Accréditée fin 2018 par l’AACSB (Association to Advance Collegiate Schools of Business), l’Esca joue un rôle central dans le développement de l’enseignement du management au Maroc depuis sa création en 1992. Son créateur, son directeur, Thami Ghorfi nous explique comment est née et comment elle va encore se développer.
Olivier Rollot : L’Esca EM est aujourd’hui la seule école de commerce accréditée par l’AACSB (Association to Advance Collegiate Schools of Business) en Afrique francophone. Comment êtes-vous parvenu à obtenir cette accréditation, unique au Maroc, fin 2018 ?
Thami Gorfi : Nous avons démontré que c’était possible. Que tout ne doit pas venir du Nord et que des modèles pouvaient aussi être mis en valeur dans le Sud. Nous avons fait du Maroc le 54ème pays à posséder une école de commerce accréditée par l’AACSB. Maintenant d’autres écoles s’y intéressent et nous leur apportons notre soutien. Plus nous seront nombreux à tirer le système vers le haut mieux ce sera !
O. R : Obtenir une accréditation est toujours un travail énorme pour une business school. Comment êtes-vous parvenus à surmonter tous les obstacles ?
T. G : Il faut comprendre que pour nous le gap était énorme. Aucune école n’étant accréditée au Maroc, personne ne pouvant répondre à nos questions il nous a fallu partir de zéro. Il a fallu tout construire et bâtir les référentiels. En interne nous avons dû expliquer pourquoi il était important de faire de la recherche dans nos disciplines alors qu’elle reste dérisoire dans cette partie du monde. Mobiliser nos personnels pour obtenir une accréditation internationale dont ils n’avaient pas idée de l’intérêt. En tout il nous aura fallu six ans de travail pour parvenir au but.
O. R : Vous avez été soutenus par votre partenaire historique, depuis vingt ans cette année, qu’est Grenoble EM ?
T. G : Nous avons réalisé beaucoup de partage de savoir-faire avec GEM. D’autant que notre « mentor » dans ce processus était le directeur adjoint de GEM, Jean-François Fiorina. Cela a été un grand atout de bien se connaître avec une culture du travail d’égal à égal.
O. R : On parle souvent du « hub marocain », porte ouverte sur tout l’enseignement supérieur africain, comment l’Esca travaille-t-elle avec les autres pays africains ?
T. G : Dans certains pays francophones les élites veulent de l’aide, dans d’autres non. Nous sommes Africains comme les autres et nous voulons travailler ensemble. Au Bénin nous sommes par exemple particulièrement présents pour faire de la formation. Nous recevons des doctorants de l’université de Parakou que nous formons en sciences de gestion et qui reviendrons ensuite sur place. Ils se spécialisent dans l’entreprise féminine qui a un vrai impact sociétal en Afrique de l’Ouest.
Pour revenir au « hub africain » que vous évoquez, au Maroc il y a effectivement une mayonnaise qui est en train de prendre. Il nous faut encore réunir tous les éléments de réussite qui passent par une politique publique de promotion de la « marque Maroc » (« nation branding ») et cela prend du temps.
Aujourd’hui nous recevons des étudiants de trente nationalités différentes à l’Esca dont quinze pays africains. Avoir obtenu l’accréditation AACSB va nous permettre de plus encore nous internationaliser. Nous sommes Africains et à l’écoute de la globalisation.
O. R : Essec, TBS, emlyon, beaucoup d’écoles de management françaises se sont installées ces dernières années au Maroc pour profiter de ce « hub africain ». Comment jugez-vous leur présence ?
T. G : Des écoles françaises mais aussi américaines ou britanniques viennent chez nous. Avec plus ou moins de succès. C’est positif car la présence de ces marques est un gage du succès de la stratégie de hub du Maroc. Nous ne voyons donc pas ces écoles d’un mauvais œil pourvu qu’elles respectent les règles. En revanche s’ils viennent et repartent après avoir reçu des subsides de leurs territoires, c’est déloyal.
O. R : Vous avez signé des accords de partenariat qui permettent à des étudiants de l’Esdes de venir suivre un semestre de cours à l’Esca. Qu’est-ce qui amène des étudiants français à venir étudier au Maroc ?
T. G : Nous recevons également des étudiants de l’EM Normandie, de Rotterdam School of Management ou de la Bocconi pour suivre un enseignement entièrement en anglais. Ils viennent chercher une porte d’entrée vers l’Afrique et le monde arabe. Pour comprendre les opportunités qu’offre aujourd’hui le continent africain. Le tout dans un pays qui est une terre de tolérance et le plus occidental du monde arabe. Dans une école dont la culture est totalement marocaine et qui dispense des cours de langue en plus du management. Des cours sur l’entrepreneuriat, l’innovation dans des environnements hostiles ou encore la géopolitique pour décrypter toute cette partie du monde où nous sommes impliqués.
Ce qu’il faut aussi comprendre c’est que s’il est aujourd’hui naturel pour une école de management européenne de s’internationaliser – il n’y a quasiment pas de frontières en Europe – la première contrainte en Afrique c’est la non circulation. Il nous faut un visa pour nous rendre dans tous les pays et les questions de sécurité sont devenues de plus en plus cruciales après les vagues d’attentat qui ont frappé le continent.
En tant qu’institution de management nous sommes là aussi pour faire comprendre aux hommes politiques que, dans un monde qui a beaucoup changé, il faut imaginer plus d’opportunités de travailler avec les pays du sud et y développer des projets adaptés. Il n’y a aujourd’hui que 15% d’intégration économique entre les pays africains et c’est très insuffisant. Mais nous sommes très optimistes.
O. R : L’Esca vous l’avez créée il y a vingt-sept ans. Racontez-nous comment l’idée vous est venue ?
T. G : Le besoin de talents possédant une culture de la performance était considérable à cette époque. Surtout s’il fallait en plus être capable de se frotter aux marchés internationaux.
C’est à ce moment que l’économie commence à s’ouvrir au Maroc et que je décide de retourner au Maroc pour créer une école de commerce dans le même esprit que ce que j’avais commencé à faire en France. Nous sommes en 1992. Le Maroc entre dans un cycle de privatisations et il faut former des cadres capables d’accompagner le secteur privé dans son développement.
L’école que nous créons alors représente une contribution pour la société. Ce n’est pas une énième institution d’éducation, mais un vrai engagement structurant pour agit avec une culture d’innovation et de pionnier.
O. R : Au Maroc vous êtes bien plus qu’un directeur d’école. Vous êtes un journaliste économique extrêmement renommé. Et même le fondateur d’une radio.
T. G : J’ai coutume de dire que quand je finis ma journée, quand beaucoup vont jouer au tennis, je pars animer un débat. Je veux transmettre des valeurs et montrer ce qu’il est possible de faire si on adopte de bonnes pratiques. Pour autant je ne mêle jamais l’école et le journalisme même si je ne peux évidemment pas cacher qui je suis et quelle école je dirige.
Aujourd’hui je présente toujours une émission hebdomadaire à la radio en plus d’animer de nombreuses rencontres internationales. Et j’ai effectivement créé une radio écoutée chaque jour par 2,5 millions d’auditeurs.