De plus les étudiants en APP risquent de ne plus compter leurs heures au détriment d’autres disciplines. Enseigner une matière par semestre en APP lui semble ainsi suffisant.

Les apports du numérique

Tous le constatent, l’apport des technologies numériques est déterminant dans les innovations pédagogiques que les étudiants maîtrisent parfois mieux que leurs professeurs. « Avant d’utiliser de nouvelles ressources il faut que les pédagogies évoluent », souligne Marcel Lebrun, professeur en technologies de l’éducation à l’Université catholique de Louvain, pour lequel « tout le monde a besoin du numérique et on n’a même plus besoin d’en parler ». « Il ne faut pas abandonner les cours en amphi mais les rendre plus intéressant », prône justement Yvan Pigeonnat, enseignant et conseiller pédagogique de l’équipe PerForm de Grenoble INP, adepte de l’utilisation de boîtiers interactifs modifie lors d’un cours magistral : « Pendant le cours, le professeur demande régulièrement aux étudiants de réfléchir pendant 1 ou 2 minutes une question avant de voter sur leur boîtier. La phase de réflexion collective qui s’ensuit peut faire changer le premier vote ». Reste au professeur à s’appuyer sur l’expérience pour appuyer son propos. « Dans ce contexte avoir un grand auditoire n’est pas un handicap mais est une force car il permet de faire éclore des opinions très différentes », souligne Yvan Pigeonnat.

L’impact des classes inversées

Aux Etats-Unis c‘est depuis longtemps la norme : le cours est un lieu d’échanges entre étudiants et professeurs et gare à celui qui ne connaît pas son cours sur le bout des doigts et sera incapable de participer. Un vrai choc culturel pour des étudiants français encore très passifs en cours mais qui en reviennent conquis. Parce qu’il reçoit des étudiants étrangers, le Graduate Diploma in Management Studies de l’IAE Caen est depuis longtemps dispensé en classe inversée. « Nous voulons généraliser le travail modulaire pour favoriser l’enseignement en groupes », explique la directrice adjointe de l’IAE, Isabelle Grand, qui insiste : « L’enseignant devient de plus en plus un animateur et cela représente un défi immense pour les professeurs comme pour les élèves ».

Fervent partisan des classes inversées, Marcel Lebrun les promeut avec par exemple l’organisation des Clise (Classe inversée la semaine) où se rencontrent des enseignants de toute l’Europe. Parmi toutes ses modalités, il retient particulièrement l’évaluation par les pairs… que ne comprennent pas forcément les étudiants : « Ils me disent « Qui sommes-nous pour évaluer nos amis ? Et parce que ce sont nos amis nos évaluations sont forcément biaisées ». Eh bien je leur réponds : « Ce sont vos amis, aidez-les à faire un meilleur travail ». Et je me rends compte qu’ils n’avaient jamais imaginé l’évaluation dans ces termes ». Pour autant rappelle-t-il « tous ne doivent pas faire des classes inversées. C’est une modalité parmi d’autres ».

De nouveaux espaces

L’introduction de ces nouvelles pédagogies est facilitée par l’utilisation de nouveaux espaces, de nouveaux matériels. Essca EM (Angers-Paris) a ainsi créé des salles de classe dite intelligentes appelées PECT (Pédagogie en Environnement Collaboratif et Technologique) aménagées et équipées de façon à renforcer l’interactivité entre le professeur et les élèves mais aussi entre les élèves et à vérifier, en temps réel, la bonne acquisition des connaissances. Des vidéoprojecteurs et des écrans blancs installés offrent une vision à 360° pour tous les îlots de travail collaboratif qui sont eux-mêmes de forme ronde. Des « mini-quiz » réguliers envoyés sur tous les ordinateurs des étudiants donnent la possibilité aux professeurs d’obtenir des statistiques anonymes et immédiates. « Ces outils permettent à l’enseignant de passer facilement d’un registre pédagogique à un autre (cours magistral, exercices individuels, mini-travaux de groupe, etc.) et de relancer ainsi l’attention des étudiants », confie Stéphane Justeau, le directeur de valorisation de l’enseignement de l’école.

Comment motiver les enseignants ?

Amenés à voter sur la question « Faut-il réaliser des innovations pédagogiques » les directeurs d’écoles d’ingénieurs présents au congrès 2016 de la Conférence des directeurs des écoles françaises d’ingénieur, répondaient de manière contrastée : largement favorables pour leur part, ils jugent leurs étudiants plus partagés et leurs professeurs… moins enthousiastes. « Trop de professeurs croient encore que le volet pédagogique de leur travail pourrait défavoriser leur carrière en obérant leur recherche. Nous devons absolument soutenir les enseignants les plus engagés dans la pédagogie », confiait justement Najat Vallaud-Belkacem lors du colloque que la Conférence des présidents d’université consacrait en novembre 2016 à « Apprendre à l’Université du XXIème siècle ».

« C’est clair que c’est plus facile de trouver des professeurs volontaires quand il existe des financements. Mais beaucoup sont également volontaires quand nous réussissons à faire la démonstration de l’utilité des pédagogies innovantes. Il règne une vraie émulation collective dès lors qu’on peut montrer à ses pairs ces réalisations et que nous pouvons les accompagner », assure Cornelia Woll, la directrice des études et de la scolarité de Sciences Po, qui vient de créer un laboratoire de « pédagogie active ». Même démarche du côté d’Audencia où est mise à disposition des professeurs une salle dédiée à l’innovation modulable, équipée de nombreux écrans, dans laquelle il s’agit d’être le plus interactif possible. « Les professeurs se sentent autorisés à tester dans une logique de mise à disposition où on met en place des outils qui génèrent des usages imprévus », explique Valérie Claude-Gaudillat, la responsable innovation de l’école.

Et les étudiants, qu’en pensent-ils ?

Le postulat selon lequel les étudiants seraient forcément toujours motivés par les nouvelles pédagogies n’a rien d’évident. « Il y a quinze ans que nous pratiquons la classe inversée et il faut aller plus loin. Mais parfois nos étudiants sont plus motivés par leurs activités associatives que par leurs cours. Il faut qu’ils comprennent mieux ce que nous leur apportons en le leur montrant », confie Armelle Godener. La question est aussi de s’adapter à tous les profils. « Il faut viser des pédagogies plurielles pour satisfaire tous les profils d’étudiants alors que l’apprentissage par projet peut en dérouter certains », remarque Bertrand Raquet. Une nécessité qu’on retrouve également à Sciences Po. « Quand ils entrent dans notre collège après le bac les étudiants sont très curieux, ouverts à tout. En master ils peuvent être plus rigides car ils ont un objectif professionnel et jugent ce que nous leur proposons à cette aune. Quand on veut passer le concours de l’Ena on ne va pas forcément apprécier un enseignement très différent ! », admet Cornellia Woll qui prend donc le temps de « leur expliquer que leur insertion professionnelle sera très bonne et que c’est maintenant qu’ils ont le temps d’acquérir cette créativité qui leur sera si nécessaire tout au long de leur vie ».

En fait les nouvelles pédagogies sont une boîte à outils dans laquelle il faut piocher en fonction de ses propres aptitudes, des niveaux des étudiants, des disciplines, etc. « Certaines techniques sont plus adaptées à certaines compétences que d’autres et il ne faut pas rejeter totalement le travail en amphi. L’offre pédagogique doit être également être adaptée à tous les publics et on sait que les élèves les plus en difficulté sont les plus sensibles au travail avec un professeur », confie ainsi Amélia Legavre, doctorante du très reconnu Centre de recherches interdisciplinaires (CRI) créé par le pédagogue François Taddei, qui a d’abord étudié de manière très classique en droit avant d’aller au Québec où on privilégie la classe inversée avec « la nécessité de lire soi-même des centaines de pages chaque semaine » et enfin au CRI où on parle de « classe renversée » quand ce « sont les étudiants eux-mêmes qui enseignent ». Pas de méthode unique donc mais toute une gamme à utiliser selon les objectifs ou les étudiants.

Olivier Rollot (@ORollot)

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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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